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VIN - TECHNIQUE À L'ÉPREUVE

Le soutirage à l'esquive

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°254 - juin 2013 - page 52

Responsable technique d'une exploitation en Gironde, Vincent Décup vient de réintroduire cette technique traditionnelle à Bordeaux.
LE TÉMOIN. Vincent Décup, 33 ans. – Ingénieur agronome et œnologue. – Il devient responsable technique des vignobles de Cancave en 2008 après un passage à Dominus Estate, en Californie (États-Unis). – Les vignobles de Cancave comptent 52 ha à Blaye (Gironde) répartis entre les châteaux le Cône (18 ha), Marquis de Vauban (27 ha) et la Voile d'or (7 ha). Avec environ 15 000 bouteilles, la cuvée Royale est le haut de gamme du château le Cône. La vente se fait à 50 % en France et à 50 % à l'étranger.

LE TÉMOIN. Vincent Décup, 33 ans. – Ingénieur agronome et œnologue. – Il devient responsable technique des vignobles de Cancave en 2008 après un passage à Dominus Estate, en Californie (États-Unis). – Les vignobles de Cancave comptent 52 ha à Blaye (Gironde) répartis entre les châteaux le Cône (18 ha), Marquis de Vauban (27 ha) et la Voile d'or (7 ha). Avec environ 15 000 bouteilles, la cuvée Royale est le haut de gamme du château le Cône. La vente se fait à 50 % en France et à 50 % à l'étranger.

« Un jour, en restaurant un ancien chai, nous sommes tombés sur une dizaine de barriques de 1991 avec deux esquives », se remémore Vincent Décup, le responsable technique du château le Cône, à Blaye (Gironde). Il ne lui en a pas fallu davantage pour s'intéresser au sujet et demander conseil à Éric Boissenot, l'œnologue de la propriété. Celui-ci connaît bien le soutirage à l'esquive puisqu'il suit de nombreux châteaux du Médoc et crus classés qui le pratiquent. Il encourage Vincent Décup à l'appliquer à son vin le plus qualitatif, la cuvée Royale. Celle-ci se distingue par une forte proportion de cabernet sauvignon (45 %) et un élevage de dix-huit mois en barriques avec trois soutirages.

« En février, nous avons réalisé le premier soutirage à l'esquive sur environ 15 % de nos barriques de la cuvée Royale de 2012 », indique Vincent Décup lors du deuxième soutirage réalisé le 27 mai au château le Cône. « Dix à quinze jours avant le début des soutirages, nous redressons les barriques qui étaient jusqu'alors placées avec la bonde de côté », décrit-il. En effet, au château le Cône, les barriques n'ont, pour le moment, qu'un seul trou d'esquive central, ce qui nécessite de les remettre avec la bonde sur le dessus avant de les soutirer.

« Avoir du vin sur les mains. » Vincent Badier, le maître de chai de l'exploitation qui assiste le responsable technique pour l'occasion, positionne une gouttière sous la première barrique. Et il donne quelques coups de marteau sur l'esquive pour la déloger de son emplacement. Dès qu'elle bouge, il l'enlève d'une main et la remplace par un robinet de soutirage de l'autre. Durant ce court laps de temps, un peu de vin s'écoule et Vincent Décup en plaisante : « Pour utiliser cette technique, il faut aimer avoir du vin sur les mains. »

Puis l'œnologue place un tuyau entre le robinet et le trou de bonde d'une barrique vide, retire la bonde de la barrique à soutirer et installe à la place une arrivée d'air comprimé qui va chasser le vin jusque dans la barrique vide. « Nous arrêtons le soutirage lorsque de l'air commence à passer dans le tuyau qui relie les deux barriques », explique Vincent Décup. À ce moment- là, il stoppe l'air comprimé, ferme le robinet et retire le tuyau. Puis il installe une chèvre sur la barrique. « C'est une sorte de treuil qui permet de la pencher sans trop bouger les lies », poursuit-il. Une seule personne peut ainsi terminer le soutirage.

Soulevée par la chèvre, la barrique se vide progressivement jusqu'au moment où Vincent Badier constate que le vin se trouble en passant un verre qu'il vient de remplir devant une bougie. Ce test « est le meilleur moyen pour détecter la présence de lies dans le vin. On peut ainsi effectuer une séparation parfaite », affirme-t-il. À ce moment, il reste en général entre 0,8 et 1,5 l de lies au fond de la barrique. Celles-ci sont facilement évacuées en faisant tourner la barrique sur elle-même grâce au système Oxoline.

Un temps de travail plus long. Pour soutirer cette première barrique, il a fallu une vingtaine de minutes. « Nous vidons environ trois barriques par heure et par personne, confirme le responsable technique. Mais il y a des temps morts que nous pouvons optimiser. » Par exemple, Vincent Décup envisage de nettoyer les barriques tout juste vidées pendant qu'un autre soutirage se fait. Pour le moment, « soutirer à l'esquive prend 30 % de temps en plus qu'un soutirage à la canne, la méthode que nous pratiquons sur nos autres vins », analyse-t-il.

Cette année, des tonneliers sont venus percer les trous d'esquive dans les barriques alors qu'elles étaient déjà dans le chai. Vincent Décup envisage de commander à ces tonneliers des barriques avec deux trous d'esquive l'an prochain. « De cette façon, nous pourrons réaliser les soutirages avec les bondes de côté sans avoir besoin de les redresser quinze jours avant », précise-t-il.

En raison du temps de travail plus long, il estime que le soutirage à l'esquive entraîne un surcoût « de 5 à 10 centimes d'euros par bouteille », ce qui ne semble pas l'inquiéter. Car c'est bien la volonté de conserver un savoir-faire qualitatif qui l'a poussé à réintroduire cette technique.

Un savoir-faire qualitatif

L'esquive désigne un trou placé en bas du fond avant d'une barrique et le bouchon qui l'obture. Une fois ce bouchon retiré, il faut rapidement le remplacer par le robinet de soutirage pour éviter de perdre trop de vin. © PHOTOSP. ROY

L'esquive désigne un trou placé en bas du fond avant d'une barrique et le bouchon qui l'obture. Une fois ce bouchon retiré, il faut rapidement le remplacer par le robinet de soutirage pour éviter de perdre trop de vin. © PHOTOSP. ROY

Lorsque le robinet de soutirage est en place, le maître de chai relie la barrique à soutirer à une barrique vide par un tuyau. Après avoir ouvert le robinet de soutirage, il envoie de l'air comprimé par la bonde de la barrique pleine pour transférer le vin. Dès que de l'air se met à circuler dans le tuyau, il ferme l'arrivée d'air et le robinet de soutirage.

Lorsque le robinet de soutirage est en place, le maître de chai relie la barrique à soutirer à une barrique vide par un tuyau. Après avoir ouvert le robinet de soutirage, il envoie de l'air comprimé par la bonde de la barrique pleine pour transférer le vin. Dès que de l'air se met à circuler dans le tuyau, il ferme l'arrivée d'air et le robinet de soutirage.

Le maître de chai place une chèvre sur la barrique à soutirer. Ce treuil s'appuie contre le mur et permet de pencher la barrique progressivement. Un seul opérateur peut ainsi finir le soutirage.

Le maître de chai place une chèvre sur la barrique à soutirer. Ce treuil s'appuie contre le mur et permet de pencher la barrique progressivement. Un seul opérateur peut ainsi finir le soutirage.

À l'aide d'une bougie, le maître de chai apprécie la limpidité des derniers litres de vin qui s'écoulent. Lorsqu'un trouble apparaît, il stoppe le soutirage. Il vide les dernières lies dans la gouttière en faisant tourner la barrique grâce au système Oxoline.

À l'aide d'une bougie, le maître de chai apprécie la limpidité des derniers litres de vin qui s'écoulent. Lorsqu'un trouble apparaît, il stoppe le soutirage. Il vide les dernières lies dans la gouttière en faisant tourner la barrique grâce au système Oxoline.

L'esquive est entourée de jonc pour la rendre étanche. On peut trouver un ou deux trous d'esquive par barrique, l'un à la verticale du trou de bonde, l'autre décalé de côté afin de pouvoir soutirer avec la bonde de côté.

L'esquive est entourée de jonc pour la rendre étanche. On peut trouver un ou deux trous d'esquive par barrique, l'un à la verticale du trou de bonde, l'autre décalé de côté afin de pouvoir soutirer avec la bonde de côté.

ÉRIC BOISSENOT, ŒNOLOGUE CONSEIL ET RESPONSABLE DU LABORATOIRE BOISSENOT À LAMARQUE (GIRONDE) « Moins d'oxygénation qu'avec une canne »

ÉRIC BOISSENOT, ŒNOLOGUE CONSEIL ET RESPONSABLE DU LABORATOIRE BOISSENOT À LAMARQUE (GIRONDE)

ÉRIC BOISSENOT, ŒNOLOGUE CONSEIL ET RESPONSABLE DU LABORATOIRE BOISSENOT À LAMARQUE (GIRONDE)

« Le soutirage à l'esquive est une méthode traditionnelle à Bordeaux. Il a fait ses preuves depuis longtemps, même s'il est plus long et peut-être plus fatigant qu'un soutirage avec une canne et une pompe. Il est plus qualitatif car le vin circule dans une faible longueur de tuyaux et ne passe pas dans un piston ou des palettes. Les niveaux d'oxygène dissous dans le vin lorsqu'on effectue un soutirage d'une esquive à une bonde sont d'environ 2 mg/l. En revanche, avec une pompe, on dissout deux fois plus d'oxygène.

On est à saturation. Lors d'un soutirage à l'esquive, il faut cependant veiller à ne pas faire plonger le tuyau dans la barrique que l'on remplit pour ne pas faire barboter d'air dans le vin à la fin. Dans la mesure où le vin est moins oxygéné, il se goûte mieux et plus rapidement, il est plus ouvert et les arômes sont bien préservés. En plus, à la fin de l'élevage, on peut atteindre des turbidités de 2 NTU et donc mettre directement en bouteille sans filtrer, à condition de ne pas avoir de soucis microbiologiques. On peut même utiliser cette technique sans électricité. Il m'est arrivé de tomber en panne de courant et donc de ne plus avoir d'air comprimé pour transférer le vin d'une barrique à l'autre. J'ai ressorti un soufflet à main et j'ai pu finir mes soutirages. »

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