L'alsacien Arnaud Immélé a débarqué sur les bords du Tarn avec l'étiquette de « spécialiste des vins sans sulfites ajoutés ». nologue et auteur du livre « Les grands vins sans sulfite » aux éditions Vinédia, il était invité le 5 avril dernier par l'Association des oenologues et techniciens de Gaillac à s'exprimer sur ce sujet lors d'une conférence dans la salle des fêtes de Montans (Tarn).
« Trois principes doivent être respectés pour éviter les défauts d'oxydation ou les déviations liées aux Brettanomyces », a-t-il indiqué. D'abord, les étapes de vinification doivent être pensées pour que le vin résiste à l'oxygène. Ensuite, la microbiologie doit être maîtrisée pour éviter toutes déviations. Enfin, il faut limiter les apports d'oxygène durant l'élevage et la mise en bouteille.
Définir le besoin optimal en oxygène des moûts
« Plus on protège un moût blanc de l'oxygène, plus les vins seront instables après les fermentations », explique Arnaud Immélé. Cette affirmation va à l'encontre de certains grands principes de vinification qui préconisent, au contraire, de limiter le contact des moûts avec l'oxygène. Et l'expert d'ajouter qu'« il faut trouver la bonne adéquation entre l'apport d'oxygène, le niveau d'extraction des polyphénols lors du pressurage et la typicité aromatique ».
Pour un jus de goutte de type sauvignon avec une très faible extraction de polyphénols, un apport de 1 à 5 mg/l d'oxygène n'est pas préjudiciable. Pour des moûts de raisins surmûris, récoltés à la machine et extraits par un pressurage poussé, l'oenologue indique qu'un apport d'oxygène de 5 à 20 mg/l permet d'obtenir des vins plus stables et moins amers.
« Il est important de tester le vendangeoir à l'aide d'un traceur comme l'acide ascorbique pour savoir quelle quantité d'oxygène totale est apportée lors des phases préfermentaires, détaille Arnaud Immélé. En pratique, on peut ajouter 10 g/hl d'acide ascorbique au moment du pressurage. Puis on le dose au moment du levurage. La différence entre la teneur initiale et celle dosée correspond à la quantité d'oxygène que le moût a absorbé. » Il sera ainsi possible d'adapter l'itinéraire technologique au besoin en oxygène de chaque type de moût.
Un levurage précoce pour maîtriser la microflore
Arnaud Immélé constate que l'évolution du climat et des pratiques oenologiques conduisent à récolter des raisins plus mûrs à des températures élevées. Ces conditions sont favorables aux micro-organismes, notamment à Brettanomyces Bruxellensis. Il est donc impératif de récolter des raisins à température basse ou de refroidir rapidement les jus en dessous de 15°C pour ralentir la croissance des populations microbiennes.
À des pH supérieurs à 3,8, « le pouvoir antiseptique du dioxyde de soufre est réduit. développe Arnaud Immélé. Avec une récolte mécanique en condition chaude et des pH élevés, il faut implanter rapidement des levures sélectionnées au niveau des bacs de la machine à vendanger. Une préparation de Primaflora (mélange de levures Torulaspora et Saccharomyces et de bactéries lactiques du laboratoire Immélé) ou de Torulaspora delbrueckii à 3 g par 100 kg est une bonne solution. Au lieu de sulfiter la vendange, on va inoculer les levures préalablement réhydratées ». Cet apport précoce et de faible quantité de levures permettrait de contrôler la microflore indésirable tout en laissant 24 à 48 heures de délai avant le départ en fermentation.
Il insiste également sur l'homogénéité de l'implantation. « De façon caricaturale, chaque grain de raisin devrait être enrobé de levures sélectionnées. Si, en rouge, on décide d'apporter les levures au moment de l'encuvage, il faut le faire au fur et à mesure du remplissage de la cuve. »
Après la macération préfermentaire pour les rouges et les débourbages pour les blancs, un levurage « classique » doit être réalisé. Arnaud Immélé indique que pour les blancs, plus la température et la turbidité sont basses, plus la dose de levures à ajouter doit être élevée (jusqu'à 30 g/hl).
Élevage et mise en bouteille à raisonner
Après les fermentations, le vin doit être refroidi à 10°C afin de limiter le développement d'une microflore indésirable. À ces températures, il s'oxyde très faiblement, même s'il peut solubiliser jusqu'à 10 mg/l d'oxygène.
La mise en bouteille reste ensuite l'étape critique pour les vins sans sulfites. « La filtration est obligatoire pour le contrôle de la flore microbienne, notamment les Brettanomyces dans les vins rouges », rappelle Arnaud Immélé.
À cette étape, il est difficile d'éviter la pénétration de l'oxygène et il faut des installations sous gaz neutre qui laissent entrer moins de 1,5 mg/l d'oxygène dans le vin. Il est également possible de jouer sur le niveau de CO2 des vins pour éviter une dissolution massive d'oxygène lors du tirage. Enfin, le bouchon joue un rôle capital pour la conservation des vins sans sulfites. Il est préférable d'utiliser un bouchon qui autorise une pénétration faible mais régulière d'oxygène dans la bouteille.
Des analyses défavorables aux vins sans sulfites
En 2011 et 2012, dans chaque bassin viticole où il est implanté, l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) a réalisé des essais d'élaboration de vins sans ajout de sulfites. Frédéric Charrier, de l'IFV Val de Loire, a présenté une partie des résultats lors des Rencontres oenologiques de Gaillac (Tarn). « Sur les quarante-deux vins de l'étude, un seul n'était pas marchand, car l'acidité volatile était trop élevée », a-t-il relevé. La couleur des vins blancs, rosés et effervescents non sulfités présente des nuances plus jaunes que celle des vins sulfités. Pour les rouges, les résultats sont contradictoires, mais pour la majorité des vins sans SO2, les teneurs en anthocyanes et en polyphénols totaux sont plus faibles. Par ailleurs, tous les vins sans sulfites ont des niveaux d'acidité volatile supérieurs au vin sulfités. L'impact majeur de l'absence de sulfitage est « la perte quasi complète des thiols variétaux, notamment dans les vins de sauvignon blanc et dans les rosés », observe Frédéric Charrier. Les acétates d'alcools supérieurs sont également en concentration plus faible alors que la <03B2>-damascénone se trouve à des teneurs supérieures lorsque les vins ne sont pas sulfités. Les analyses microbiologiques montrent que les populations de levures, de bactéries lactiques et de bactéries acétiques sont plus importantes dans les vins non sulfités, mais ces niveaux restent contrôlables. Les analyses sensorielles illustrent, quant à elles, que la plupart des vins ont des notes d'oxydation et d'éthanal et que « le profil aromatique des vins est très différent de ceux sulfités », conclut Frédéric Charrier.
Difficile d'éviter l'oxydation
À la fin de la matinée, l'IFV de Gaillac (Tarn) a organisé une dégustation de ses essais de vinification sans SO2 du cépage blanc loin de l'oeil, typique de cette appellation. L'institut a présenté un vin de 2012 et trois vins de 2011. Tous présentaient des notes d'oxydation plus ou moins nettes. Le plus marqué était le vin de 2012, récolté manuellement, vinifié selon un itinéraire réducteur (avec beaucoup d'inertages) et sans ajout de copeaux. De couleur jaune, il développait des notes d'oxydation dès le premier nez. Le vin le moins marqué était un de ceux de 2011. Vinifié selon un itinéraire réducteur et ayant reçu 1,5 g/l de copeaux, ses notes de réduction au premier nez se dissipaient rapidement à l'agitation pour laisser place à un nez aromatique, mais marqué par un caractère oxydé. Lors de ces essais, l'IFV a comparé plusieurs itinéraires de vinification incluant ou non une récolte manuelle, l'hyperoxydation des moûts et l'ajout de copeaux. Force est de constater que rien ne remplace l'action antioxydante du SO2.
Le Point de vue de
Mickaël Trescos, directeur technique des vignobles Raymond, à Saint-Laurent-du-Bois (Gironde)
« Nos vins sans sulfites sont plus fruités »
« Nous élaborons des vins rouges sans sulfites ajoutés depuis trois ans. Nous avons produit 15 000 bouteilles en 2010, 30 000 en 2011 et 40 000 en 2012. Nous voulions réaliser un vin différent de ce que nous produisons et la construction d'un nouveau chai, plus fonctionnel, a facilité la création de ce produit. Nous sélectionnons les parcelles proches du chai afin que les trajets soient courts. Pour le transport des raisins, nous utilisons des bennes à double fond, qui permettent de limiter les phénomènes de macération. Pour avoir une fermentation alcoolique rapide et une fermentation malolactique qui s'enchaîne sans phase de latence, nous faisons de la co-inoculation. À la fin, nos vins contiennent entre 10 et 20 mg/l de SO2 total naturel. Lorsque les fermentations sont terminées, nous les conservons en cuve pleine. Les soutirages et les filtrations sont réalisés ensemble afin de limiter le contact avec l'air. Tous les transferts sont faits sous gaz neutre et les cuves sont inertées avant remplissage. Fin décembre, nous effectuons la mise en bouteille qui est toujours précédée d'une filtration tangentielle avec un seuil de 1 µm. C'est à l'embouteillage que nos vins reçoivent le plus d'oxygène, environ 2,5 mg/l. Dans notre cas, où toute la vinification est pratiquée en condition réductrice, cet apport est plutôt bénéfique. Cette année, nous avons testé différents types d'obturateurs. Pour nos vins, ce sont les bouchons plus perméables à l'oxygène qui donnent les meilleurs résultats. Les vins sans sulfites que nous élaborons sont plus fruités que nos autres vins, mais nous conseillons de les boire dans l'année. »