VINCENT CONNES, vigneron coopérateur aux vignobles Dom Brial, à Baixas(Pyrénées-Orientales), asse le broyeur dans une parcelle pour tondre l'enherbement dans le rang. PHOTOS P. PARROT
UNE TABLE D'ORIENTATION a été installée par la coopérative sur le sentier de découvertequ'elle a aménagé. Vincent accompagne cinq à six groupes chaque été le long de ce chemin dans le cadre des activités œnotouristiques de la coop.
En ce début du mois de mai, le soleil chauffe dans les vignes de Vincent Connes et les jeunes pousses en profitent. Sur ce sol d'alluvions, riche en galets et avec un climat particulièrement sec l'été, les rendements ne dépassent pas 45 hl/ha. Dans ces conditions, la présence d'un enherbement naturel, envahi par une multitude de fleurs, surprend.
« Je cherche à améliorer la structure et la vie du sol tout en réduisant les herbicides », explique le jeune vigneron. Pour ne pas pénaliser la vigueur, il a appris à maîtriser l'herbe quand il le faut. « Cela n'a pas été évident au début. Mais depuis que je me suis équipé d'un broyeur à lames, j'y arrive plutôt bien », affirme Vincent, qui tient à mener ses expériences jusqu'au bout.
Cette conviction tranquille, il ne l'a pas toujours eue. Mais aujourd'hui, il assume ses choix. « Pour financer mon mariage, je viens de travailler quelques mois à temps partiel dans un magasin de sport. Cela m'a confirmé que je ne m'étais pas trompé en m'installant. Je ne suis pas fait pour passer ma journée entre quatre murs. Et j'apprécie d'être mon propre patron, même si la position de salarié a des avantages ! » reconnaît Vincent.
Ce fils de vigneron, installé depuis 2011 à Baixas, dans les Pyrénées-Orientales, n'a pas choisi la viticulture d'emblée. « Après une première année en licence de géologie, j'ai enchaîné avec une année d'études sportives », détaille-t-il. Amoureux de montagne, il traverse à pied les Pyrénées par le GR 10 et la Corse par le GR 20. Mais il n'arrive pas à se projeter dans un métier. « Mon père m'a alors proposé de venir travailler chez lui comme salarié, pour avoir un cadre en attendant d'y voir plus clair », raconte-t-il.
Son père, Jean, est adhérent à la coopérative Dom Brial de Baixas. Il cultive 41 ha de vignes. Vincent travaille durant six ans sur son exploitation avec deux autres permanents. En 2009, la situation économique devient difficile. Son père ne peut plus l'employer. « J'ai dû choisir entre m'installer ou faire autre chose. C'est à ce moment que j'ai mesuré à quel point le métier de vigneron me plaisait. Malgré la baisse des cours, j'ai décidé de me lancer. »
L'année suivante, Vincent passe un brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole, tout en préparant son installation. Après avoir envisagé de s'associer avec son père, il préfère créer sa propre exploitation. « Je l'ai laissé libre de ses choix, mais je lui ai donné de quoi démarrer, comme mon père l'avait fait pour moi dans les années quatre-vingt », relève Jean.
En Roussillon, c'est l'AOP Muscat de Rivesaltes qui assure la base du revenu. « Je lui ai cédé 3 ha en fermage. Pour compléter, j'ai ajouté deux parcelles de syrah et de grenache classées en AOP Côtes du Roussillon villages qui pourraient bénéficier à l'avenir de la mention commune de Baixas », détaille-t-il.
Pour obtenir la Dotation jeunes agriculteurs (DJA), Vincent doit parvenir à dégager un revenu équivalent au Smic au bout de cinq ans. « Avec 5 ha, c'était un peu court. J'ai saisi l'occasion d'acheter deux parcelles de muscat pour avoir un hectare de plus », précise-t-il. Avec ses économies, 13 200 euros de DJA et 5 000 euros d'aides du conseil régional, il finance cet achat de vigne, celui du matériel et la trésorerie de la première année.
« Je n'ai pas d'annuités à rembourser, c'est un atout pour démarrer », estime Vincent. Pour dégager un revenu sur 6 ha, il doit réduire les charges au maximum. « Je réalise le plus possible de tâches à la main pour économiser le carburant. Pour désherber le rang chimiquement, par exemple, j'utilise un pulvérisateur à dos », ajoute-il. Il raisonne les traitements en fonction de la pression parasitaire. « En 2012, nous n'en avons effectué aucun contre le mildiou. Contre l'oïdium, en revanche, il en a fallu sept. »
Son matériel en propre comprend un tracteur, un pulvérisateur, un cadre pour le travail du sol et une benne rachetés à son père, ainsi qu'un broyeur, acheté neuf. Pour les autres outils, Vincent s'est engagé dans une Cuma et dans un contrat d'entraide avec son père. Il fait réaliser les vendanges à la machine en prestation et adhère à un groupement d'employeurs pour la partie vendangée à la main.
En tant que jeune agriculteur, il bénéficie d'abattements dégressifs durant quatre ans sur ses cotisations sociales. Il peut ainsi vendre 28 hl/ha d'AOP Muscat de Rivesaltes au lieu des 22 hl/ha attribués aux autres producteurs. Côté rendements, il a eu la chance de commencer en 2011. « C'était une année exceptionnelle. Aucun aléa n'a réduit le potentiel », se réjouit-il. La coopérative a même déclassé une petite partie de son grenache en IGP car il avait dépassé le seuil autorisé.
En 2012, les rendements ont reculé de 20 %. Son chiffre d'affaires a malgré tout progressé plus vite que le prévisionnel. « Cette année, je devrais arriver pratiquement au niveau du Smic. Cela me suffit pour l'instant », affirme Vincent. Sa famille lui prête une maison. Sa compagne a un travail salarié à l'extérieur. « Nous avons choisi un mode de vie qui ne nécessite pas de gros moyens. Nos loisirs, nous les passons le plus souvent dans la nature, en montagne », poursuit-il.
À terme, il prévoit néanmoins de s'agrandir. À 62 ans, son père, qui cultive encore 36 ha de vignes, approche de la retraite. Il devrait transmettre d'autres parcelles à Vincent qui s'est fixé comme objectif d'arriver à 12 ha bien structurés qu'il pourra travailler seul.
Pour autant, il n'entend pas rester enfermé sur son exploitation. Il s'est investi dans la relance de la Cuma et participe à la commission Animations de sa coopérative. « À l'époque où j'étais salarié chez mon père, je me suis formé à l'accompagnement en moyenne montagne. Quand la cave m'a demandé de guider des groupes sur le sentier de découverte qu'elle venait de créer, j'ai tout de suite dit oui. »
Deux balades par semaine sont prévues de juillet à septembre. Vincent donne à l'avance ses disponibilités à Xavier Ponset, le responsable des activités œnotouristiques de la coopérative qui gère le planning. « En moyenne, j'accompagne cinq à six groupes chaque été. Je touche une indemnité de 42 euros par demi-journée. Mais c'est avant tout un plaisir », souligne Vincent, qui apprécie de parler de son métier, de son vécu. « C'est ce qui intéresse le plus les gens. Je leur raconte le travail au fil des saisons. Beaucoup croient qu'en coopérative, en dehors de la taille et des vendanges, il n'y a pas grand-chose à faire ! »
Le sentier, bordé par la garrigue et les vignes, surplombe la plaine du Roussillon. Les visiteurs peuvent tout à la fois admirer le paysage et baigner dans les odeurs de toutes les plantes alentours. Vincent se met à l'écoute des attentes du groupe. « J'aborde des aspects historiques lorsque je sens que cela les intéresse. Notre coopérative a été la première à lancer la révolte de 1907 », fait-il remarquer. S'ils sont curieux des plantes, il entre dans les vignes pour les observer avec eux. Arrivé à la table d'orientation, il leur indique des sites intéressants à visiter. Puis la balade se termine par un casse-croûte vigneron, à l'ombre des chênes verts, accompagné de vins de la coopérative.
Après cette première dégustation, Vincent conduit le groupe à la coopérative et leur présente la gamme qui compte une trentaine de références. « Je leur demande quels types de vins ils aiment, pour commencer par quelque chose de proche de leurs goûts. Puis je les amène vers des styles différents. Souvent, ils ne connaissent pas bien les vins d'ici. Mais ils repartent conquis », certifie Vincent, qui aide ainsi la coopérative à élargir sa clientèle.
Il participe également à des animations chez des cavistes et à des formations organisées tous les deux mois par Guillaume Gangloff, un des commerciaux de la cave. « Il nous apprend à déguster, à parler des vins et nous fait découvrir ceux des autres régions. Cela m'aide à mieux mener les dégustations. C'est aussi une bonne occasion de nous rencontrer et d'échanger entre coopérateurs et salariés. Pour que la cave continue à progresser, c'est important de souder l'équipe ! »
Le Point de vue de
CE QUI A BIEN MARCHÉ
En démarrant sur une petite surface, à 80 % en fermage, Vincent n'a pas eu à faire d'emprunts pour le foncier, ce qui a réduit la prise de risque.
Pour arriver à dégager un revenu sur 6 ha, il a limité les charges grâce à l'utilisation de matériel en Cuma et d'un contrat d'entraide avec son père.
Le Point de vue de
CE QU'IL NE REFERA PLUS
Vincent s'était fixé de ne pas investir tout de suite dans des plantations. Il n'a pas profité de la mesure mise en place pour l'AOP Muscat de Rivesaltes, permettant de planter par anticipation deux ans avant d'arracher la parcelle à renouveler. Du coup, il se retrouve avec 70 ares de muscat conduits en gobelet qui lui compliquent le travail, alors qu'il aurait déjà pu les remplacer. Si cette mesure est reconduite l'an prochain, il est décidé à y souscrire !
Le Point de vue de
Pour échanger du travail et du matériel en toute légalité, Vincent et son père ont établi un contrat d'entraide. Validé par la chambre d'agriculture, il décrit précisément les travaux concernés par l'entraide et le matériel qui peut être utilisé. Les tâches purement manuelles, plantations mises à part, sont exclues. Père et fils remplissent chaque année un cahier dans lequel ils notent tout ce qu'ils ont effectué l'un chez l'autre.
Leurs équipements sont complémentaires. Ils ont tous les deux des vignes avec différents écartements. « Quand je traite avec mon tracteur étroit, je le fais dans toutes les vignes à 1,75 m, chez moi comme chez Vincent. Inversement, c'est lui, avec son tracteur large, qui pulvérise toutes nos vignes à plus de 2 m », explique Jean, le père de Vincent. Et lorsque Vincent utilise l'enjambeur adapté par son père pour prétailler les gobelets, il s'occupe aussi des siens dans la foulée. Cela réduit les déplacements et leur fait gagner du temps à tous les deux.
Grâce à cette entraide, Vincent a accès à un parc de matériel plus large. Il réalise une partie des travaux de tractoriste chez son père. Ce dernier peut effectuer le reste seul et n'emploie plus que des saisonniers pour la taille et les travaux en vert.