LEONOR FREITAS, ancienne assistante sociale, veille désormais sur les vignes du domaine Ermelinda, du nom de l'aïeule fondatrice. © C. GUARDA
LA VIEILLE VIGNE EN GOBELET du domaine Ermelinda Freitas est une rareté. La plupart des domaines conservent quelques vieilles vignes, parfois âgées de plus de 60 ans. © C. GUARDA
LES DESCENDANTS de José Maria da Fonseca (en haut)assure la relève de cette entreprise familiale fondée en 1834. Domingos Soares Franco, l'oenologue du domaine, est entouré de son fils Francisco (à gauche), sa nièce Sofia et son neveu António Maria, ainsi que son frère António (à droite). © M.-L. DARCY
LUIS MOTA CAPITÃO avec ses parents (à gauche) au lieu-dit la Vallée des Juments, un domaine rajeuni avec des objectifs réalistes. © M.-L. DARCY
Depuis 2002, Leonor Freitas dirige le domaine Ermelinda Freitas, situé à Fernando Pó, dans la région de Setúbal, à une quarantaine de kilomètres au sud de Lisbonne. Elle représente la quatrième génération de femmes à la tête de cette exploitation familiale. Cette assistante sociale de formation a révolutionné la production, jusque-là écoulée en vrac. Elle a investi dans des chais flambant neufs, créé une marque ainsi qu'une gamme de produits et soigné le marketing.
Aujourd'hui, son domaine produit 95 000 hectolitres, dont 60 % de rouges. Il cultive 300 ha et achète la récolte de 300 ha supplémentaires. De nouveaux chais sont en construction. « Nous avons investi 12 millions d'euros en dix ans. Et les bénéfices de l'exploitation y retournent. Nous avons vingt-cinq employés, plus une centaine de saisonniers. Tout le monde vit de la vigne et du vin ici », annonce Leonor Freitas.
Le succès de ses cuvées Terras do Pó et Dona Ermelinda sont à l'image de la péninsule de Setúbal, une région en plein essor. Située sur le littoral, rafraîchie et humidifiée par l'océan Atlantique, la région offre deux AOC : Setúbal et Palmela. Le reste de la production est en vin régional de Setúbal.
« Nous bénéficions de conditions exceptionnelles malgré les sols pauvres, explique Ana Silveira, l'oenologue du domaine Ermelinda Freitas. L'été, il peut faire très chaud, 35 ou 40°C. Mais la brise marine est fréquente et la nuit, on redescend à 20 et 25°C. Surtout, l'eau est à 2 ou 3 mètres de profondeur, ce qui évite le stress hydrique. »
La vinification est classique, avec un contrôle des températures. Les blancs fermentent entre 15 et 18°C selon les années, les rouges entre 25 et 30°C. « Notre travail consiste à trouver l'équilibre entre l'acidité naturelle, due à la pauvreté des sols, et la rondeur des cépages autochtones », poursuit Ana Silveira.
Les vins rouges de la péninsule doivent beaucoup au castelão, un cépage qui doit entrer pour 70 % minimum dans les assemblages. Structuré et rond, il vieillit bien en barriques et en bouteilles. Il est apprécié pour ses arômes de fruits rouges plus ou moins mûrs, ponctués de notes de châtaignes et de glands.
Des blancs aux arômes citronnés
Le castelão a été introduit sous le nom de periquita en 1834 par José Maria da Fonseca, fondateur d'un des plus grands domaines de la région. Aujourd'hui, le « Periquita », marque déposée par José Maria da Fonseca, est sans nul doute le vin portugais le plus vendu à l'exportation. Et la sixième génération de descendants de José Maria da Fonseca est à la tête d'une exploitation de 600 ha.
Les vins blancs sont largement dominés par le fernão pires, un cépage aux arômes citronnés, et l'arinto, présentant des notes minérales, des arômes de pomme verte et de citron et dotés de solides capacités de garde.
Enfin, la région se tourne aussi vers des cépages internationaux comme la syrah, le sauvignon et le cabernet sauvignon pour séduire les consommateurs internationaux.
À une plus petite échelle, Luis Mota Capitão contribue également au renouveau des vins de Setúbal. En 2008, il hérite de la propriété familiale, la Herdade do Cebolal, forte de 8 ha de vignes, dont la plus jeune a 25 ans. Aujourd'hui, ce jeune oenologue enthousiaste possède 22 ha. Il a rajeuni son vignoble, réparti entre 40 % de blanc et 60 % de rouge.
« Nous nous plaçons sur un marché de niche, car notre taille ne nous permet pas d'affronter la concurrence des grands producteurs. Je fais un vin de tradition avec des moyens modernes pour conserver le patrimoine familial », affirme-t-il.
Située à l'une des extrémités de la péninsule de Setúbal, près de Santiago do Cacém, sa propriété bénéficie de la brise marine. Elle alterne les zones schisteuses et calcaires qui contribuent à la richesse des vins.
Le moscatel, un bijou façonné avec amour
Le Herdade do Cebolal 2011, un blanc, résume à lui seul la complexité des vins de Setúbal. Issu des quatre cépages nobles, fernão pires, arinto, roupeiro et antão vaz, il a été vendangé fin août, après sélection des grappes. Il a fermenté longtemps à 14ºC. Avec 6,4 g/l de sucres résiduels, un pH de 3,2 et 14º d'alcool, c'est un vin complexe qui peut être servi en apéritif, sur des fruits de mer ou du fromage.
Doré, ambré ou rubis, le moscatel de Setúbal et le moscatel roxo sont deux autres productions de la région ; des bijoux que l'on façonne avec amour. Le premier est obtenu à partir de moscatel. Le second est un rouge issu du cépage moscatel roxo. Ces deux vins bénéficient d'une DOC (dénomination d'origine contrôlée).
Le moscatel a bien failli disparaître au Portugal. Il est aujourd'hui dépoussiéré de son image de cépage pour liqueur de grand-mère. « Nous voulons qu'il devienne le porto du Sud », reconnaît Leonor Freitas. Elle ne consacre que 5 ha au moscatel, mais de nouvelles plantations sont en cours.
Ce vin demande du temps et beaucoup de manipulations. « La vendange est tardive pour la région : fin septembre, indique Ana Silveira. On interrompt la fermentation lorsque la densité du moût atteint 1080, en ajoutant de l'eau-de-vie (très souvent de l'armagnac). Ensuite, c'est la macération pelliculaire jusqu'en mars-avril. Puis nous décuvons, nous pressons et nous élevons le vin en barriques pendant deux ans minimum. Nous faisons aussi un moscatel supérieur qui vieillit plus longtemps. »
Un moscatel jeune coûte environ 2,80 €/l à produire pour un prix de vente public de 5 euros le col. Mais un supérieur peut atteindre 25 euros le col chez un spécialiste. Quant au roxo, très rare, il fait l'objet d'éditions limitées, comme celle de Domingos Soares Franco, copropriétaire de José Maria da Fonseca.
Le moscatel de Setúbal, aux délicats arômes d'orange et de fruits secs, est sauvé de l'oubli. En six ans, la production est passée de 11 000 à 20 500 hl. Une autre image du renouveau de la région.