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AU COEUR DU MÉTIER

À CORNAS, EN ARDÈCHE. « Je mise sur un très bon rapport qualité-prix »

FLORENCE BAL - La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 26

Vincent Paris vend tous ses vins en bouteilles entre 10 et 33 euros, des prix raisonnables pour l'appellation Cornas. Il manque de vins depuis 2003 et a créé un négoce fin 2009 pour répondre à la demande.
EN MAI 2013, VINCENT PARIS A PLANTÉ CETTE PARCELLE de 20 ares avec de la syrah sur une zone très caillouteuse. Comme il n'a pas arrosé les plants, ils ont poussé de manière très hétérogène. PHOTOS F. BAL

EN MAI 2013, VINCENT PARIS A PLANTÉ CETTE PARCELLE de 20 ares avec de la syrah sur une zone très caillouteuse. Comme il n'a pas arrosé les plants, ils ont poussé de manière très hétérogène. PHOTOS F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

À LA FIN DU MOIS D'AOÛT, Vincent Paris a réalisé le dernier cisaillage sur des syrahs de 60 ans en appellation Cornas. Jugeant que les rogneuses ne font pas un travail assez qualitatif, il cisaille à la main l'ensemble de son domaine. Il lui faut une journée par hectare pour les parcelles planes et deux jours par hectare sur les coteaux très pentus.

À LA FIN DU MOIS D'AOÛT, Vincent Paris a réalisé le dernier cisaillage sur des syrahs de 60 ans en appellation Cornas. Jugeant que les rogneuses ne font pas un travail assez qualitatif, il cisaille à la main l'ensemble de son domaine. Il lui faut une journée par hectare pour les parcelles planes et deux jours par hectare sur les coteaux très pentus.

VINCENT PARIS OUILLE SES FÛTS DE CORNAS 2012. Il possède soixante-quatre barriques qu'il gerbe sur quatre hauteurs pour gagner de la place.

VINCENT PARIS OUILLE SES FÛTS DE CORNAS 2012. Il possède soixante-quatre barriques qu'il gerbe sur quatre hauteurs pour gagner de la place.

Un prestataire de service réalise les mises en bouteille en tiré bouché, puis le viticulteur habille les bouteilles. Ici, il termine une palette prête à partir pour l'export.

Un prestataire de service réalise les mises en bouteille en tiré bouché, puis le viticulteur habille les bouteilles. Ici, il termine une palette prête à partir pour l'export.

C'est une belle réussite. En seize ans, Vincent Paris, vigneron à Cornas, en Ardèche, a patiemment construit un domaine réputé. Il valorise très bien en bouteilles ses 7,25 ha de vignes, dont cinq en AOC Cornas. « J'ai toujours visé une qualité haut de gamme, tout en proposant un tarif peu élevé pour l'appellation, explique-t-il. Les gens qui connaissent les vins rhodaniens, et le cornas en particulier, savent très bien que mes vins sont d'un bon rapport qualité-prix. » Vincent Paris profite également d'un contexte qui voit la demande de cette petite appellation de 128 ha grimper, portée par la notoriété croissante des crus de la vallée du Rhône.

En 2000, trois ans encore dans la frange basse des tarifs de l'appellation dans le but « d'appeler le client ». À l'époque, il vend deux cornas : l'un à 15 euros et l'autre à 20 euros prix public. Aujourd'hui, il est « revenu dans la moyenne », son cornas premier prix étant à 19 euros et son haut de gamme à 33 euros TTC. Dénommé La Geynale, ce dernier est « sa cuvée d'exception. » Il la produit sur la parcelle du même nom achetée en 2007 à son oncle au moment où celui-ci partait à la retraite.

« Je pourrais augmenter son prix de 10 à 15 euros par col, souligne-t-il. Mais je préfère avoir une vision à long terme. Avec des prix corrects, je permets à mes clients importateurs et grossistes de revendre à des tarifs intéressants. » Il pratique donc des hausses de 3 à 5 % par an. Tout le monde en tire bénéfice.

Vincent Paris créé son domaine en 1997 en reprenant 1,1 ha de vieilles vignes en Saint-Joseph provenant de son grand-père. Dès ses débuts, il produit 5 000 bouteilles qu'il vend 10 euros TTC. Puis il s'agrandit pas à pas. Tous les ans, il plante : 50 ares les trois premières années, puis 20 ares les suivantes.

Mais c'est en 2000 que son avenir bascule. Ses deux cornas - Granit 30 et Granit 60 - sont remarqués lors une dégustation à Londres, en Grande-Bretagne (voir encadré). Leur rapport qualité-prix séduit deux importateurs. À partir de 2003, Robert Parker et la presse anglo-saxonne forgent sa notoriété. Très vite, l'export devient son principal débouché.

À l'automne 2006, le magazine « Le Point » lui consacre sa couverture. Cela conforte sa renommée en France, « mais cela n'a pas changé grand-chose aux volumes vendus, car je n'en avais pas plus à ma disposition, précise-t-il. Aujourd'hui, je refuse énormément d'invitations. Je ne me déplace qu'une ou deux fois par an, car je n'ai pas pour politique d'être sur les routes ».

Vincent Paris n'a pas de caveau de réception. Les particuliers ne représentent que 5 % de ses ventes. Il ne fait rien pour attirer les touristes de passage. Au contraire, il ne serait pas mécontent de les dissuader de s'arrêter. « Quand je reçois un ou deux clients par semaine, c'est déjà beaucoup », affirme-t-il. Ses importateurs en font partie. Ils passent en moyenne une fois par an.

Le vigneron manque de vins depuis 2003. Plus il gagne en notoriété, plus le problème s'accentue. Fin 2009, il crée l'EURL de négoce Vincent Paris Selections pour répondre à la demande. Il achète du vrac, du raisin, du vin et des bouteilles tirées bouchées. Il revend exclusivement à des professionnels. « Ma gamme n'est pas encore complète. Je n'ai pas de saint-péray », regrette-t-il.

En 2011, il fournit un gros marché de volumes en Australie. L'année suivante, ce marché n'ayant pas été reconduit, il se concentre sur les vins haut de gamme. Il vend 10 000 cols issus de son activité de négoce, entre 5 (crozes-hermitage et saint-joseph) et 16 euros HT (cornas et hermitage). En plus de satisfaire ses clients, Vincent Paris tire un bénéfice secondaire du négoce : il paie moins de cotisations MSA depuis que son exploitation vend ses vins à l'EURL, laquelle les met en marché.

Avec le recul, il estime que son « développement s'est très bien déroulé », même s'il a toujours envie d'aller plus vite. « La base, c'est le soin apporté au vignoble », dit-il. Ses vignes sont conduites en gobelets sur échalas ou en cordon de royat. Il les ébourgeonne et enlève les entrecœurs à chacun des trois relevages qu'il effectue. Le but est d'aérer les grappes et de les exposer davantage au soleil pour qu'elles soient moins sensibles aux maladies. « Cette opération couplée au relevage et au palissage est le gros du travail de l'année », confie-t-il. Elle nécessite l'emploi de sept personnes supplémentaires pendant deux mois. Depuis sept ans, il a amélioré la technique en ôtant les entrecœurs dès le premier relevage. « Depuis quatre ans, je l'ai poussée encore plus loin en effeuillant la zone des grappes lors du deuxième relevage, au moment de la floraison », poursuit-il.

Résultat : les vins ont gagné en parfums et en couleur. Et il a diminué le nombre de traitements, avec deux à trois passages maximum cette année selon les parcelles. Dans ses coteaux très pentus, presque 2 ha, un hélicoptère réalise les applications : deux en 2013, aucun en 2012 et cinq les années précédentes. Il complète par un passage avec un atomiseur à dos. Il traite le reste de ses vignes avec un tracteur interligne ou une chenillette.

« Je ne délègue pas ce travail, indique Vincent Paris. Je pulvérise en face par face. Les produits doivent être très bien appliqués pour être efficaces, d'autant plus que j'interviens peu. » En revanche, il lui est très difficile de se passer d'herbicides dans les coteaux. Laisser pousser l'herbe et faucher ? « La concurrence est trop importante », répond-il. Travailler le sol ? « Le moindre orage l'emporterait vers le Rhône. Je ne pourrai pas remonter la terre. » Le désherbage thermique ? « C'est lent et il faut prévoir trois ou quatre passages. » Il lui reste à essayer un enherbement peu concurrentiel avec du trèfle souterrain. Mais en attendant, il désherbe une ou deux fois par an avec du glyphosate.

Cette attention portée au travail de la vigne se poursuit au chai. Il vendange « très mûr », à 13° d'alcool probable. Sauf exception, il vinifie La Geynale en grappes entières et n'érafle qu'à 30 % la cuvée Granit 60. Mais il érafle totalement les deux autres rouges de son domaine, le saint-joseph et le Granit 30, un cornas sur le fruit à boire rapidement, plus facile à déguster que le Granit 60.

Après une semaine de macération à froid (12-13°C), la fermentation démarre sans levures ajoutées. Après le pressurage, les vins décantent un mois en cuve. Puis ils sont prêts pour un élevage en fûts de deux à huit vins ou en demi-muids sur lies fines. Le domaine n'emploie pas de fûts neufs afin de ne pas « masquer le terroir ». Il élève 80 % des cornas sous bois pendant seize à dix-huit mois et les deux tiers des saint-joseph pendant un an. Un prestataire réalise la mise en bouteille après un léger collage, mais sans filtration.

Pour le blanc, un IGP assemblage de roussane et de viognier plantés en 2003, Vincent Paris estime avoir fait « des erreurs d'amateur. J'ai élevé le premier millésime en 2006 en fût et le vin était trop lourd. Mes clients demandent des vins frais et pas du tout marqués par le bois. Depuis, je l'élève en cuves. Puis j'ai eu des sucres résiduels et j'ai même eu une malo qui s'est finie en bouteilles. J'ai mis du temps à mettre cette cuvée en place. Mais aujourd'hui, elle se vend bien, même si ce n'est pas du saint-péray ».

« Finalement, le plus difficile a été de financer la création et le développement du domaine sans apport initial », avoue le vigneron. Il a investi 750 000 euros depuis le départ, dont 300 000 euros pour l'achat de vignes, cofinancé par deux GFA qu'il a constitués pour accueillir l'argent d'investisseurs.

À 39 ans, il prévoit de planter 1 ha d'ici 2018. Mais les parcelles classées en AOP sont très demandées et il est difficile d'en trouver. Avec la création de son négoce, son activité augmente. Il a anticipé sa croissance en construisant un hangar de 1 200 m2 au sol. « Je m'en sors aujourd'hui avec deux employés à temps partiel et des saisonniers. Mais je vais bientôt devoir embaucher un chef de culture », commentet-il. Cette année, le chiffre d'affaires devrait progresser de 16 % à 500 000 euros. L'avenir se présente très bien.

Le Point de vue de

CE QUI A BIEN MARCHÉ

En 2007, il constitue un GFA avec des clients et des investisseurs étrangers pour acheter La Geynale, une parcelle de 1,3 ha en AOC Cornas. En 2011, il crée un second GFA avec une trentaine de personnes pour acheter 1,5 ha en AOC Saint-Joseph. Les deux opérations sont un succès.

Construit en 2010, son bâtiment de 200 m2 et de 5 m de haut abrite les chais de vinification et d'élevage ainsi que le stock de vins. Isolé et climatisé, il est très fonctionnel. « J'y travaille tout seul », souligne Vincent Paris.

Le Point de vue de

CE QU'IL NE REFERA PLUS

En 2007 et 2008, il élabore tous ses vins sans soufre. « Je les ai très bien vendus mais, deux ans après, j'ai eu des retours d'importateurs mécontents. Ils faisaient état de problèmes de netteté, explique-t-il. En 2009, je suis revenu à des doses raisonnables de soufre (50 à 60 mg/l de SO2 total à l'analyse en bouteilles). »

En 2004, il produit un vin de pays à base de merlot et un rosé de saignée en vin de table. « Ce ne sont pas des vins associés à Cornas et je n'avais pas encore la renommée que j'ai aujourd'hui, dit-il. Je n'ai pas réussi à les valoriser et je les ai bradés à 6 euros. J'ai arraché le merlot en 2008. »

Le Point de vue de

Un démarrage sur les chapeaux de roue

En 2000, à l'appel de l'interprofession Inter-Rhône, Vincent Paris envoie des échantillons de ses deux cornas pour une dégustation organisée à Londres (Grande-Bretagne). « Je n'ai rien déboursé et je ne me suis même pas déplacé. Pourtant, cela a tout de suite été un succès. Deux vins bons et pas chers (15 et 20 euros), forcément, ça marche », raconte-t-il. Cette année-là, il vend 30 % de sa production à l'export. Ensuite, il part prospecter dans une dizaine de pays. En 2003, Robert Parker accorde un 93 sur 100 à son cornas. Depuis, la presse anglo-saxonne (Decanter, Parker, Jancis Robinson) note toujours très bien ses vins. « Je ne prospecte plus car je n'ai pas assez de volumes. Je réalise simplement un ou deux voyages par an pour visiter mes clients importateurs », précise-t-il.

Parallèlement, en 2001 et 2002, il prend un agent multicarte qui cible la restauration haut de gamme à Paris, de manière à être visible par ses importateurs sur ce créneau.

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L'exploitation

Surface : 7,25 ha.

Appellations : Cornas, Saint-Joseph, IGP Ardèche.

Densité : 5 000, 7 500 et 10 000 pieds/ha.

Taille : gobelets et cordon de royat.

Production totale : 260 hl.

Achat extérieur en négoce : équivalent de 10 000 bouteilles de cornas saint-joseph, crozes-hermitage et hermitage.

Main-d'œuvre : lui, deux employés à temps partiel et des saisonniers.

L'essentiel de l'offre