LA VIGNE est cultivée depuis toujours dans l'archipel des Baléares. Aujourd'hui, ces îles espagnoles de la Méditerranée comptent deux dénominations d'origine et six indications géographiques protégées. © M. FRONTERA/CRDO BINISSALEM G
AU DOMAINE DE RAMANYA, à Santa Marias del Camí, la famille Ramis a créé un musée avec de très nombreux outils anciens.
JOSÉ LUIS FERRER est le petit-fils d'un des pionniers de la viticulture dans l'île de Majorque. Avec ses 60 ha, il possède aussi l'un des plus gros domaines. © H. HEBEISEN/IBERIMAGES
PIA OLIVER est revenue sur le domaine créé par son grand-père, à Petra, après s'être formée en Alsace. Elle propose des bouteilles aux habillages modernes vendues entre 5 et 15 euros le col.
L'archipel des Baléares est célèbre dans le monde entier. Pas pour son vignoble et ses vins, mais pour ses plages et sa vie nocturne ! Pourtant, la vigne est cultivée depuis toujours dans ces îles espagnoles de la Méditerranée.
Lorsque les premiers touristes sont arrivés au début des années 1960, la viticulture était moribonde à Majorque, la plus grande des îles des Baléares. Seule une poignée de vignerons subsistait, tel José Luis Ferrer, installé depuis les années trente. Son petit-fils, aujourd'hui propriétaire d'une soixantaine d'hectares dans la région de Binissalem, au centre-ouest, est fier de faire visiter son musée où les photos anciennes côtoient du petit matériel œnologique. « Peu d'œnologues s'intéressaient alors à notre vignoble », explique le viticulteur, qui porte le même nom que son aïeul.
Dans cette région centrale de l'île protégée des vents froids venus du nord par des massifs montagneux, son grand-père a planté des cépages aux qualités reconnues : cabernet sauvignon, syrah, merlot, chardonnay et sauvignon… « Nous avions bien des cépages locaux, mais ils étaient souvent virosés, peu productifs et très irréguliers », poursuit-il.
D'autres vignerons lui ont emboîté le pas, mais en militant pour le retour des variétés locales et une reconnaissance du terroir. Leurs efforts ont été couronnés de succès puisque la DO (Denominación de origen, dénomination d'origine) Binissalem est née en 1989. Aujourd'hui, l'aire comprend quelque 440 ha de vigne cultivés par une douzaine de viticulteurs, dont deux produisent 80 % des 15 000 à 20 000 hl de la récolte annuelle.
« Le manto negro, principal cépage rouge de l'appellation, est particulièrement bien adapté au climat sec de l'île, affirme José Luis Ferrer. C'est un cépage tannique, mais très oxydatif. Il a tendance à perdre sa couleur durant la vinification. Pourtant, il donne de bien meilleurs résultats que le cabernet sauvignon, sensible à la sécheresse. » Les vignerons retrouvent également les qualités du prensal (ou moll), un cépage blanc traditionnel, le principal de l'appellation.
Certains producteurs vont même plus vite que le Conseil régulateur (CRDO), l'équivalent des ODG en France, introduisant le cépage giro dans les vins blancs, alors qu'il n'est pas encore autorisé. « Il est en phase d'expérimentation mais devrait bientôt être incorporé à notre cahier des charges », assure-t-on au CRDO de Binissalem.
Bien qu'il n'ait qu'une dizaine d'années d'existence, le domaine de Ramanya dispose d'un très riche musée des vieux outils. Installé à Santa Maria del Camí, Tobi Ramis croit en l'avenir du vin et écoule quasiment la totalité de ses 120 000 cols sur l'île. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des vignerons : 83 % des vins produits à Majorque sont vendus aux 10 millions de touristes – essentiellement allemands – qui viennent en villégiature aux Baléares. 15 % sont exportés, surtout en Allemagne et seulement 2 % trouvent preneurs en Espagne continentale ! Propriété d'une riche famille espagnole spécialisée dans la distribution de boissons, la bodega Tianna Negre est dirigée par un sommelier français d'origine alsacienne, Patrick Paolen. « La cave a été construite en 2007 en respectant tous les principes de l'écoconstruction : panneaux solaires, puits, recyclage de l'eau, matériaux écologiques… », rapporte-t-il. Le domaine se donne comme objectif de développer l'export, même s'il ne représente aujourd'hui que 5 % de ses ventes. « Nous allons monter en puissance, en ciblant l'Allemagne et la Suisse », détaille Patrick Paolen. Doté de 35 ha en propriété, il achète des raisins aux producteurs voisins et élabore également de l'huile d'olives. Le Français a même planté du tannat, qu'il apprécie. « Dans la mesure où il est intéressant, pourquoi ne pas l'introduire dans l'appellation ? »
Cette envie de cépages, Miquel Gelabert, un autre vigneron, l'a poussée à l'extrême. Il a même été surnommé le « fou de Manacor », du nom du village où se trouve sa cave, au cœur de l'autre dénomination d'origine de Majorque, Plà i Llevant, 250 ha au sud-est de l'île.
Devant des murs couverts de diplômes, il aime à raconter son parcours d'ancien restaurateur et amateur de vin qui s'est lancé dans la viticulture en 2000. « Je voulais un vin pour chacun des plats que j'élaborais. » D'emblée, il plante jusqu'à 36 cépages différents ! On trouve ainsi chez lui du gorgollassa en rouge ou encore du jaumillo en blanc.
Ses assemblages sont uniques, voire exotiques, comme ce mélange riesling, muscat, viognier et giro blanc. Le plus étonnant est qu'il combine ces multiples cépages avec une quinzaine de types de barriques distincts selon leur essence, leur toastage et leur âge. Et ne croyez pas que Miquel Gelabert se fait uniquement plaisir : il vend tout, dont la moitié à l'export, et très cher.
Ce n'est pas encore le cas de Pia Oliver, jeune et dynamique vigneronne formée en Alsace, exploitant le domaine familial créé par son grand-père, à Petra, situé à une dizaine de kilomètres de Manacor, dans l'est de l'île.
Avec son énergie et sa bonne humeur communicative, elle vante les qualités du callet rouge pour les vins de Plà i Llevant. « Il donne de biens meilleurs résultats qu'à Binissalem grâce au climat marqué par l'air marin », renchérit Michel Feliu, président du CRDO.
Pia Oliver cultive également du fogoneu rouge. Elle propose des bouteilles aux étiquettes résolument modernes, vendues entre 5 et 15 euros le col, des prix pratiqués par la plupart des caves majorquines. Cette vigneronne a en projet la construction d'une nouvelle cave, au cœur du vignoble, pour ne plus jongler entre ses deux lieux de vinification actuels et disposer d'un caveau digne de ce nom.
C'est d'ailleurs une tendance générale chez la plupart des caves majorquines : développer la vente directe. À cet effet, le CRDO de Binissalem a créé depuis peu une route des vins mettant en valeur les domaines et les principaux centres d'intérêts touristiques, sans oublier les restaurants qui proposent une cuisine traditionnelle.
Au-delà de leurs deux DO, les Baléares comptent six indications géographiques protégées – les îles d'Ibiza, Menorca et Formentera ayant chacune la leur –, portant le volume total de production à 46 300 hl (récolte 2011) pour une surface de 1 200 ha. Mais la pression immobilière reste forte dans ces îles paradisiaques, laissant planer bien des incertitudes sur l'avenir du vignoble