DOMAINE DE DISZNÓKŐ .Pour Jean-Michel Cazes, membre fondateur de Tokaj renaissance et de la confrérie de Tokaj, ce domaine d'une centaine d'hectares est celui dont il est le plus fier au sein du groupe Axa millésimes dont il fut aussi le fondateur. Le chai, dessiné par Ekler Dezs , a été construit en 1995. © DISZNÓKŐ
JUDIT BOTT ET JÓSZI BODÓ se concentrent sur le furmint, cépage roi de la région. Judit le décrit comme « élégant, gras, qui aime la vie » et développe son vignoble petit à petit sur différents terroirs répartis dans la région.
SAROLTA BARDOS, DES VIGNOBLES NOBILIS, produit une gamme de vin qui s'étend du vin blanc sec au tokay aszú 5 et 6 puttonyos, en passant par les kés i szüret (vendanges tardives).
STÉPHANIE BERECZ A CRÉÉ LA CAVE KIKELET. Aux enchères du 27 avril 2013, son fût de hárslevel sec du cru Váti 2012 a été adjugé au restaurant étoilé Michelin de Budapest, l'Onyx. PHOTOS M. HULOT
LE CHAI DE FÜLEKY a reçu en 2012 le prix du meilleur bâtiment industriel de Hongrie. Avec 16 ha, Füleky est l'un des producteurs les plus ambitieux de la région. © FÜLEKY
Samedi 27 avril 2013, le marteau de Nóra Winkler, jeune commissaire-priseur, retentit à plusieurs reprises dans la salle historique du château de Sárospatak, près de Tokaj. La toute première vente aux enchères de vins de Tokaj réunit une centaine d'amateurs et une vingtaine d'acheteurs hongrois et étrangers. Elle rapportera 67 500 euros. « Un résultat particulièrement prometteur », remarque Ronn Wiegand, critique américain venu commenter les vins et qui a participé, il y a trente ans, à la toute première vente aux enchères de vins de la Napa Valley.
Organisée par la confrérie de Tokaj, cette vente marque un nouveau tournant dans la région. Vingt-deux lots de dix-neuf producteurs étaient mis aux enchères. Parti à 14 000 euros le fût de 136 litres, un tokay aszù 6 puttonyos de 2010 – un liquoreux – du domaine Hétsz l, s'est vendu au meilleur prix, suivi de la cuvée du Grand maître de Samuel Tinon, un vin sec élevé sous voile (10 000 euros le fût). Cette vente est l'apogée d'une effervescence qui touche toute la région. « J'ai réuni vingt-huit amis fous de Tokaj, dont de nombreux vignerons français désireux d'accéder à des lots uniques », confiait Raphaël Reybier, directeur d'Hétszolo, au dîner de gala donné pour l'occasion.
Tokaj retrouve son souffle après avoir tourné une page sombre de son histoire. Rappelons qu'avant 1989, la Hongrie était sous le joug des Soviétiques et que la région produisait du vin en quantité pour satisfaire la soif des Russes. Le vignoble en garde encore la trace, avec ses vignes larges et ses clones productifs.
Mais cette période est déjà loin. La première décennie suivant la chute du communisme – 1990 à 2000 – a vu la privatisation du vignoble. Après la création de la Royal Tokaj wine company (capitaux anglais et danois au départ) en 1989, cinq sociétés ont été fondées entre l'État hongrois et des investisseurs étrangers : Hétsz l , Disznók , Pajzos, Megyer et Oremus. Elles présentent des gammes abouties, des vins secs jusqu'aux liquoreux.
Depuis 2000, d'autres profils d'investisseurs s'installent : on trouve par exemple des Hongrois ayant réussi dans des domaines aussi variés que la téléphonie (Pannon), les gouttes vitaminées (Béres), la politique ou la diplomatie (Patricius, Demetervin).
En 2006, la ferme d'état, rebaptisée Maison de commerce de Tokaj, a renouvelé toute sa cuverie. Elle a investi 5 millions d'euros pour s'équiper : pressoirs pneumatiques, cuves de flottation, filtre rotatif sous vide, cuves thermorégulées, filtre tangentiel Œnoflow XL et embouteilleuse automatisée jusqu'à la mise en carton de 7 000 bouteilles par heure. En revanche, elle ne connaît pas le tri parcellaire. Une survivance des années quatre-vingt pour produire 7 à 8 millions de bouteilles par an, essentiellement destinées aux supermarchés locaux.
Le marché a poussé le vignoble à produire des vins secs. Les producteurs ont délaissé ce qui a fait la richesse de leur région : les grains aszú, ces raisins qui sèchent sur les souches après avoir subi une attaque de pourriture noble puis qui sont ajoutés aux vins avant, pendant ou après la fermentation alcoolique pour obtenir des liquoreux. Il faut dire que leur production est compliquée, aléatoire et peu profitable. Quand il y en a, le kilo monte à 10 euros pour un maximum de 200 kg l'hectare. La dernière grande récolte de ces raisins archiconcentrés date de 2008, faute de météo favorable.
Mais surtout, ces quinze dernières années ont vu fleurir de nombreux petits producteurs qui montrent peu à peu le potentiel de ce terroir aux mille facettes géologiques. Avec leurs sélections parcellaires, leur travail propre et leurs cuveries de poupée, ils créent une émulation au sein du vignoble.
Judit Bott est née en 1977. Elle a grandi en Slovaquie, comme son mari Józsi. Après des études d'agriculture en Hongrie, elle a assuré les vinifications chez Füleky de 2000 à 2005 avant de créer sa cave en 2006, Bott Pincészet. Le premier millésime, 1 200 bouteilles de sec, fut épuisé en un dimanche au festival d'automne de Tokaj.
Depuis, le couple exploite 7 ha dont deux en fermage. Il se prépare à planter 1,8 ha. Il défriche pour cela des parcelles autrefois en vignes mais gagnées par les bois. Il va peut-être construire des terrasses et espère atteindre une dizaine d'hectares en production, pas plus. Les vignes sont travaillées au cheval, à façon (34 euros la journée). Judit et Józsi réhabilitent aussi une vieille bâtisse au pied des vignes. Ils comptent y accueillir les amateurs pour des dégustations et des balades à vélo.
Après avoir œuvré chez Gróf Degenfeld, Sarolta Bardos s'est lancée avec son mari, lui-même directeur d'une autre société (Patricius), en 2000. Avec leurs 6 ha, ils produisent environ 15 000 bouteilles par an. Pour elle, l'aszú est « un diamant que l'on ne porte qu'à de rares occasions ». Cependant, 70 % de ses vins sont secs car elle aimerait que le tokay « devienne une boisson quotidienne ».
Pour Stéphanie Berecz, l'équilibre parfait du vin de Tokaj se situe autour de 120 g de sucre par litre. Négliger le botrytis et les aszú est donc une ineptie ! Arrivée dans la région en 1993, cette jeune française a supervisé les vinifications d'entreprises comme Holdvögy et la Royal Tokaj wine company, tout en développant sa propre cave, Kikelet, en 2002. Elle ne s'interdit pas de « faire des bulles » si la maturité s'avère difficile, mais elle n'en a encore jamais fait. Son mari, un Hongrois, s'occupe de leurs 6 ha de vignes. Le couple ne cesse de recevoir des groupes dans son caveau où il vend la majeure partie des 11 000 bouteilles qu'il produit. István Szepsy Junior, lui, s'est déjà lancé dans la production d'un effervescent. Mais son projet est beaucoup plus vaste. « Notre village, Mád, est la plus grande commune viticole de la région de Tokaj avec 1 200 hectares. Beaucoup de vignes sont abandonnées ou produisent de mauvais raisins. Avec trois investisseurs, je cherche à construire la marque Mád. Nous projetons d'acheter des raisins sur contrat et de produire plusieurs millions de bouteilles de furmint sec. »
Son but : stopper l'exode rural et faire revenir les jeunes dans la région. Cette idée, beaucoup l'ont en tête. C'est le défi des années à venir.