Peut-on élaborer des vins adaptés à des marchés valorisants en produisant de hauts rendements ? C'est la question que se posent l'IFV (Institut français de la vigne et du vin) pôle Rhône-Méditerranée avec les chambres d'agriculture du Gard, de l'Hérault et de l'Aude.
Leur programme expérimental découle d'essais de taille comparant trois modalités : la taille manuelle (le témoin), la taille mécanique rase et la taille mécanique plus haute. En 2012, l'effet de ces modes de conduite sur les rendements est impressionnant dans deux parcelles du Gard. Dans celle plantée en merlot, ils passent de 9 t/ha dans la modalité taillée manuellement à 20 à 23 t/ha dans les modalités taillées mécaniquement. Dans celle plantée de sauvignon, les rendements passent de 11 t/ha avec la taille manuelle à 18 t/ha avec la taille mécanique rase et à 26 t/ha avec la taille mécanique plus haute.
« Ce sont des parcelles bien établies où la taille mécanique est pratiquée depuis 2006 », précise Bernard Genevet, de la chambre d'agriculture du Gard. Les expérimentateurs se sont donc demandés comment vinifier au mieux ces très hauts rendements.
Merlot : Des vins faciles à boire en chauffant la vendange
Pour commencer, ils ont récolté les merlots taillés mécaniquement huit à neuf jours après ceux taillés à la main afin de les laisser mûrir. Ils ont alors obtenu deux matières premières très différentes. Sur les vignes taillées haut, les raisins affichaient un titre en alcool probable (TAP) de 12,6° et une acidité totale de 4,3 g/l. La partie taillée à ras était visiblement plus mûre, avec un TAP de 13,7° et une acidité totale de 3,9 g/l.
« Nous avons adapté les vinifications à ces matières premières », indique Denis Caboulet, le chercheur de l'IFV qui coordonne l'expérimentation. Dans le premier cas, les expérimentateurs ont chauffé la vendange à 75°C et l'ont laissé macérer pendant quarante minutes. Ils ont ensuite pressé les raisins et débourbé le jus pour arriver à une turbidité de 100 à 150 NTU. Ils ont fait fermenter ce moût à basse température (17 à 18°C) avec une levure type primeur. « Nous avons obtenu un vin très léger avec des arômes fermentaires », rapporte le chercheur.
Comme la partie taillée mécaniquement à ras était plus mûre, les expérimentateurs ont poussé l'extraction un peu plus loin. Ils ont réalisé une macération préfermentaire à 65-70°C pendant cinq à six heures. Ils ont pressé la vendange puis ont débourbé le jus pour arriver à une turbidité de 200 à 300 NTU. Ce moût a fermenté entre 18 et 20°C avec une levure donnant des arômes fermentaires fruités. « Nous avons obtenu un vin fruité, coloré, facile à boire et avec peu de tanins, comme le demande le marché à l'international », commente Denis Caboulet.
Enfin, la partie taillée manuellement a subi une vinification classique avec une macération en cuve de huit à dix jours. « Le produit est plus structuré, avec une meilleure aptitude au vieillissement, mais moins facile à boire », note le chercheur. Bernard Genevet ajoute qu'il manque un peu de structure pour être valorisé sur un segment haut de gamme.
Ces trois merlots présentent une intensité colorante située entre 10 et 11, alors que le minimum requis par le marché se situe entre 7 et 8. « Même avec des hauts rendements, les vins ne sont pas dépourvus de couleur, observe Denis Caboulet. Mais nous serons peut-être un peu limite lors d'un millésime plus difficile. » Dans ce cas, il faudrait s'orienter vers une vinification en rosé.
De même, il n'est pas certain que les résultats soient aussi bons avec d'autres variétés. « Le merlot mûrit facilement. Avec le cabernet sauvignon, un cépage tardif, nous risquons d'avoir plus de soucis », nuance Denis Caboulet.
Sauvignon : Plus typique à 18 t/ha qu'à 11 t/ha
Dans la parcelle de sauvignon, les expérimentateurs ont vendangé toutes les modalités à la même date. Dans la partie taillée manuellement, ils ont récolté des raisins affichant un TAP de 14,5° contre 13,5° dans la modalité taille mécanique rase et 12° dans la partie taille mécanique plus haute, où les rendements sont les plus élevés. Les acidités totales montent à 4 g/l dans les deux premières modalités et à 4,5 g/l dans la troisième. « Nous sommes sur des blancs avec des acidités correctes et soutenues », souligne le chercheur.
Dans la modalité témoin, taillée manuellement, les expérimentateurs pratiquent une vinification en blanc classique avec une fermentation à 18°C. Ils privilégient un itinéraire favorisant les arômes fermentaires et utilisent une levure qui fermente bien les moûts riches en sucres.
Les deux modalités taillées mécaniquement sont vinifiées de la même manière. Mais la levure est différente : c'est la X5, une souche choisie pour son aptitude à révéler les thiols, qui réalise la fermentation. Autre différence : « Dès que l'on perd 10 à 20 points de densité, on ajoute un nutriment à base de levure inactivée pour arriver à 250 mg/l d'azote assimilable », explique Denis Caboulet.
Les résultats ? Dans la partie taillée manuellement, avec 11 t/ha, les expérimentateurs n'ont pas réussi à obtenir un vin typé sauvignon. « Les raisins étaient trop mûrs. Leur potentiel en thiols était faible », poursuit le chercheur.
En revanche, la taille mécanique rase, avec des rendements de l'ordre de 18 t/ha, a donné un vin bien typé sauvignon avec des notes d'agrumes et un peu de fruit de la passion. Récolté à 26 t/ha, le sauvignon conduit en taille mécanique haute donne un vin typique de son cépage, mais plus acide et plus végétal avec des notes de bourgeon de cassis, de buis et de pipi de chat. « Il n'est pas parfait mais il peut parfaitement rentrer dans un assemblage », considère Denis Caboulet.
Ces premiers résultats doivent être confirmés, car pour l'instant, les expérimentateurs n'ont qu'une année de recul. Il leur reste également à évaluer l'impact des hauts rendements sur d'autres cépages que le merlot et le sauvignon.
Objectif : reproduire les conditions de terrain
Dans la parcelle de sauvignon, les expérimentateurs ont vendangé les raisins en petites cagettes le matin puis les ont mis en chambre froide pour qu'ils atteignent une température de 10 à 15°C. Ensuite, ils les ont éraflés, foulés, puis laissés dans des comportes pendant environ deux heures afin de « simuler l'effet de macération qui se produit avec la machine à vendanger, le transport et l'attente à la cave », indique Denis Caboulet, de l'IFV pôle Rhône-Méditerrannée. Juste avant le pressurage, les chercheurs ont enzymé les raisins pour faciliter le débourbage. Ils les ont ensuite pressés pendant environ une heure dans de petits pressoirs expérimentaux hydropneumatiques d'une capacité de 100 l en effectuant deux rebêchages. Ils n'ont récupéré que les jus de goutte et les jus des premières presses. Les raisins ont été sulfités entre 1 et 2 g/hl après le foulage, puis à nouveau entre 1 et 2 g/hl au fur à mesure de l'écoulage des jus lors du pressurage et, enfin, lors du soutirage de débourbage.
« En moyenne, on termine à 5 g/hl de SO2 sur les moûts prêts à fermenter », précise Denis Caboulet.
Des parcelles très ordinaires
Les deux parcelles expérimentales de merlot et de sauvignon sont situées dans le Gard. Âgées d'environ 25 ans, elles sont plantées sur des sols fertiles. « Habituellement, elles ont des rendements de vins de pays. Elles ne sont pas irriguées et sont fertilisées classiquement », détaille Bernard Genevet, de la chambre d'agriculture du Gard. Le merlot est palissé sur un fil porteur, le sauvignon avec un niveau de fil en plus du fil porteur. Des pratiques et une situation courante pour le département. Ce qui est sûr, c'est qu'avec des rendements élevés, il faut une hauteur de feuillage suffisante. « Il faut respecter le rapport feuille sur fruit de 1 m2 de surface foliaire exposée pour 1 kg de raisin », précise Denis Caboulet, de l'IFV pôle Rhône-Méditerrannée. « Moins on écime, mieux c'est », ajoute Bernard Genevet. De même, il faut se montrer prudent vis-à-vis des maladies cryptogamiques. « Plus la vigne est vigoureuse et chargée, plus les erreurs de protection se paient cher, notamment les années de forte pression d'oïdium », indique Bernard Genevet.