L'alimentation azotée de la vigne est un facteur prépondérant de la qualité des vins blancs comme des vins rouges. C'est l'un des enseignements d'une vaste étude menée par les chercheurs suisses de l'Agroscope de Changins, en Suisse.
En blanc, de multiples travaux ont déjà démontré l'intérêt d'une bonne nutrition azotée pour renforcer le potentiel aromatique des vins, notamment des sauvignons. Les chercheurs suisses démontrent que l'alimentation azotée de la vigne impacte également la qualité de certains vins issus de cépages rouges, comme le merlot et le pinot noir.
« Tous les cépages de notre étude n'ont pas réagi de la même façon, mais pour le pinot noir, le merlot et le gamaret (un cépage suisse issu d'un croisement entre le gamay et le reichensteiner, NDLR), nos résultats sont très nets. Lorsque les moûts ont des teneurs en azote assimilables supérieures à 140 mg/l, les vins sont mieux notés », soutient Vivian Zufferey, un des auteurs de l'étude.
Sur merlot, au cours des trois années d'observation, les vins avec les teneurs en azote assimilable les plus élevées (210 à 280 mg/l de moût) sont jugés les plus fruités, complexes et charpentés. Et leurs tanins sont les plus tendres. En revanche, lorsque les moûts renferment moins de 140 mg/l d'azote assimilable, les tanins sont plus secs. Les vins laissent une impression générale moins agréable aux dégustateurs.
Couleur moins soutenue et vins plus astringents. Un autre facteur a influencé la qualité des vins de merlot : le rendement. Sur les douze parcelles et durant les trois années de l'essai, il s'est situé entre 5 000 et 12 000 kg/ha. Les parcelles les plus productives ont donné des vins d'une couleur moins soutenue et d'une structure tannique plus légère que les autres.
Comme pour le merlot, « une alimentation azotée déficiente a influencé négativement la qualité des vins de pinot noir », notent les chercheurs suisses. Les pinots noirs issus des moûts les moins riches en azote (moins de 140 mg/l d'azote assimilable), sont les plus astringents. Dès que le niveau d'azote dépasse 140 mg/l, les vins laissent une meilleure impression aux dégustateurs. Ces résultats concordent avec les mesures analytiques. En effet, le pouvoir tannant qui quantifie l'astringence baisse lorsque la teneur en azote des moûts augmente.
Les Suisses font d'autres observations sur le pinot noir. Ils remarquent que plus les baies sont riches en azote, plus l'acidité totale des moûts est élevée et plus ils renferment d'acide malique aux vendanges. Autre élément très dépendant de la teneur en azote des moûts : la teneur en polyphénols, mesurée par l'indice des polyphénols totaux (IPT). Ces résultats concordent avec d'autres études qui ont montré l'effet négatif d'une alimentation azotée trop importante sur la quantité de polyphénols dans les vins.
Des résultats disparates selon les cépages. « Dans le Valais (Suisse), le pinot noir assimile très bien l'azote. Nous obtenons fréquemment des moûts qui en contiennent plus de 300 mg/l. Nous constatons un effet bénéfique sur la qualité des tanins. Mais à dose trop élevée, la qualité des vins diminue car nous avons des problèmes de pourriture grise qui nous obligent à récolter avant maturité », constate Vivian Zufferey. Le gamaret, un nouveau cépage planté en Suisse et testé en Beaujolais, pâtit également d'une mauvaise alimentation azotée. Ses vins sont alors moins fruités, plus végétaux et plus astringents.
Dans leur étude, les Suisses ont encore testé trois autres cépages noirs, tous obtenus récemment par croisement de variétés anciennes : le diolinoir (robin noir et pinot noir), le gallotta (ancellotta et gamay) et le garanoir (gamay et reichensteiner). Contrairement aux vins de pinot noir et de merlot, leurs vins ne souffrent pas du manque d'azote. Le diolinoir et le gallotta ont surtout des exigences climatiques. L'année 2009, chaude et sèche, leur a bien réussi. Quant au garanoir, cépage précoce, il est apparu peu sensible aux multiples paramètres mesurés par les chercheurs
Outre ces six cépages noirs, quatre blancs étaient étudiés : le viognier, le pinot gris, le gewurztraminer et le doral (croisement entre le chasselas et le chardonnay). Seul le premier s'est montré insensible à l'alimentation azotée. Chez les trois autres, un déficit impacte la qualité des vins. Les chercheurs poursuivent leurs travaux. Désormais, ils veulent comprendre les causes des carences en azote. « C'est encore une zone d'ombre. Nous avons engagé une nouvelle étude af n de l'éclaircir », indique Vivian Zufferey.
Une étude de longue haleine
Initiée en 2000, l'étude de l'Agroscope porte sur l'adaptation de dix cépages, six rouges et quatre blancs, aux terroirs vaudois. Les chercheurs ont d'abord caractérisé les terroirs et les climats du canton de Vaud (Suisse). Puis, en 2003, ils ont planté 130 parcelles avec les dix cépages. Dans la mesure du possible, ils ont appliqué les mêmes pratiques culturales à toutes les parcelles. En 2007, 2008 et 2009, ils ont suivi chaque parcelle, notant les stades végétatifs, le rendement, la vigueur, l'alimentation hydrique et minérale, etc. pour identifier les facteurs déterminants de la qualité des vins. Ils ont vinifié chaque parcelle séparément. Lorsque les moûts étaient carencés en azote (moins de 140 à 165 mg/l d'azote assimilable), ils y ont ajouté du phosphate d'ammonium pour éviter les fermentations languissantes. Des analyses sensorielles et chimiques ont été effectuées pour caractériser les vins et les mettre en relation avec les paramètres agronomiques et pédoclimatiques. C'est ainsi que les chercheurs suisses ont montré l'effet déterminant de la nutrition azotée sur la qualité des vins de pinot noir, de merlot et de gamaret.
Azote foliaire : peu concluant sur les rouges
À la suite des bons résultats obtenus sur les blancs, l'IFV a voulu savoir si les apports foliaires d'azote améliorent également le potentiel aromatique des rouges. Dans le Sud-Ouest, l'institut a travaillé sur le fer servadou et le carignan. Les vignes ont reçu vingt unités d'azote à la véraison. Outre un gain en azote dans les moûts, ces pulvérisations ont provoqué une baisse de l'acidité des vins en favorisant l'assimilation du potassium. Elles ont aussi provoqué une augmentation de la teneur en sucre du carignan. Mais les vins ne sont pas meilleurs que les témoins. Dans le Beaujolais, l'étude est toujours en cours sur le gamay, mais les résultats des deux premières années sont dans la lignée de ceux de l'IFV Sud-Ouest. « En 2011 et 2012, nous n'avons pas obtenu d'augmentation significative du potentiel aromatique des vins en pulvérisant deux fois dix unités d'azote. En revanche, la pulvérisation d'azote a entraîné une baisse de la couleur détectable à l'œil nu. Peut-être en avons-nous trop apporté », s'interroge Jean-Yves Cahurel, chercheur à l'IFV Beaujolais. Les chercheurs de l'Agroscope de Changins ont également conduit des essais de pulvérisation d'azote foliaire (quatre apports de cinq unités à partir de la véraison) sur des parcelles carencées. Leurs résultats sont plus nuancés.
« La pulvérisation a été efficace certaines années sur certaines parcelles. Nous cherchons à comprendre les raisons de ces résultats irréguliers », confie Vivian Zufferey, chercheur à l'Agroscope.
Le Point de vue de
GWENAËL THOMAS, INGÉNIEUR AGRONOME ET OENOLOGUE CHEZ NATOLI & COE, SOCIÉTÉ DE CONSEIL OENOLOGIQUE ET VITICOLE À MONTPELLIER (HÉRAULT)
« Contrainte hydrique et nutrition azotée sont liées »
«Depuis trois ans, nous collectons des résultats qui confirment ceux obtenus par l'Agroscope de Changins, en Suisse. Lorsque les moûts sont carencés en azote, la qualité des tanins est moindre. Sous notre climat méditerranéen, nous observons un lien très direct entre l'alimentation azotée et l'alimentation hydrique de la vigne. Quand la contrainte hydrique est trop forte, l'azote est mal assimilé par la vigne. La carence en azote est une répercussion du stress hydrique qui nuit à la bonne maturité des tanins. Sous notre climat, dans les vignes non irriguées, la contrainte hydrique est déterminante pour la qualité des tanins. L'azote est un élément secondaire. En revanche, dans les vignes irriguées, nous observons que la teneur en azote devient un élément prépondérant pour la qualité des tanins, comme dans les essais suisses. Nous avons également constaté que l'addition de phosphate d'ammonium sur les moûts n'a aucun effet sur la qualité des tanins. C'est à la vigne qu'il faut intervenir. En fin de vendanges, nous réalisons un bilan qui intègre les données de l'analyse pétiolaire, la teneur azotée des moûts et la qualité finale des vins. À partir de là, nous élaborons des plans de fertilisation pour l'année suivante. En cas de carence en azote, nous recommandons des pulvérisations foliaires. En rouge, nous conseillons d'intervenir plus précocement qu'en blanc : avant la floraison, à la fermeture de la grappe et une nouvelle fois au stade petit pois. »