Au goût du jour : Une levure qui ne souffre pas
La levure Lalvin ICV OKAY est issue d'un travail de recherche « lancé il y a quatre ans dans le laboratoire de Bruno Blondin, à l'Inra-Sup-Agro de Montpellier (Hérault) », commente Daniel Granès, directeur scientifique du groupe ICV, qui a collaboré à cette étude. Lallemand et l'ICV étaient à la recherche d'une levure ne produisant pas de SO2.
L'objectif était de satisfaire la demande de vinificateurs qui veulent obtenir des vins renfermant le moins de sulfites possible. L'ennui, c'est que moins une levure produit de SO2, plus elle risque de produire d'H2S, composé à l'odeur d'œuf pourri. Lalvin ICV OKAY devait donc regrouper deux caractéristiques difficilement conciliables.
Pour y parvenir, Jessica Noble, l'auteure des recherches, a utilisé la méthode dite des QTL (quantitative trait loci) qui permet de faire le lien entre le patrimoine génétique d'une souche et ses caractéristiques œnologiques.
Grâce à cette technique, elle a identifié les gènes impliqués dans la chaîne de production du SO2 d'une part et d'H2S d'autre part. À partir de là, elle a sélectionné des souches de S. cerevisiae qui ne possédaient pas les gènes indésirables et les a croisés entre elles pour obtenir une levure qui ne produit ni SO2, ni H2S. « Nous voulions également une levure fermentant rapidement, résistant à des températures extrêmes et ayant de faibles besoins en azote », détaille Daniel Granès.
Des dégustations à l'ICV, chez Lallemand et avec des étudiants d'une école d'agronomie ont été réalisées pour effectuer le choix final. Dénommée Lalvin ICV OKAY, la souche retenue produit des arômes fermentaires « mais moins que notre levure de référence, qui a un style fermentaire intense, précise Daniel Granès. On est sur la banane, mais moins amylique, plus complexe et avec plus de volume en bouche et de douceur ». La Lalvin ICV OKAY ne produit ni SO2, ni H2S, ni éthanal. Elle est commercialisée par l'ICV et Lamothe-Abiet.
Expression aromatique : Des thiols, toujours des thiols
Depuis leur découverte il y a plus d'une vingtaine d'années, les thiols variétaux n'ont cessé d'attiser l'intérêt des scientifiques et des techniciens. Ces molécules sont responsables des odeurs de pamplemousse, de fruits de la passion, de feuilles de tomate, de buis ou de genêt, notamment dans les vins de sauvignon blanc et de colombard.
La présence sur le marché de levures qui contribuent à la révélation de ces arômes est déjà importante. Mais cette année, de nouvelles souches sont à la disposition des vinificateurs.
Zymaflore Delta (Laffort) a une forte capacité à révéler les molécules 3-MH ou A3Zymaflore Delta (Laffort)-MH et une faible aptitude à révéler la 4MMP. De ce fait, cette souche révèle des arômes de fruits de la passion, de mangue et de litchi. Elle est aussi « très marquée par des notes de pamplemousse et de citron vert. Nous voulions une souche qui soit différente de la VL3 et de la X5, qui sont déjà révélatrices de thiols », indique Myriam Eshani, de chez Laffort. Zymaflore Delta est bien adaptée pour le sauvignon blanc mais aussi pour le riesling ou le colombard.
Vitilevure Tonic Yseo. Dans des essais comparatifs, cette souche a permis de doubler les niveaux de 4MMP dans les vins par rapport à une levure de référence. Elle est aussi capable de révéler des terpènes. Elle développe des notes d'agrumes et de fruits de la passion dans les vins blancs et rosés. Cette levure apporte une « bonne fraîcheur et une complexité aromatique aux vins », argumente une note de la firme. Elle est particulièrement adaptée aux sauvignons blancs et aux colombards.
Excellence TXL (Lamothe-Abiet) est une levure pour les vins rosés et les blancs secs. Elle permet de révéler les thiols, notamment sur les vins de sauvignon blanc, « tout en respectant la typicité du terroir », indique Marie-Laure Murat, de chez Lamothe-Abiet. Elle a également donné de très bons résultats sur gros manseng et même sur chardonnay où « elle apporte du volume en bouche ». Elle est dotée d'excellentes capacités fermentaires et d'un caractère POF négatif.
Maurivin UOA MaxiThiol (AB Mauri). En condition de laboratoire, cette levure a été capable de produire des concentrations en 4MMP de 31 à 151 ng/l dans des vins de sauvignon blanc, soit 38 à 188 fois le seuil de perception de cet arôme. Cette souche a une « très grande capacité à produire des thiols volatils mais également des esters fermentaires », observe AB Mauri. Elle peut fermenter entre 12 et 15°C et possède un caractère POF négatif, c'est-à-dire qu'elle n'a pas l'activité enzymatique responsable de la production de vinyls-phénols. Cette levure est adaptée aux sauvignons blancs, chenins blancs et même aux chardonnays.
Viniferm Revelacion (Agrovin) permet la révélation des thiols avec des notes d'ananas, de mangue et de fruits de la passion.
Non-Saccharomyces : Un filon que les firmes continuent d'explorer
Explorer la biodiversité des levures pour obtenir une diversité de vins, voilà comment pourrait s'expliquer l'intérêt des fabricants pour les non-Saccharomyces. Ces levures présentes sur les raisins et dans les vins sont apparues sur le marché sous forme de LSA depuis 2009. Plusieurs Plusieurs sociétés exploitent le filon. Depuis le millésime 2012, cinq nouvelles « non-Sacch » – c'est ainsi qu'on les appelle – sont à la disposition des vinificateurs qui veulent apporter complexité aromatique et rondeur en bouche à leurs vins. La plupart de ces levures ne peuvent achever à elles seules la fermentation alcoolique. Toutes sont à employer avec une S. cerevisiae. Voici ces nouveautés.
Biodiva (IOC/Lallemand) est une Torulaspora delbrueckii destinée à l'élaboration des vins rouges et des liquoreux. Cette levure « favorise la complexité aromatique sans écraser la personnalité des vins », précise une note de la firme. Les vins sont plus fruités, plus ronds et avec une meilleure expression aromatique en bouche. « Sur liquoreux, on diminue d'environ 50 % l'acidité volatile par rapport à une fermentation uniquement avec une Saccharomyces cerevisiae », observe Olivier Pillet, de l'IOC.
Concerto (Chr. Hansen) « est une Kluyveromyces thermotolerans lancée pour les vinifications 2012 », indique Nicolas Prost, de chez Chr. Hansen. Elle est polyvalente et peut s'utiliser pour l'élaboration de vins blancs secs, rosés ou rouges, plutôt du Sud, car elle produit des acides organiques. « De très bons résultats ont été obtenus sur pinot noir avec l'augmentation des notes de fruits rouges, de groseille, de cerise et de framboise », expose Nicolas Prost.
Flavia (Lallemand) est une Metschnikowia pulcherrima qui libère des terpènes. « C'est une levure très particulière puisqu'elle ne fermente pas mais se multiplie beaucoup » , commente Anthony Silvano, de Lallemand. Elle possède un équipement enzymatique très complexe qui lui permet d'augmenter « la disponibilité des précurseurs de thiols », notamment des sauvignons blancs, du colombard ou du verdejo.
Fermol Pulkerrima (AEB-Spindal) est une autre Metschnikowia pulcherrima bien adaptée à l'élaboration des vins blancs et rosés. Elle permet de diminuer les niveaux d'acidité volatile par rapport à une Saccharomyces seule. « Vu qu'elle possède un rendement de 20 à 22 g de sucre par degré d'alcool formé, elle permet aussi d'obtenir des vins avec un degré d'alcool moindre », argumente Walter Mulinazzi, de la société Spindal. Cette levure « augmente les arômes de pêche et de buis ».
Levuline symbiose (Lallemand) comprend deux espèces de levures dans un kit (Torulaspora delbrueckii et une Saccharomyces cerevisiae) pour l'élaboration des « vins blancs haut de gamme » , signale la firme. Ces deux levures inoculées de façon séquentielle apportent de la rondeur et de la complexité aromatique. Ce kit est bien adapté pour les cépages chardonnay, chenin blanc, sémillon ou encore ugni blanc.
Vinifications particulières : Des levures spécifiques
Vins de voile, effervescents en cuve close ou en méthode traditionnelle, vins de distillation… Autant de produits qui nécessitent des levures spécifiques. Les firmes ont sélectionné plusieurs souches pour s'adapter aux besoins des vinificateurs.
Sotoline (Œnofrance/Sofralab) est une levure capable de faire la fermentation alcoolique, puis de former un voile. Sofralab l'a sélectionnée pour les vins jaunes ou les xérès. « C'est la première levure de ce type sous forme de LSA », vante Aline Martin, de Sofralab. Cette Saccharomyces cerevisiae isolée à partir d'un voile développe des arômes de noix, de curry et de fruits secs caractéristiques des vins jaunes. Son nom vient du sotolon, molécule responsable de la typicité de ces vins. Lors d'un essai mené sur un vin blanc de marsanne, après 35 mois d'élevage sous voile avec Sotoline, le sotolon a atteint des valeurs quatre fois supérieures à son seuil de détection.
Lalvin ICV D254 Yseo (ICV/Lallemand) convient aux vins de distillation. Elle était jusqu'à présent destinée à l'élaboration des vins rouges de type méditerranéen. Mais « elle produit très peu d'alcools supérieurs et une forte proportion d'ester d'acide gras du type caprylate, caprate et laurate d'éthyle, qui sont des marqueurs qualitatifs pour les vins de distillation », selon Anthony Silvano, de Lallemand. Cette levure produit peu de SO2 et d'éthanal et à de faible besoin en azote.
Excellence FBY (Lamothe-Abiet) est une Saccharomyces cerevisiae sélectionnée pour les vins destinés à l'élaboration de cognac, de pisco ou de brandy. « Elle produit très peu de SO2, d'alcools supérieurs, d'éthanal et d'acétate d'éthyle, explique Marie-Laure Murat, de la société Lamothe-Abiet. Elle synthétise plutôt des esters fermentaires aromatiques. » Excellence FBY est déjà référencée par le BNIC.
Excellence E2F (Lamothe-Abiet) est destinée à l'élaboration des vins de base et aux prises de mousse des vins effervescents en méthode traditionnelle. Elle convient aussi aux reprises de fermentations.
SP39 et SP49 (SOEC/Sofralab) sont destinées à l'élaboration d'effervescents en cuve close. Selon Sofralab, ces levures apportent de la complexité et développent des arômes frais à dominante florale pour la SP39 et fruitée pour la SP49. La SP39 est destinée à l'élaboration de vins effervescents blancs ou rosés de type proseco. La SP49 peut être utilisée pour des vins effervescents blancs, rosés ou rouges de type lambrusco.
Levulia Probios (Œnologie Immélé) est une levure biologique pour vins blancs secs et vins effervescents validée Écocert. « Elle respecte les arômes variétaux des cépages », souligne une note de la firme. « Elle est capable de faire la fermentation alcoolique mais également les reprises de FA », annonce Jean-Victor Thomann, du laboratoire Œnolia.
La base de données levures de « La Vigne »
L'ensemble des levures disponibles sur le marché sont recensées dans la base de données du site de « La Vigne » (www.lavigne-mag.fr). Cette liste est en accès réservé aux abonnés. Vous y trouverez les 327 levures classées par ordre alphabétique, par propriétés œnologiques ou par société. Vous aurez en détail l'ensemble des propriétés de chacune de ces levures, comme par exemple leurs besoins en azote, le type de vins auxquels elles s'adressent ou encore leur capacité à acidifier ou désacidifier les vins.
Des recherches et des essais pour améliorer les vins dans le futur
Réduction de l'éthanol. Depuis plus d'une quinzaine d'années, les sélectionneurs cherchent des souches qui produisent moins d'éthanol. « Les niveaux élevés en alcool des vins sont un gros souci, notamment pour les vins méridionaux », estime Sylvie Dequin, directrice adjointe de l'unité mixte de recherche Sciences pour l'œnologie de Montpellier (Hérault). Des souches OGM faiblement productrices d'éthanol ont déjà été développées en laboratoire. « Depuis environ cinq ans, nous essayons de OGM faiblement productrices d'éthanol ont déjà été développées en laboratoire. « Depuis environ cinq ans, nous essayons de développer des souches non OGM. Les travaux sont encore en cours », explique-t-elle.
Améliorer la stabilité des vins dans le temps. Les polysaccharides levuriens ont un rôle sur la stabilité de la couleur et sur la structure des vins. « Avec les nouveaux outils analytiques, nous caractérisons mieux ces molécules et leur interaction avec le vin », mentionne une firme. Les chercheurs s'en servent pour sélectionner de nouvelles souches permettant d'obtenir une couleur plus stable, par exemple.
Et les vins rouges ? Une société essaye d'identifier les arômes typiques des vins rouges et leurs précurseurs. Comme pour les thiols il y a plusieurs années, il sera ainsi possible de sélectionner des levures qui peuvent révéler les précurseurs typiques de certains cépages rouges. « Après avoir mieux caractérisé l'arôme des vins rouges, on pourra orienter les recherches pour la sélection de nouvelles souches de levures », indique la société qui travaille sur ce projet.