Depuis une dizaine d'années, les mesures de pesticides contenus dans l'air se multiplient. Ces études s'inscrivent dans le cadre de la loi sur l'air du 30 décembre 1996 qui rappelle le droit pour chacun de respirer un air sain. Cette loi a instauré une surveillance et une information du public. Elle impose de l'alerter, voire de prendre des mesures d'urgence en cas de dépassement de seuils par différents polluants tels l'ozone, le dioxyde d'azote ou encore le dioxyde de soufre.
La région Poitou-Charentes a été l'une des premières, après la région Centre, à réaliser des mesures de pesticides dans l'air. Ces études sont menées par Atmo Poitou-Charentes. Depuis 2003, cette association suit régulièrement un site de référence à Poitiers, dans la Vienne. En 2006, elle a également effectué des prélèvements sur les communes viticoles de Juillac-le-Coq et Saint-Preuil, en Charente, deux villages situés à 15 km l'un de l'autre et situés à 150 km au sud de Poitiers. En 2012, Atmo Poitou-Charentes a renouvelé ses prélèvements en zone viticole, mais sur Juillac-le-Coq uniquement.
Concentration constante. Si le nombre de molécules utilisées est estimé à plus de 300, Atmo Poitou-Charentes ne recherche que les principales : 36 en 2006, contre 60 en 2012. « Nous réactualisons la liste des molécules que nous mesurons au fur et à mesure de l'évolution de la réglementation, précise Agnès Hullin, ingénieure études à Atmo Poitou-Charentes. Certaines molécules ont été interdites, notamment des insecticides, et ont donc disparu des mesures. »
Ces études – qui figurent sur le site d'Atmo – indiquent que la concentration en pesticides dans l'air à Poitiers reste relativement constante d'une année à l'autre, de l'ordre de quelques nanogrammes (ng), ou milliardièmes de grammes, par mètre cube d'air, toutes molécules confondues. À Juillac-le-Coq, les concentrations sont nettement plus élevées qu'à Poitiers. Elles ont culminé à 60 ng/m3 en juillet 2012 et à 24 ng/m3 en juillet 2006. À chaque fois dans ce village viticole, c'est le folpel qui est la molécule la plus abondante. Atmo observe des pics de pesticides dans l'air peu de temps après les traitements, ce qui atteste de la volatilité des produits phytosanitaires.
« 2012 a été une année difficile, favorable au mildiou, tempère Agnès Hullin. C'est pour cette raison que l'on a retrouvé une forte concentration de folpel, y compris dans un site urbain éloigné des vignes comme l'est Poitiers. »
Reste à évaluer l'effet sur la santé de ces contaminations diffuses. Sur ce thème, rien n'est établi. On sait que le folpel est nocif par inhalation, mais à des doses infiniment supérieures à celles rencontrées dans l'air ambiant du vignoble de Cognac.
Atmo Poitou-Charentes souligne dans les conclusions de son rapport 2012 « qu'il est difficile, à l'heure actuelle, de quantifier la part du comportement aérien dans l'exposition globale des populations aux pesticides, qui peuvent être également exposées à travers leur alimentation. (…) En 2011, une équipe du CHU de Poitiers avait montré une surmortalité significative de la population habitant dans les vignobles de 29 % pour la maladie de Parkinson et de 19 % pour les lymphomes ».
En Aquitaine, l'observatoire de la qualité de l'air – l'Airaq – a mené une enquête en 2011 sur les polluants présents dans l'air ambiant de quatre écoles situées en zone viticole de Gironde, à savoir Saint-Émilion, Saint-Estèphe, Saint-Gervais et Saint-Sulpice-de-Faleyrens. Les conclusions montrent « la prédominance des fongicides, notamment le folpel », ainsi « qu'une forte saisonnalité avec des niveaux très faibles relevés au printemps » et plus importants en été, lors des traitements. À titre d'exemple, sur les 56 molécules recherchées, onze ont été quantifiées dans la période estivale (mi-mai à fin juin) à Saint-Émilion. Sans surprise, c'est le folpel qui se démarque avec 21,3 ng/m3.
Interrogé par nos confrères du magazine « Futura Santé », le directeur de l'Airaq, Patrick Bourquin, reste prudent sur les conclusions à tirer de ces études. « Il est impossible de savoir si les concentrations mesurées, de l'ordre d'une vingtaine de nanogrammes par mètre cube d'air dans chaque école, sont potentiellement dangereuses. »
Les recherches se poursuivent. Geneviève Bouvier, de l'Institut de santé publique d'épidémiologie et de développement (Isped) de l'université Bordeaux 2, veut savoir s'il y a un lien entre les teneurs en pesticides dans les écoles et les maladies respiratoires des enfants. Elle a réalisé une étude en deux temps : au début du printemps puis à la fin de l'année scolaire. Les équipes de l'Isped ont mesuré le souffle des enfants et interrogé leurs parents par questionnaire pour savoir s'ils souffrent de maladies ou d'allergies respiratoires. Les conclusions de l'enquête seront connues fin 2013.
L'Union des industries de la protection des plantes (UIPP) suit de près ces études. « Je comprends que le sujet de la présence de pesticides inquiète le corps médical et les citoyens, dit Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP. Les capacités d'analyse sont très fines, puisque la Loq (limite de quantification) est de l'ordre de 20 pictogrammes par mètre cube (20 millièmes de milliardième de gramme). En France, sur les 125 000 résultats annuels, 88 % montrent l'absence de traces au niveau des seuils de détection, 11,7 % sont à moins de 100 pg/m3 avec une répartition saisonnière et une quasi-absence en hiver. »
Bientôt une analyse des cheveux
En septembre prochain, le CHU de Poitiers (Vienne) va lancer l'étude Phytotif pour mieux connaître les molécules auxquelles les viticulteurs et les ruraux sont exposés. Les cheveux de 100 viticulteurs et de 100 habitants seront analysés. En parallèle, Atmo Poitou-Charentes effectuera des mesures de pesticides dans les vignes et dans les habitations. En février dernier, l'association Générations futures avait fait parler d'elle en annonçant qu'elle avait retrouvé, sans les quantifier, des traces de pesticides dans les cheveux d'ouvriers viticoles et de riverains des vignobles.
Le Point de vue de
CARINE REYNIERS, CHEF DE PRODUIT INSECTICIDE ET FONGICIDE CHEZ MAKHTESHIM AGAN
« Pas de risque pour l'homme »
«Le folpel est une des molécules les plus utilisées dans le vignoble, soit seule, soit au sein de produits formulés. On peut le mesurer dans l'air, ce qui n'est pas le cas de toutes les molécules.
Ce qui est mesurable est donc fatalement repérable. La question est de savoir si cela pose un problème pour la santé humaine. Makhteshim Agan a embauché un toxicologue il y a dix-huit mois pour mesurer ce risque. Nous avons mis un protocole d'analyse en place, validé par des scientifiques extérieurs à notre entreprise.
Il en ressort que même à des teneurs plus importantes que celles mesurées, il n'y a pas de risques pour l'homme. Alors que les utilisations ménagères des insecticides ou la pollution des voitures ont un réel impact. »