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VIGNE

« La pluie est le paramètre le plus difficile à prévoir »

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTELLE STEF - La vigne - n°254 - juin 2013 - page 28

Ce spécialiste champenois de l'agrométéorologie constate qu'il reste encore bien des progrès à réaliser dans la fiabilité et la précision des prévisions météo.
FRANÇOIS LANGELLIER, INGÉNIEUR AU CIVC

FRANÇOIS LANGELLIER, INGÉNIEUR AU CIVC

Cette station météo installée dans des vignes à Épernay (Marne) appartient au CIVC. © PHOTOS C. STEF

Cette station météo installée dans des vignes à Épernay (Marne) appartient au CIVC. © PHOTOS C. STEF

François Langellier est ingénieur au pôle technique et environnement du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). Spécialiste de l'agrométéorologie, il étudie la fiabilité des prévisions météo et a défini un cahier des charges auquel ces prévisions doivent satisfaire pour être utiles en viticulture. Il répond aux questions de « La Vigne ».

Parmi les données météo nécessaires au viticulteur, certaines sont-elles plus fiables que d'autres ?

F. L. : Les prévisions de températures sont les plus fiables. Il est possible de prédire les températures minimales des trois à cinq prochains jours avec une fiabilité de 70 à 100 % (voir encadré p. 29). Dans une moindre mesure, les prévisions de la vitesse du vent et de l'hygrométrie sont également relativement fiables. C'est la prévision des pluies qui est la plus délicate. Pour ce qui est de leur occurrence (chute de pluie ou pas), la fiabilité des prévisions n'est que de 70 %, au maximum, à trois jours (voir encadré p. 29).

Peut-on calculer la durée des épisodes pluvieux et les hauteurs de pluie qui vont tomber ?

C'est extrêmement difficile. D'ailleurs la plupart des sites de prévisions météo ne précisent pas ces données.

Selon vous, pour suivre les pluies, il n'y a rien de tel que les images radar…

C'est exact. C'est un outil que j'encourage à consulter lorsque les modèles prévoient une période perturbée et orageuse. Grâce à l'image radar en temps réel, vous pouvez tout de suite voir si vos parcelles se trouvent sur la trajectoire d'un nuage de pluie ou pas. En plus, on peut voir si les pluies se renforcent ou au contraire diminuent d'intensité. Cet outil est intéressant si vous travaillez sur un pas de temps de 3 heures. Certes, il n'est pas fiable à 100 %, car il peut se tromper sur de petites pluies, mais pas sur les grosses. En plus, c'est une donnée gratuite et facilement accessible sur des sites comme Météo 60 ou Météociel.

Comment définir le cahier des charges des prévisions météo dont un viticulteur a besoin pour positionner ses traitements ?

Tout d'abord, le viticulteur doit définir l'échéance de la prévision dont il a besoin. Celle-ci dépend du temps qu'il met pour préparer la bouillie et traiter l'ensemble de son exploitation, avec une marge de sécurité d'un à deux jours.

En moyenne, un viticulteur met entre un et trois jours pour traiter toutes ses vignes. Il faut donc des prévisions fiables de quatre à cinq jours.

Ensuite, il faut prendre en compte le pas de temps, c'est-à-dire le temps que le viticulteur met pour appliquer une charge de pulvérisateur. Celui-ci est généralement de 3 heures. Durant ce laps de temps, il ne pourra pas stopper son traitement, sinon le produit risque de se dégrader dans la cuve. Il a donc besoin de prévisions fiables par tranche de 3 heures.

Le dernier aspect à prendre en considération est la résolution spatiale des données. 90 % des viticulteurs possèdent tout leur parcellaire sur une même commune. Une information sur une échelle de 100 ha, c'est-à-dire une prévision sur une maille de 1 km sur 1 km, est donc nécessaire.

Pour récapituler, les viticulteurs ont besoin de prévisions fiables à cinq jours, rafraîchies toutes les 3 heures, sur une maille de 1 km2.

Or, d'après vos observations, aucun modèle prévisionnel ne combine tous ces critères…

Effectivement, les modèles prévisionnels actuels ont une résolution spatiale qui n'est pas très fine : de 80 km sur 80 km à 2,5 km sur 2,5 km. Réjouissons-nous, c'est le modèle Arôme de Météo France qui a la résolution la plus fine, avec des prévisions sur une maille de 2,5 km2. Mais plus la maille est petite, moins le pronostic est fiable.

De même, le rafraîchissement des données toutes les 3 heures est loin d'être la règle. Souvent, il n'a lieu que toutes les 6 heures voire toutes les 12 heures. Enfin, la fiabilité des prévisions est moyenne à faible…

Il existe actuellement une multitude de sites internet qui proposent des prévisions météo, est-ce que certains sont plus performants que d'autres ?

J'ai tendance à recommander aux viticulteurs de consulter des sites ayant pignon sur rue comme Météo France ou Météo Consult qui travaillent avec des modèles de prévision officiels. Leur fiabilité est stable dans le temps, même s'il existe des différences entre ces sites (voir encadré ci-dessous).

Météoblue est également un site intéressant avec une présentation des données très précises. C'est notamment l'un des rares à s'engager sur des hauteurs de précipitations, même si ce paramètre est peu fiable. Météo 60, dont les données sont reprises par Météociel, plaira aux fans de météo car on peut zoomer sur une région française. Météociel propose aussi une très large palette parmi les modèles météo du monde entier. Il présente une profondeur de prévision intéressante qui va jusqu'à quinze jours.

Et les autres sites ?

Beaucoup ne sont que des prestataires de diffusion. Ils piochent les données sur différents sites et modèles puis établissent leurs propres prévisions. Mais s'il n'y a pas un expert météorologue pour les analyser, ces prévisions ne valent pas grand-chose. En plus, l'expert peut changer d'une année à l'autre. Et on peut passer d'une bonne expertise à une analyse plus médiocre. Il est donc difficile de se prononcer sur leur fiabilité et dire que l'un est meilleur que l'autre.

Vers un outil intégré

En plus des prévisions météo, les viticulteurs ont besoin de connaître la vitesse de la pousse de la vigne et le cumul des pluies pour raisonner le positionnement de leurs traitements. La vitesse de la pousse s'obtient en faisant la somme des températures en base 10. Cette donnée, ainsi que les hauteurs de pluie qui sont tombées, s'obtient grâce aux relevés des stations météo. Or, aujourd'hui, les viticulteurs n'ont pas accès à toutes ces informations sur un même site.

Le CIVC travaille donc à un outil qui intégrerait les prévisions météos, le cumul des pluies et des simulations de la vitesse de la pousse. Un outil que le viticulteur pourrait personnaliser en intégrant la date de son dernier traitement.

Météo France-Météo Consult : le match

Pendant six mois, tous les jours en début de matinée et d'après-midi, François Langellier a consulté les prévisions météo pour les moments à venir et jusqu'à huit jours pour la commune d'Épernay (Marne). Il l'a fait sur deux sites : Météo France et Météo Consult. Puis il a comparé les prévisions aux données réelles relevées par la station météo d'Épernay. « On se rend compte qu'il y a des différences de fiabilité selon le site et les paramètres », explique-t-il. Pour savoir s'il va pleuvoir ou non (occurrence des pluies), le pourcentage de bonnes prévisions n'excède pas 70 %, quel que soit le site. C'est à trois jours qu'elles sont les plus justes. « Tous les prévisionnistes le savent : souvent, la prévision de la pluie à deux ou trois jours est plus fiable que celle pour le jour J », indique François Langellier.

Sur ce paramètre, c'est Météo Consult qui semble le meilleur. La fiabilité des prévisions est constante et, même à huit jours, il donne 70 % de bonnes réponses. En revanche sur Météo France, la qualité des prévisions diminue nettement à quatre jours et au-delà.

Pour ce qui est de la prévision des températures, les choses s'inversent : Météo France est le plus performant. Dans les trois à cinq jours, il arrive à prédire les minimales avec une fiabilité de 70 à 100 %. Météo Consult donne des minimales toujours légèrement inférieures. « Il a tendance à être un peu pessimiste. » Les maximales sont plus difficiles à prévoir et aucun des deux sites n'arrive à 100 % de bonnes réponses, d'ailleurs ils ne parviennent qu'à 50 % de prévisions exactes à sept jours. Enfin, pour la prévision du type de temps (ou temps sensible : grand soleil, nuageux, orageux…), les deux sites sont très proches et arrivent au mieux à 60 % de bonnes réponses le matin pour l'après-midi.

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