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Magazine - Histoire

Période : 1884-1887 Lieu : Médoc (Gironde) La bouillie bordelaise : Mise au point tambour battant

FLORENCE BAL - La vigne - n°254 - juin 2013 - page 83

Face au mildiou, scientifiques et vignerons bordelais ont uni leurs efforts pour mettre au point le « mélange médocain » et sauver les vignes.
Préparation de bouillie bordelaise en 1931. © J. BOYER/ROGER-VIOLLET

Préparation de bouillie bordelaise en 1931. © J. BOYER/ROGER-VIOLLET

C'est un scénario digne d'un roman noir. À la fin du XIXe siècle, la viticulture française, encore sous le choc de la crise phylloxérique, voit apparaître un autre fléau. Le mildiou, une nouvelle maladie identifiée en 1878, se propage à vive allure et menace la production de vin.

Fleurs, feuilles et baies se recouvrent d'un feutrage blanchâtre. Les pertes de récolte sont considérables et le peu qui reste a un horrible goût qui évoque la feuille de lierre. Mais la collaboration exemplaire entre scientifiques et vignerons du Bordelais va conduire à la mise au point rapide de la bouillie bordelaise, meilleur moyen de lutte contre le parasite.

C'est Alexis Millardet, médecin et professeur de botanique, qui pilote les recherches. Il sera aidé par Ulysse Gayon, chimiste et directeur de la station viti-œno de Bordeaux (Gironde), et par Ernest David, régisseur des châteaux Dauzac, à Labarde, et Beaucaillou, à Saint-Julien-Beychevelle, alors propriétés de Nathaniel Johnston, négociant bordelais et propriétaire de vignes.

Spécialiste des maladies de lavigne, Alexis Millardet observe en 1882 que le champignon germe dans de l'eau distillée mais pas dans celle de son puits, dont les canalisations sont en cuivre. La même année, fin octobre, il remarque des vignes vertes et indemnes dans le Médoc. Situées en bordure de chemin, elles ont été badigeonnées d'une substance bleuâtre. Ernest David lui explique alors la coutume qui consiste à appliquer un mélange de sel cuprique et de lait de chaux sur les feuilles pour dissuader les grappilleurs. Alexis Millardet soupçonne alors une action possible du cuivre contre le mildiou. En 1883, la même constatation est effectuée en Bourgogne : des vignes enroulées sur des échalas traités au sulfate de cuivre sont indemnes de maladie.

À partir de 1884, année où le mildiou explose, Alexis Millardet expérimente divers mélanges de sulfate de cuivre et de lait de chaux avec l'aide précieuse d'Ernest David. Le 29 novembre, ce dernier lui adresse une lettre lui indiquant qu'il a collecté les pratiques en vigueur dans les autres propriétés. Il y dévoile le mélange le plus efficace, donné par le régisseur du château Saint-Pierre. « Dans 100 litres d'eau, on fait dissoudre 8 kg de sulfate de cuivre du commerce à 5,3 %, écritil. D'un autre côté, on fait, avec 30 litres d'eau et 15 kg de chaux grasse, un lait de chaux que l'on mélange à la solution de sulfate. » Le tout est aspergé sur les feuilles à l'aide d'un balai secoué au-dessus des vignes.

Le 1er avril 1885, Alexis Millardet communique officiellement ces résultats prometteurs. Et à la demande de Nathaniel Johnston, Ernest David traite plus de 250 000 ceps dans ses deux propriétés. À l'automne, les vignes traitées sont « saines et d'un beau vert », indiquera Alexis Millardet dans ses résultats. Au contraire, les vignes non traitées « présentent l'aspect le plus misérable ».

En 1886, le tandem Millardet-David démontre la supériorité du « mélange médocain » après l'avoir comparé à seize autres traitements. La bouillie bordelaise est définitivement consacrée comme le moyen le plus efficace pour lutter contre le mildiou de la vigne. Millardet découvre que les traitements doivent être préventifs pour être efficaces. De manière empirique, il préconise d'en effectuer trois : fin mai-début juin, fin juin et entre fin juin et les vendanges selon la gravité des attaques.

En 1887, Ulysse Gayon met au point le mélange de sulfate de cuivre et de lait de chaux à 20 % de cuivre métal qui est utilisé depuis. Il mettra en évidence le fait que les sels de cuivre empêchent la germination des spores du mildiou et donc la contamination de la vigne. Enfin, il démontrera l'innocuité du procédé : le cuivre pulvérisé sur le raisin est précipité pendant la fermentation alcoolique et ne se retrouve pas dans le vin.

« Les trois co-inventeurs de la bouillie bordelaise ont immédiatement mis leur découverte dans le domaine public, sans prendre de brevet et sans chercher à en tirer des bénéfices personnels », relève Pascal Ribereau-Gayon dans une biographie sur Ulysse Gayon. La filière viticole peut encore leur en être reconnaissante.

« Un savant bordelais : Ulysse Gayon », conférence de Pascal Ribereau-Gayon. « Le Médoc et la découverte de la bouillie bordelaise », R. Lafon. Dictionnaires biographiques. Cahiers d'exploitation du château Dauzac.

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