Grappe présentant de la coulure et du millerandage. On observe de grands espaces vides, sans baies, signe qu'un grand nombre de fleurs n'ont pas noué ou ont produit des fruits qui sont tombés tout de suite après la nouaison. © M. ADRIAN*
Le pédoncule floral présente un étranglement à sa base, correspondant à une zone d'abscission. © C. HILT*
Qu'est-ce que c'est ?
La coulure est une chute excessive de fleurs et de très jeunes baies. Elle se manifeste entre la floraison et la nouaison et se mesure en déterminant le nombre de baies formées par rapport au nombre de fleurs présentes avant la nouaison. Chaque année, une proportion plus ou moins importante de fleurs et de baies ne se développe pas et tombe. Il s'agit d'un phénomène normal dont l'importance dépend des cépages mais qui prend des proportions excessives les années froides et humides, entraînant une chute des rendements.
Quelles en sont les causes ?
Des températures basses, juste avant la floraison, sont considérées comme l'origine majeure de la coulure. Au début des années quatre-vingt-dix, Alain Carbonneau, alors à l'Inra de Bordeaux, en Gironde, a remarqué, en analysant les conditions climatiques entre 1961 et 1989, que les années de coulure étaient celles où il avait fait froid dans les cinq jours précédant la floraison jusqu'à sept jours après le début de celle-ci.
En 1995, des Australiens ont publié les résultats d'une étude sur des chardonnays en pots cultivés sous serre à 25°C le jour et 20°C la nuit à partir du débourrement. À l'approche de la floraison, ils ont placé une partie des pots dans des conditions bien plus fraîches : 12°C le jour et 9°C la nuit durant la semaine juste avant la floraison. Le taux de nouaison de ces chardonnays était d'un tiers à moitié inférieur à celui des témoins.
Toutefois, les cépages ne réagissent pas tous de la même façon. Les chercheurs australiens ont réalisé la même expérience avec de la syrah. Son taux de nouaison a été peu affecté par la fraîcheur. Et, « la nouaison du cabernet sauvignon devient nulle lorsqu'il est exposé à des températures de 14°C/9°C (jour/ nuit), alors qu'elle atteint 56 % quand la température est de 20°C/15°C », indique Gaël Lebon, citant des recherches américaines dans sa thèse titrée « Importance des glucides lors de la floraison chez la vigne ».
De fortes températures peuvent aussi être néfastes. Les grains de pollen sont très sensibles à la chaleur. C'est entre 25°C le jour et 20°C la nuit que leur production est la plus importante. Par ailleurs, au-delà de 32°C, la fertilité des ovules et, par conséquent, la nouaison sont réduites.
Enfin, d'autres expériences ont montré que l'ombrage artificiel des feuilles provoque de fortes coulures. Cela laisse penser qu'un déficit d'ensoleillement est un facteur aggravant.
Quel est le rôle des pluies ?
Une forte pluviométrie provoque un stress lors de la reproduction de la vigne. Elle entraîne un alourdissement du capuchon floral et l'impossibilité pour les étamines de le soulever et de disperser le pollen. L'absence de pollen dans l'environnement ne permet pas aux fleurs d'être fécondées.
Qu'est-ce que la coulure physiologique ?
Elle n'est pas due au froid mais à un déséquilibre nutritionnel dont les causes ne sont pas toujours bien définies. Selon Alain Carbonneau, aujourd'hui professeur de viticulture à Montpellier Supagro (Hérault), « la coulure physiologique résulte d'un déséquilibre complexe où la vigueur élevée intervient en interaction avec les sources en carbone et d'autres nutriments comme les acides aminés ».
Peut-on la provoquer ?
Oui, par la défoliation précoce des rameaux. Des chercheurs suisses testent l'effeuillage sévère avant la floraison. Bien souvent, ils observent une forte coulure après un tel traitement (voir page 39). Cela s'explique aisément : la surface foliaire étant réduite, la photosynthèse s'effondre et avec elle la production d'assimilats qui permet le développement des fruits.
Si une maladie, le mildiou ou l'oïdium, attaque la vigne avant la floraison, cela entraîne un dessèchement des boutons floraux, qui est assimilé à de la coulure.
Quelle est la différence entre la coulure et le millerandage ?
« Le millerandage se caractérise par une absence de fécondation mais avec développement de baies parthénocarpiques, sans pépin ou sans pépin fonctionnel, poursuit Alain Carbonneau. Les baies millerandées mûrissent quand même. Selon les cépages, elles ont plus ou moins de retard sur les baies normales. » Ce phénomène est également lié à des conditions climatiques fraîches et/ou pluvieuses lors de la floraison, ainsi qu'à des problèmes de fécondation. Quand ils sont associés, coulure et millerandage peuvent provoquer de grosses pertes de récolte.
Quels sont les cépages les plus sensibles ?
Le merlot, les muscats, le gewurztraminer et le grenache noir sont des cépages résistant mal à la coulure. À l'inverse, le pinot noir y est peu sensible, mais il craint le millerandage.
Comment expliquer ces différences ?
Dans sa thèse, Gaël Lebon s'est attaché à répondre à cette question en comparant le pinot noir au gewurztraminer. Entre les stades 15 (boutons floraux agglomérés) et 17 (boutons floraux séparés), au moment où les ovules se développent dans les ébauches de fleurs, il a remarqué la présence d'amidon, donc de réserves glucidiques, dans les ovaires du pinot noir mais pas dans ceux du gewurztraminer. Les inflorescences de pinot noir sont également plus riches en sucres (glucose et fructose). Les organes femelles du pinot noir ont donc davantage de réserves et de sucres à leur disposition que ceux du gewurztraminer, c'est pourquoi ils sont moins sensibles aux stress climatiques.
Par ailleurs, des chercheurs comme Huglin et Balthazard ont montré que plus une inflorescence (future grappe) contient de fleurs, plus le taux de nouaison y est faible. Or, le nombre de fleurs par inflorescence varie, par exemple, de 100 pour le riesling et 230 à 250 pour le gewurztraminer, jusqu'à 750 pour le merlot.
Le niveau de réserve dans les souches a-t-il une influence ?
Il semble que non. Dans sa thèse, Gaël Lebon a montré que plus les ceps renferment des réserves élevées, plus les grappes portent de fleurs. À l'inverse, une faible mise en réserve induit une diminution du nombre de fleurs par inflorescence. Mais le niveau des réserves à la fin d'une année n'a pas d'effet sur le taux de nouaison des fleurs présentes l'année suivante.
Certaines pratiques viticoles favorisent-elles la coulure ?
Pas que l'on sache. Contrairement à une idée reçue, « des essais d'apport massif d'azote au moment de la floraison n'ont pas réussi à provoquer de la coulure à la demande », souligne Alain Carbonneau. Toutefois, il faut éviter les excès de fertilisation azotée pour ne pas causer de déséquilibre nutritionnel.
Et le mode de taille ?
Cela n'a pas été démontré. En revanche, laisser beaucoup de grappes en n'ébourgeonnant pas une vigne chargée peut altérer la nouaison, car la plante ne peut alors pas alimenter toutes les fleurs.
Quelles précautions faut-il prendre pour l'éviter ?
Il faut avant tout choisir des clones peu sensibles. Le choix du porte-greffe est également important. Il est aussi essentiel de limiter les déséquilibres nutritionnels en gérant bien la fertilisation azotée. Les années à risque, si le temps est frais et la floraison sur le point de démarrer, il est possible de réaliser un écimage ou un rognage en début de floraison, puis un second en fin de floraison pour réduire la compétition entre les apex et les inflorescences pour les produits de la photosynthèse.