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Vigne

Zéro herbi viti Premiers résultats mitigés à Bordeaux

Florence Jacquemoud - La vigne - n°253 - mai 2013 - page 34

En Gironde, deux exploitations expérimentent l'entretien des vignes sans herbicide, même sur la ligne des souches. L'une d'entre elles observe une perte de rendement, pas l'autre. Dans les deux cas, les temps de travaux augmentent.
EN 2012, LE CHÂTEAU DILLON a testé sur sa parcelle expérimentale un couvert de luzerne, semé un rang sur deux, en complément d'un enherbement naturel sous le rang et dans les autres interrangs. © R. JACQUEMAIN

EN 2012, LE CHÂTEAU DILLON a testé sur sa parcelle expérimentale un couvert de luzerne, semé un rang sur deux, en complément d'un enherbement naturel sous le rang et dans les autres interrangs. © R. JACQUEMAIN

Zéro herbicide dans les vignes, est-ce possible ? Difficilement, comme le laissent penser les essais menés en Gironde dans le cadre du programme national Zéro herbi viti.

À Naujan-et-Postiac, dans l'Entre-deux-Mers, la chambre d'agriculture a comparé une parcelle en conventionnelle désherbée chimiquement sous le rang à une parcelle de 1 ha enherbée naturellement et tondue sous le rang en conduite innovante. En 2011, les deux parcelles ont démarré la saison avec un interrang enherbé alternant avec un interrang travaillé mécaniquement. Mais en mai, Jean-Luc Audubert, le viticulteur chez qui l'essai est mené, a dû détruire l'herbe dans les interrangs car la concurrence hydrique était trop forte.

Durant l'année, l'entretien des sols lui a demandé 18 h/ha (12 passages) dans la parcelle conventionnelle, contre 22,5 h/ha (10 passages) dans celle en conduite innovante. Pour la première, il a dépensé 1 201 €/ha, pour la seconde, 1 241 €/ha. Ses vignes, des merlots, sont plantées à 2,50 m d'écartement entre les rangs. Il a mis plus de temps à travailler l'hectare enherbé sous la ligne des souches car les tondeuses intercep avancent lentement.

En 2012, Jean-Luc Audubert a entièrement enherbé la parcelle innovante. Le coût de l'entretien passe à 819 €/ha pour 16 h de travail (5 passages), contre 960 €/ha en conventionnel pour 13,5 h/ha (9 passages). Mais ces 140 euros en faveur de l'hectare test sont loin de compenser la perte de rendement qu'il subit. « Avec 48 à 50 hl/ha au lieu de 58, j'ai perdu environ un tonneau, soit 900 euros », précise-t-il.

« À garder pour les vignes trop vigoureuses »

Y a-t-il eu un impact sur les vins ? En l'absence de vinifications séparées, il est difficile de le savoir. D'après la cave à laquelle Jean-Luc Audubert livre sa récolte, la parcelle d'essai semble produire des raisins plus riches en anthocyane et en sucres. Mais aucune analyse particulière n'a été réalisée.

Au final, Jean-Luc Audubert tire un bilan mitigé de l'essai : « L'avantage de l'enherbement total, c'est qu'on peut passer dans les rangs même si le sol est détrempé. L'inconvénient, c'est le temps de travail. Je pense qu'on peut gérer 10 ha de cette façon, au maximum. Je garderai peut-être ce type d'enherbement pour mes parcelles très humides ou trop vigoureuses. »

De son côté, le château Dillon, le domaine du lycée viticole de Blanquefort (Gironde), a comparé des vignes désherbées chimiquement sous le rang et enherbées tous les interrangs à 7 ha de pratique innovante où les rangs sont enherbés naturellement. Dans cette propriété en AOC Haut-Médoc, les vignes sont plantées à 1,50 m d'écartement entre les rangs.

Depuis le début de l'essai en 2010, le mode d'entretien des interrangs a changé chaque année dans la parcelle expérimentale, faisant intervenir un couvert d'avoine, de luzerne ou un enherbement spontané.

« En été 2010, nous avons détruit un interrang sur deux pour réduire la contrainte hydrique, explique Rémi Jacquemain, ingénieur au château Dillon. En 2012, la luzerne s'est très bien développée. Nous l'avons fauchée trois fois et avons obtenu un gros mulch en surface. Cette année, si elle repousse, nous tenterons de la détruire pour qu'elle restitue de l'azote. »

Sur ces deux parcelles, l'entretien conventionnel des sols a toujours été le moins coûteux : entre 204 et 347 €/ha selon les années, pour 3 h 30 à 5 h 30 de travail par ha. « Pour la technique innovante, il faut distinguer ce qui relève du coût de démarrage d'une nouvelle pratique, poursuit Rémi Jacquemain. En 2010, nous avons dû refaire les semis. En 2012, nous avons tondu sous le rang trop tardivement, ce qui nous a obligés à épamprer manuellement et ajouté 60 h de travail par hectare. Une fois qu'on a pris le rythme et qu'on dispose du bon matériel, le coût pourrait se rapprocher de 380 €/ha et par an pour 9 h 25 de travail. Nous venons d'acheter un matériel qui combine la tonte interrang et sous le rang, adapté aux vignobles étroits. Nous allons gagner du temps. Nous avons aussi mesuré une tendance à l'augmentation des rendements sur les deux derniers millésimes. Mais nous n'avons noté aucune différence de maturité entre les deux modalités. Il faudra continuer cinq à dix ans pour tirer des conclusions. »

Objections et motivations des viticulteurs

L'École de Purpan, en Haute-Garonne, a demandé aux viticulteurs quels étaient leurs freins et leurs motivations à la pratique de l'enherbement total. En Haut-Médoc, 60 % approuvent l'idée de mettre en oeuvre cette technique, alors qu'ils ne sont que 35 % dans le bassin de l'Engranne, dans l'Entre-deux-Mers. Le principal frein évoqué est le risque de concurrence hydrique, suivi, en Haut-Médoc, de l'augmentation du temps de travail et du retard de croissance. Dans l'Entre-deux-Mers, on craint les maladies et la concurrence azotée. Du côté des motivations, la limitation de la pollution, la lutte contre l'érosion des sols et la maîtrise de la vigueur sont évoquées en Haut-Médoc. Dans l'Entre-deux-Mers, c'est la réduction du coût des intrants qui prime.

Sept sites vitrines dans tout le Sud-Ouest

Initié en 2010 par l'Agence de l'eau Adour-Garonne, le programme Zéro herbi viti avait pour objectif d'étudier, de 2010 à 2012, des stratégies alternatives au désherbage chimique sous le rang de vigne, notamment l'enherbement total. Après avoir réalisé des essais en microparcelles, les chercheurs ont voulu passer à l'échelle des exploitations viticoles. Pour cela, ils ont sélectionné sept sites : le lycée agricole de Riscle (Gers), le domaine expérimental de Mons (Gers), deux producteurs particuliers de cognac, la ferme expérimentale d'Anglars-Juillac (Lot), le château Dillon (EPLEFPA de Bordeaux Gironde) et les vignobles Mallet Audubert.

Le Point de vue de

Pierre Texier, viticulteur sur 17 ha à Saint-Bonnet (Charente)

« Mon rendement a baissé de moitié »

« De 2009 à 2012, j'ai semé diverses espèces sous mes rangs de vignes d'ugni blanc sur un hectare (fétuque, ray-grass anglais, lotier, trèfle blanc nain, paturin et koelerie), soit espèce par espèce, soit en mélange. Parallèlement, j'ai gardé les interrangs enherbés naturellement. Les semis n'ont pas toujours été faciles, mais le fait de ne pas avoir à désherber a été une bonne expérience. Je pratique la culture raisonnée et je suis contre un désherbage excessif. Cependant, la tonte est très lente. Je possède une tondeuse avec des satellites qui vont sous le rang, mais je ne peux passer qu'à 2 km/h. De plus, nous avons eu des problèmes de sécheresse trois années de suite. J'ai même cru que les jeunes vignes de cinq ans que j'avais enherbées en 2012 allaient mourir. Même en épandant un tiers de plus d'engrais que sur mes autres vignes désherbées chimiquement, le rendement de cet hectare enherbé a baissé de moitié. La compétition pour l'eau et les engrais est trop forte. Si je produisais du raisin pour un vin de bouche, ça irait. Mais pour le cognac, je dois atteindre 120 hl/ha pour remplir mon contrat. Pour bien faire, si l'on voulait ne plus utiliser de désherbant, il faudrait nettoyer les rangs mécaniquement au lieu de mettre de l'herbe. Pour ma part, j'ai perdu 3 000 à 5 000 euros sur cet hectare enherbé selon les années. J'ai donc décidé d'arrêter l'expérimentation. »

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