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VIN

Micro-oxygénation : Un suivi analytique s'impose

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°254 - juin 2013 - page 50

Une étude de la chambre d'agriculture de la Gironde démontre les effets aléatoires de la micro-oxygénation. Pour s'assurer de l'effet bénéfique de cette technique, la dégustation ne suffit pas.
LE MICROBULLAGE a ses adeptes, notamment dans le Bordelais, comme ici à Fronsac (Gironde). © P. ROY

LE MICROBULLAGE a ses adeptes, notamment dans le Bordelais, comme ici à Fronsac (Gironde). © P. ROY

La micro-oxygénation a réservé bien des surprises à Jean-Christophe Crachereau. Cet œnologue de la chambre d'agriculture de Gironde s'est aperçu que cette technique, souvent conseillée pour assouplir des vins durs, pouvait au contraire renforcer leur dureté. Il arrive également que les effets bénéfiques constatés sur vins jeunes s'inversent au cours du vieillissement.

Jean-Christophe Crachereau a suivi dix essais sur cinq millésimes (2002 à 2006) de bordeaux et de bordeaux supérieur. Ces vins ont subi des apports d'oxygène à différents moments et à différentes doses. Ils ont été étudiés analytiquement et dégustés à plusieurs stades : juste après le traitement, après un an, après trois ans et, pour certains essais, après cinq ans de conservation en bouteille. Ce programme a duré dix ans.

« Nous avons obtenu des résultats très variables, sans pouvoir les relier aux doses d'oxygène utilisées ou aux caractéristiques analytiques des vins, indique Jean-Christophe Crachereau. Des vins de composition identique réagissent très différemment à la micro-oxygénation. Certains voient leurs tannins s'assouplir et leur couleur s'intensifier. D'autres, au contraire, vont se durcir et perdre en couleur. Ces évolutions ne sont pas non plus liées aux doses : même à 0,5 ml d'oxygène par litre de vin et par mois, nous avons eu des vins amaigris. À l'inverse, sur d'autres essais, des doses élevées ont eu des effets bénéfiques. »

Proposer une méthode opérationnelle de suivi des vins. L'étude a mis en évidence qu'en suivant certains critères analytiques du vin au démarrage de la micro-oxygénation, il était possible de prévoir l'évolution des vins. « Lorsque l'intensité colorante modifiée (ICM) du vin traité diminue par rapport à celle du témoin non traité et que les composantes rouge et jaune de la couleur – mesurées par la méthode CIE Lab – augmentent, nous avons constaté un effet négatif de la micro-oxygénation, poursuit l'œnologue. Si la couleur et les tannins évoluent dans l'autre sens, la micro-oxygénation a un impact positif. On peut également suivre l'indice de gélatine et le pouvoir tannant qui reflètent la réactivité des tannins. S'ils diminuent après la micro-oxygénation, cela laisse présager une mauvaise réaction du vin à la micro-oxygénation. » Un travail important de validation de ces observations doit encore être réalisé afin de proposer une méthode opérationnelle de suivi des vins.

Sur le terrain, les avis sont partagés sur cette étude. Ces résultats confortent certaines observations d'Henri-Claude Ducourneau, du centre œnologique de Cadillac (Gironde).

« Avec la micro-oxygénation, nous avons eu des échecs. Sur certains vins, nous observons des vieillissements précoces. Ces évolutions se produisent surtout quand on pratique la micro-oxygénation en cours d'élevage. En revanche, utilisée en cours de fermentation, cette technique nous a toujours donné de bons résultats. Elle permet d'apporter des doses maîtrisées d'oxygène, ce qui n'est pas le cas avec les remontages. Nous arrivons à stabiliser la couleur sans perte d'arômes. »

Même constat de Florent Niautou, qui travaille également au centre œnologique de Cadillac. « J'utilise cette technique essentiellement en cuvaison, après la fin de la fermentation alcoolique. Sur vin brut, souvent saturé en CO2, nous prenons moins de risque. J'observe toujours des effets positifs sur la stabilisation de la matière colorante et l'atténuation des notes de pyrazine. Sur les vins à commercialisation rapide, cette technique a du sens. Pour les vins de garde, les résultats sont plus aléatoires. Je préfère ne pas prendre de risque. »

La dégustation reste déterminante. Cédric Moreau, vigneron à Saint-Sauveur (Gironde) et conseiller en œnologie pour une douzaine de propriétés du Médoc, est convaincu. « Je pratique la micro-oxygénation depuis 1997. J'ai toujours eu des résultats très satisfaisants. Cette technique est particulièrement adaptée aux vins du Médoc, où le cabernet sauvignon est dominant. Elle permet d'intensifier et de stabiliser la couleur et de gommer les notes végétales sur des raisins qui manquent de maturité. Je l'utilise en fin de fermentation alcoolique à des doses de 80 à 100 ml/l et par mois pendant huit à dix jours et pendant l'élevage à des doses moindres : 2 à 5 ml/l et par mois. Il faut s'adapter au profil du vin et suivre de très près l'oxygène dissous pour utiliser les bonnes doses. Enfin, la dégustation reste l'outil de pilotage le plus déterminant. »

Selon Cédric Moreau, les cas où la technique ne fonctionne pas sont rares, pas plus d'une cuve sur vingt. « Quand je constate que l'éthanal n'est pas perceptible à la dégustation avec des doses de 80 à 100 ml/l et par mois, j'arrête le microbullage. »

Technique encore récente puisqu'elle a été développée par Patrick Ducournau avec l'Inra de Montpellier (Hérault) à partir de 1993, la micro-oxygénation n'a sans doute pas encore livré tous ses secrets. « Les marges de progrès restent conséquentes », estime Jean-Chistophe Crachereau.

NICOLAS VIVAS, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES DEMPTOS ET CHERCHEUR À L'INSTITUT DES SCIENCES MOLÉCULAIRES-UNIVERSITÉ BORDEAUX 1 (GIRONDE) « Surveiller la teinte et le pourcentage de bleu dans la couleur »

NICOLAS VIVAS, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES DEMPTOS ET CHERCHEUR À L'INSTITUT DES SCIENCES MOLÉCULAIRES-UNIVERSITÉ BORDEAUX 1 (GIRONDE)

NICOLAS VIVAS, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES DEMPTOS ET CHERCHEUR À L'INSTITUT DES SCIENCES MOLÉCULAIRES-UNIVERSITÉ BORDEAUX 1 (GIRONDE)

« L'étude de Jean- Chistophe Crachereau a le mérite d'alerter les professionnels sur les faiblesses du pilotage de la micro-oxygénation par la seule dégustation. La microoxygénation est une bonne technique, mais elle a été diffusée sans les outils pour bien l'utiliser. Il faut avoir conscience que l'oxygène qu'on apporte se solubilise dans le vin. Dans certains cas, ce traitement peut-être brutal et conduire à des déséquilibres. Quand on perçoit des effets négatifs à la dégustation, il est déjà trop tard pour faire marche arrière. Il existe des critères analytiques objectifs et simples à surveiller, comme la teinte (densité optique (DO) 420/DO 520) et le pourcentage de bleu dans la couleur (DO 620/intensité colorante), qui permettent de suivre avec précision l'impact des apports d'oxygène. Ces deux paramètres doivent augmenter de pair. Il faut également adapter les doses en fonction du pH, sachant qu'un pH élevé accroît la sensibilité du vin à l'oxygène. Ces critères analytiques, en complément de la dégustation, sont des outils d'aide à la décision très précieux pour définir les doses et le rythme des apports. »

PAUL OUI, RESPONSABLE TECHNIQUE VIN CHEZ LES VIGNERONS DE TUTIAC, À MARCILLAC (GIRONDE) « Nous faisons ressortir le fruité obtenu par la macération préfermentaire à chaud »

PAUL OUI, RESPONSABLE TECHNIQUE VIN CHEZ LES VIGNERONS DE TUTIAC, À MARCILLAC (GIRONDE)

PAUL OUI, RESPONSABLE TECHNIQUE VIN CHEZ LES VIGNERONS DE TUTIAC, À MARCILLAC (GIRONDE)

« C'est à la demande de nos clients négociants que nous avons démarré la micro-oxygénation. Et jusqu'ici, tous nos essais ont été positifs. Nous microbullons une dizaine de cuves par an, uniquement pendant l'élevage car nous manquons de temps pour le faire entre la fin de la fermentation alcoolique et les malos. Nous apportons 1 mg par litre de vin et par mois pendant deux à trois mois sur des vins à dominante merlot qui sont des assemblages de vins vinifiés en macération préfermentaire à chaud (MPC) et issus de vinification traditionnelle. Ce sont des vins destinés à être vendus dans l'année. Nous les soutirons peu : une fois en sortie de malo et une fois au printemps. Avec la MPC, nous avons souvent un côté réducteur. Les apports d'oxygène permettent de faire ressortir les arômes de fruit et d'intensifier et de fixer la couleur. Nous avons des vins plus ouverts. Le fruité obtenu par la MPC est sublimé par la micro-oxygénation. »

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