De l'eau, de l'eau et encore de l'eau. Des températures dignes d'un mois de novembre et un soleil qui n'a fait que de timides apparitions. Ce mois de mai restera dans les annales pour sa météo grise, humide et froide. Des vignobles ont même frôlé les gelées les 24 et 25 mai. « Dans certaines parcelles de fond de vallée humide, quelques dégâts de gel ont été signalés », indique l'interprofession champenoise (CIVC). De même, la chambre d'agriculture de Côte-d'Or rapporte que « des signes de gel sans conséquence ont été observés sur des pieds en secteurs craintifs ». Au vignoble, les conséquences de ce printemps pourri sont multiples. Tour d'horizon.
Des parcelles impraticables. Les plus chanceux ont bénéfié de quelques fenêtres pour traiter normalement, même si elles étaient très limitées. Les vignerons de Côte-d'Or n'en font pas partie. Une majorité d'entre eux travaille les sols. Avec 165 mm de pluie enregistrés par Météo France à Dijon en mai, leur département compte parmi les plus arrosés. Beaucoup de parcelles ont été impraticables pendant plusieurs jours. Pour les protéger, les uns ont sorti leurs chenillettes. D'autres ont eu recours au pulvérisateur à dos, un équipement de secours qui a été très vite en rupture de stock dans les magasins. Ce département et la Saône-et-Loire ont également obtenu des dérogations pour pouvoir traiter par hélicoptère.
Dans le Var, les pluies diluviennes (100 mm en moyenne) tombées entre le 14 et le 19 mai ont provoqué des inondations dans des vignes de la basse vallée de l'Argens. Des orages de grêle ont également frappé localement des parcelles sur les communes de Lorgues, du Cannet-des-Maures, du Luc et du Thoronet les 19 et 22 mai. Dans cette région aussi, les viticulteurs ont demandé à pouvoir se servir de l'hélicoptère. Le préfet a donné une réponse favorable, mais entre-temps, les sols se sont ressuyés et les viticulteurs ont pu passer avec leurs tracteurs.
L'excès d'eau a aussi perturbé les plantations. Dans l'Aude, les viticulteurs n'ont pas pu recourir à la machine et ont planté manuellement.
Dans le Tarn, la situation était très délicate fin mai. « Il vient de tomber 60 mm d'eau. Les vignes sont noyées. À l'heure actuelle, personne ne peut planter. Et pour ceux qui avaient pu le faire auparavant, nous craignions des problèmes d'asphyxie racinaire. Les pépiniéristes qui venaient d'effectuer leurs mises en terre sont particulièrement inquiets », déplorait Olivier Yobrégat, de l'IFV Sud-Ouest, le 31 mai.
Un important retard végétatif. Tout au long du mois écoulé, les vignes ont peu poussé. Et le millésime 2013 s'annonce relativement tardif. « Dans les côtes du Rhône septentrionales, la vigne n'a même pas poussé d'une feuille en une semaine », affirmait fin mai Amandine Fauriat, de la chambre d'agriculture de l'Ardèche. Le 31 mai, les vignes présentaient entre cinq et huit feuilles étalées en Côte-d'Or. « Nous avons entre dix-huit et vingt et un jours de retard par rapport à une année moyenne », note Pierre Petitot, de la chambre d'agriculture. En Saône-et-Loire, la faible pousse a favorisé des remontées d'araignées rouges dans quelques parcelles. « Elles n'ont pas été diluées dans le feuillage et les typhlodromes n'ont pas réussi à les contenir. Des interventions avec un acaricide ont parfois été nécessaires », rapporte Benjamin Alban, de la chambre d'agriculture.
En Alsace, les rameaux secondaires présentent jusqu'à deux semaines de décalage avec les rameaux primaires, alors qu'habituellement, ils sortent au même moment. « Nous préconisons de les supprimer lors de l'ébourgeonnage. Cela permettra d'avoir une maturité plus homogène à la récolte », explique Frédéric Schwaerzler, de la chambre d'agriculture du Haut-Rhin.
Même dans le Midi, les vignes ne sont pas en avance. « Les températures ont rarement dépassé les 20°C en journée. Nous voyons à peine les toutes premières fleurs dans les chardonnays les plus précoces. Nous avons une douzaine de jours de retard comparé à la moyenne », remarquait Jacques Oustric, de la chambre d'agriculture du Gard, fin mai.
Des vignes jaunissantes… Avec le déficit d'ensoleillement, les fortes pluies et les basses températures, les vignes font pâle figure. La photosynthèse n'est pas très active et la minéralisation ne s'est pas mise en marche. Du coup, « nous observons des jaunissements plus ou moins importants selon les cépages », relève Benjamin Alban.
« Avec l'excès d'eau, le calcium des sols est davantage solubilisé. Cela provoque une chlorose physiologique qui disparaîtra rapidement dès que le soleil réapparaîtra », ajoute Jacques Oustric.
… et des grappes qui filent. Autre conséquence : les viticulteurs et les techniciens de plusieurs vignobles constatent des phénomènes de filage, c'est-à-dire des portions d'inflorescences qui se transforment en vrille. « On a perdu l'épaule de la deuxième grappe. Mais ce n'est pas un problème car elle mûrit difficilement », modère François Dal, de la Sicavac, dans le Centre.
Même constat dans les Charentes, le Val de Loire, les côtes du Rhône septentrionales et en Bourgogne. « Mais il faut tempérer les choses car il y a une belle sortie de grappes. Les conditions de la floraison seront déterminantes », analyse Pierre Petitot.
Sur ce point, Laurent Colombier, de la chambre d'agriculture de Dordogne, est inquiet. « Si le temps reste frais et humide, il y aura de la coulure. S'il devient sec et chaud, avec toute l'eau qu'il y a dans le sol, la vigne va croître rapidement. L'appareil végétatif risque de se développer au détriment des organes reproducteurs. »
Le mildiou freiné par les températures. Dans beaucoup de vignobles, les modèles annonçaient un risque de mildiou élevé en sortie d'hiver. Mais les températures fraîches ont freiné le champignon. « Toutes les pluies de la semaine de la Pentecôte n'ont pas été contaminantes, constate Marie Darnand, de la société de viticulture du Jura. Les temps d'incubation sont très longs, de l'ordre de vingt jours, ce qui est exceptionnel. Les symptômes issus des contaminations qui ont eu lieu les 8 et 9 mai sortent seulement », indiquait la technicienne viticole le 31 mai. « On ne verra l'impact du mauvais temps sur la maladie que début juin », poursuit Benjamin Alban.
Dans le Gard, les viticulteurs ont démarré les traitements tôt. « Pour l'instant, le mildiou est sous contrôle », précise Jacques Oustric. En revanche, dans l'Aude, Emmanuel Rouchaud, de la chambre d'agriculture, craint une explosion de la maladie dès que les températures vont remonter, notamment chez les bios. Dans le Var, la maladie progressait, mais pas de manière spectaculaire.
Quant à l'oïdium, la météo ne lui a pas été favorable non plus.
Du black-rot dans le Gard. À cause du mois de mai très arrosé, le département du Gard subit une très forte pression de black-rot. « C'est un souci que nous rencontrons sur l'ensemble du département. Dans certaines parcelles sensibles à la maladie, où les viticulteurs n'ont pas utilisé d'antimildious ou d'anti-oïdiums efficaces sur le black-rot, nous observons déjà des pertes de récolte importantes », se désole Jacques Oustric. La maladie a en effet attaqué les inflorescences, provoquant des nécroses sur le pédoncule, le rachis et les pédicelles. Les viticulteurs doivent se montrer vigilants.
Une recrudescence d'excoriose. Dans beaucoup de vignobles, les précipitations ont généré une recrudescence de l'excoriose. « Nous voyons régulièrement des symptômes sur les rameaux en vert. Cette année et l'an passé, au moment de l'éclatement des bourgeons, les conditions étaient favorables aux contaminations », souligne Pierre Petitot. Dans le Jura, certaines situations sont mêmes préoccupantes. « Dans des zones très humides, tous les ceps peuvent être touchés et présenter des nécroses à la base des rameaux. Nous remarquons également des symptômes sur les feuilles et les inflorescences », rapporte Marie Darnand. Dans le Tarn, les techniciens soupçonnent également des symptômes sur les feuilles et sur les pousses.
Pascale Chicotot, domaine Chicotot, 7 ha de vignes à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or) « Nous avons dû passer la débroussailleuse »
«Avec toute la pluie qui est tombée en mai, les nappes phréatiques ont affleuré. Les engins étaient trop lourds pour passer dans les vignes. Nous risquions d'abîmer les sols. 80 % de nos parcelles sont enherbées naturellement. Cette année, nous avions prévu d'entretenir la ligne des souches avec des interceps hydrauliques car nous avons banni tout herbicide. Mais jusqu'à présent (le 29 mai, NDLR), nous n'avons pas pu le faire. Mon fils Clément, qui gère le domaine avec moi, et notre salarié ont donc dû passer la débroussailleuse sous les rangs. Et pour entretenir les interrangs, nous avons été obligés d'acheter une tondeuse tractée. Nous en sommes déjà à trois passages. À peine terminé, il a fallu recommencer.
Pour les traitements, c'était aussi la galère. Nous avons pu effectuer le premier le 11 mai dans de bonnes conditions avec le tracteur. Quelques jours plus tard, dans les parcelles où il y a des mouillères, nous avons été obligés de refaire un traitement intercalaire. Nous avons démarré au tracteur, mais compte tenu du manque de portance des sols, nous avons été contraints de terminer au pulvérisateur à dos. Mon mari a passé deux jours à faire le tour des magasins pour en trouver deux.
De gros domaines en ont acquis jusqu'à six pour pulvériser tout leur parcellaire. Pour le traitement suivant, mon fils et notre salarié n'ont pas eu d'autre choix que de passer à nouveau l'atomiseur à dos sur l'intégralité du domaine.
Physiquement, ça a été dur. Mon fils n'a pas compté ses heures. Il a travaillé sept jours sur sept. Les temps de travaux ont été multipliés par deux voire trois. Par exemple, pour passer l'atomiseur sur tout le domaine, il a démarré un jour à 8 heures et terminé à 22 heures, pour finir le lendemain à midi. La dernière fois que nous avons connu une telle situation, c'était en 1983. Et le millésime avait été satisfaisant. »
Deux curiosités de début de campagne
Une parcelle du lycée agricole de Montreuil-Bellay, près de Saumur, dans le Maine-et-Loire, a subi une importante attaque de cigariers. Les femelles de ce petit charançon de couleur bleu-vert découpent et roulent les feuilles pour y pondre. Celles-ci prennent alors la forme d'un cigare tout à fait identifiable. « J'ai comptabilisé 78 cigariers et 201 cigares sur cent ceps autour de la mi-mai », indique Véronique Sarrot, ingénieure pour la plateforme régionale d'innovation dans l'établissement scolaire.
Dans le reste du vignoble, on ne s'alarme pas. « J'en vois de temps en temps, mais je n'ai observé qu'une seule parcelle pleine de cigares dans ma carrière », affirme Philippe Drouet, conseiller viticole indépendant.
Autre curiosité remarquée cette année dans le Muscadet et à Tain-l'Hermitage (Drôme) : des crachats de coucou. Rien à voir avec l'oiseau. Le responsable est en fait un petit coléoptère dont la larve fabrique de l'écume pour se protéger des prédateurs. « On en voit beaucoup sur les lavandes et les rosiers. Mais on peut aussi en apercevoir sur les apex des jeunes vignes », rapporte Nadège Brochard-Mémain, de la chambre d'agriculture de Loire-Atlantique. A priori, cet insecte n'est pas néfaste.
Le Point de vue de
MATTHIEU DE WULF, VIGNERON AU DOMAINE DU JAS D'ESCLANS, À LA MOTTE, DANS LE VAR
« Les hélicoptères n'ont pas pu intervenir »
«Il est tombé 100 mm d'eau dans la soirée du 18 au 19 mai dernier. Nos 75 ha de vignes en bio, situés sur la commune de La Motte, se sont retrouvés les pieds dans l'eau. Nous n'avons pas pu entrer dans les parcelles pour traiter contre le mildiou et l'oïdium car l'eau y a stagné.
Avec d'autres vignerons, nous avons contacté la chambre d'agriculture du Var pour obtenir une dérogation pour traiter par hélicoptère. Mais le temps de constituer les dossiers, il s'écoule dix jours entre l'autorisation de principe accordée par les pouvoirs publics et le déploiement effectif des hélicoptères sur le terrain. C'est inadapté aux situations d'urgence ! Entre-temps, nous avons appris que les hélicoptères étaient mobilisés en Bourgogne et qu'ils ne pourraient pas intervenir dans nos vignes. Celles-ci sont restées huit jours sans protection.
Puis le vent s'est levé et nous avons réussi à effectuer nous-mêmes les traitements au cuivre et au soufre. Il y a cependant des dégâts. Le mildiou sévit actuellement sur feuille. Nous l'observons çà et là sur l'ensemble de nos parcelles. »
Le Point de vue de
VINCENT HAYER, DIRECTEUR TECHNIQUE DU DOMAINE DE MONTCY, À CHEVERNY (LOIR-ETCHER), 21 HA DE VIGNES CERTIFIÉES BIO DEPUIS DEUX ANS
« Notre tracteur s'est embourbé »
«Nous avons commencé par geler assez sévèrement en avril. En moyenne, sur l'ensemble du domaine, nous avons perdu 40 % des bourgeons et jusqu'à 80 % sur certaines parcelles. À cela s'ajoutent les grosses difficultés que nous avons connues pour entretenir les sols et réaliser les traitements.
Toutes nos vignes sont enherbées dans les interrangs et chaussées en sortie d'hiver. Pendant la seconde quinzaine d'avril, les conditions étant favorables, nous avons donc commencé à les décavaillonner. Mais nous n'avons pu le faire que dans 4 à 5 ha, car la météo s'est ensuite dégradée. Du 10 mai jusqu'à la fin du mois, il est tombé plus de 80 mm. Du coup, des touffes d'herbes de plus de 40 cm sont apparues à certains endroits où nous n'avons pas pu décavaillonner. Nous avons dû les faucher à la débroussailleuse. Au niveau phytosanitaire, nous avons positionné le premier traitement le 7 mai mais nous n'avons pas pu passer sur 1,5 ha car les sols étaient trop humides. Nous avons réalisé un deuxième passage le 17 mai et, là encore, nous n'avons pas pu terminer car le tracteur s'est embourbé. Il s'est mis en travers du rang et les diffuseurs se sont accrochés dans les fils du palissage. Nous avons un nouveau pulvérisateur traîné qui permet de traiter six rangs à la fois avec des descentes dans le rang, mais il est large. Ses roues arrivent au niveau de la ligne des souches, qui est travaillée. Le 29 mai, nous devions réaliser le troisième traitement.
Mais, une nouvelle fois, les sols étaient impraticables. J'ai donc remis en route notre ancien pulvérisateur qui procure une moins bonne qualité de pulvérisation mais qui est plus léger et moins large. Heureusement, avec le froid, le mildiou ne s'est pas développé très vite. Pour l'instant (au 29 mai, NDLR), nous n'avons que quelques taches sur feuilles et rien sur les inflorescences.
Quant aux 1,5 ha qui n'ont encore reçu aucun traitement, nous passerons avec l'atomiseur à dos. »