Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE - Pages spéciales pépinières

La filière française en perte de vitesse

La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 30

Malgré une production de qualité, la pépinière viticole française perd des parts de marché en Europe où le prix est déterminant. Elle reste leader en France mais, même là, elle est menacée par l'offre italienne.
MISE EN TERRE DES PLANTS. La production d'un plant de vigne est très coûteuse en main-d'œuvre. Celle-ci représente 60 % du coût de revient d'un plant. © P. BAUDRY

MISE EN TERRE DES PLANTS. La production d'un plant de vigne est très coûteuse en main-d'œuvre. Celle-ci représente 60 % du coût de revient d'un plant. © P. BAUDRY

Producteurs de plantes : une baisse de 54 % des effectifs en vingt ans Source : FranceAgriMer

Producteurs de plantes : une baisse de 54 % des effectifs en vingt ans Source : FranceAgriMer

« LA FORCE DU PLANT DE VIGNE FRANÇAIS est sa qualité physique, génétique et sanitaire. On se doit de la préserver », insiste David Amblevert, le nouveau président de la FFPV.

« LA FORCE DU PLANT DE VIGNE FRANÇAIS est sa qualité physique, génétique et sanitaire. On se doit de la préserver », insiste David Amblevert, le nouveau président de la FFPV.

Les stars du marché

Les stars du marché

Lors de leur dernier congrès, les pépiniéristes français ont poussé un cri d'alarme. Leur filière décline face à la concurrence étrangère sur le marché européen. Alors qu'ils exportaient plus de 45 millions de plants en 2002, ils n'en expédiaient plus que 14 millions en 2012. « Nos exportations ont progressé jusqu'en 2002. Puis elles ont commencé à chuter », déplore Miguel Mercier, des pépinières du même nom basées à Vix, en Vendée, et vice-président de la Fédération française de la pépinière viticole (FFPV).

Des prix 20 à 30 % plus chers. Et de détailler : « Nous avons perdu les marchés du sud de l'Europe – Portugal, Espagne, Italie et Grèce – mais aussi ceux de l'Europe de l'est, notamment la Bulgarie et la Roumanie, qui étaient deux gros acheteurs. Aujourd'hui, sur ces marchés, les plants se vendent entre 90 centimes et 1 euro l'unité, alors que les pépiniéristes français ne peuvent pas descendre en dessous de 1,15 à 1,30 euro par plant, soit une différence de 20 à 30 %. Nous avons toujours été plus chers que nos concurrents, mais nous arrivions à faire passer ce surcoût grâce à la qualité sanitaire de nos plants. À présent, la différence est telle que l'argument de la qualité ne suffit plus. » En revanche, sur le marché des greffons et des porte-greffe, la filière française reste leader pour les exportations en Allemagne, en Suisse et au Canada.

Pourquoi de tels écarts ? Selon les pépiniéristes, principalement en raison de la main-d'œuvre, qui représente 60 % du coût d'un plant. Et sur ce point, il existe de grandes disparités entre les différents pays de l'Union européenne, car les lois sociales ne sont pas les mêmes partout. Selon la FFPV, le coût total horaire d'un travailleur saisonnier agricole (taux horaire brut et charges patronales) est ainsi de 10,10 euros en France, contre 8,80 euros en Italie, 8,75 euros en Espagne, 7,20 euros en Allemagne et 6 euros au Portugal.

Un moratoire sur les nouvelles charges. « La mise en place des 35 heures nous a porté un coup fatal en perturbant toute notre organisation, lance Miguel Mercier. Et en janvier de cette année, le gouvernement a supprimé les allégements de charges patronales au-delà de 1,25 Smic dont nous bénéficiions pour les travailleurs saisonniers, ce qui a encore augmenté nos coûts. C'est assez. Nous demandons un moratoire sur les nouvelles charges, c'est une question de survie. »

À cela s'ajoutent des barrières réglementaires. Aux dires des pépiniéristes français, l'obtention des passeports phytosanitaires européens et des certificats phytosanitaires pour l'exportation vers les pays tiers est plus longue et plus coûteuse qu'ailleurs. Et ils ont le sentiment que l'administration française fait du zèle. Ils lui reprochent d'être plus exigeante que le pays où les plants seront exportés, imposant des tests supplémentaires.

Nicolas Canivet, le chef du bureau des semences et de la santé des végétaux du ministère de l'Agriculture, s'en défend : « En ce qui concerne la délivrance des passeports phytosanitaires européens pour la circulation des bois et plants à l'intérieur de l'Union européenne, la France reste attachée à un haut niveau d'exigence afin de garantir la sécurité sanitaire des plants. C'est une force pour la compétitivité des entreprises françaises. Pour la délivrance des certificats phytosanitaires à l'export, les inspecteurs vérifient que les exigences du pays importateur sont bien respectées. S'ils ont un doute sur la qualité sanitaire du matériel végétal, ils peuvent demander des analyses complémentaires à la charge du pépiniériste. »

Certains pays tiers ont des exigences telles que les pépiniéristes français ne peuvent y répondre. « Par exemple, la Turquie impose de garantir l'absence d'Agrobacterium dans les plants, mais personne n'est en mesure de le faire, car les tests ne sont pas fiables, constate Pierre-Marie Guillaume, des pépinières Guillaume, à Charcenne (Haute-Saône). En plus, comme il s'agit d'une bactérie qui se trouve communément dans tous les sols, même les plants indemnes sont tout de suite contaminés une fois plantés. C'est aberrant. » L'administration en est consciente. « Ces situations ne sont pas propres à la filière pépinière viticole et nous pouvons, dans ce cas, engager des discussions bilatérales avec les pays concernés pour y remédier », propose Nicolas Canivet.

Selon les pépiniéristes français, ces difficultés profitent à leurs concurrents, notamment italiens. « Leur marché intérieur a chuté fortement ces dix dernières années. Ils se sont donc montrés très agressifs à l'export pour compenser leurs pertes », observe Miguel Mercier. Mais selon l'Italien VCR (Vivai cooperativi Rauscedo), qui commercialise 60 millions de plants par an, dont 41 % à l'export, il n'y a pas de concurrence déloyale au niveau du coût de la main-d'œuvre. « Nos exportations sont stables depuis 2008. Le coût d'un ouvrier agricole en Italie est de 14,50 euros de l'heure. Et il faut vendre un plant entre 1,20 et 1,50 euro pour survivre », explique-t-on chez VCR.

Privilégier les clients exigeants. Certaines entreprises françaises résistent, notamment grâce au grand export. C'est le cas des pépinières Mercier, premier exportateur français : « Nous exportons entre 40 et 50 % de notre production, un chiffre resté stable ces dix dernières années. Nous avons renforcé nos positions sur les marchés où les exigences sanitaires sont élevées comme le Canada, la Chine, l'Uruguay et la Russie. Et nous avons réussi à nous maintenir sur les marchés plus concurrentiels en axant nos ventes auprès des clients exigeants. Mais on atteint les limites, car sur les marchés importants, le critère du prix reste déterminant. »

D'autres souffrent de la situation. C'est le cas des pépinières Guillaume. « Il y a quatre à cinq ans, l'export correspondait à 60 % de notre activité, rappelle Pierre-Marie Guillaume. Désormais, il ne représente plus que 30 %. Nous avons donc dû réduire notre production de plants et sommes passés de 11 à 12 millions il y a quatre ou cinq ans à 8 à 9 millions aujourd'hui. »

Jean-François Barnier, des Pépiniéristes producteurs du Comtat, à Sarrians (Vaucluse), est égale ment amer. « 25 % de nos plants sont exportés. C'était 55 à 60 % il y a encore cinq ans. »

Sur son marché intérieur, la pépinière française reste leader. « La demande est soutenue pour les deux à trois prochaines années, grâce aux plans de restructuration, se rassure Miguel Mercier. Nous n'avons pas d'inquiétude pour écouler la production. » Mais, là encore, quelques signaux alertent. Alors que les importations étaient quasi nulles en 2000, elles atteignaient environ 12 millions de plants en 2012. Des plants qui viennent principalement d'Italie. « La demande augmente d'année en année, rapporte Loïc Breton, de VCR France. Mais nous vendons nos plants au même prix que les pépiniéristes français. En revanche, nous proposons une plus grande diversité de clones. »

Pour garder son statut de leader, la pépinière française mise plus que jamais sur la qualité et sur son savoir-faire « made in France ». Elle vient d'adopter à l'unanimité une charte de qualité adossée à la marque Entav-Inra, ce qui implique que chaque adhérent, soit 80 % de la production, devra la respecter (voir « La Vigne » n°256, p. 17).

Vers de nouveaux outils de diagnostic. « La force du plant de vigne français est sa qualité physique, génétique et sanitaire. On se doit de la préserver », insiste David Amblevert, le nouveau président de la FFPV.

Pour améliorer sa compétitivité, la filière compte également sur les avancées de la recherche. « Aujourd'hui, nous avons du mal à valoriser la sécurité sanitaire de nos plants, car ce n'est pas visuel, reconnaît Miguel Mercier. Mais de nouveaux outils de diagnostic sont en train de se mettre en place. L'IFV travaille notamment sur l'identification des clones et devrait bientôt aboutir à des résultats. Cela permettra de sécuriser et de renforcer la confiance que nous accordent nos clients. »

La filière aimerait également bénéficier des aides OCM à l'investissement, car beaucoup d'entreprises voudraient investir dans des bâtiments et dans le renouvellement des vignes mères. « L'ensemble de la filière aurait ainsi besoin de 5 millions d'euros, chiffre David Amblevert. Nous avons sensibilisé FranceAgriMer sur ce sujet qui, là encore, permettrait d'améliorer notre compétitivité. »

La mécanisation à l'étude

Pour réduire les coûts de production, les pépiniéristes français envisagent de mécaniser certaines étapes de la production des plants. Ainsi, depuis deux à trois ans, une majorité d'entreprises se sont équipées de machines pour débouturer les porte-greffes (en coupant les sarments en boutures) et les nettoyer en enlevant les vrilles, les pousses latérales et en éborgnant les yeux. Certains pépiniéristes ont aussi investi dans des appareils qui arrachent les plants et les mettent en paquet. Il existe aussi des équipements qui assistent le tri des plants. Des réflexions sont également menées pour mécaniser le greffage. « Mais comme nous sommes une profession relativement confidentielle, peu de constructeurs veulent investir dans le développement de telles machines », regrette un pépiniériste. « Et pour un pépiniériste, ces outils sont chers et difficiles à amortir », ajoute un autre professionnel. La production de plants restera donc avant tout une activité manuelle.

Une légère baisse de la production

En 2013, les pépiniéristes ont mis en œuvre 197,4 millions de plants, soit 4 % de moins qu'en 2012. Le nombre de plants reportés (conservés au réfrigérateur ou repiqués) est particulièrement important : 11,4 millions, soit une hausse de 85 % par rapport à l'an passé. En cause : des conditions météorologiques printanières défavorables qui ont empêché certains viticulteurs de planter. En revanche, le nombre de plants en pot a diminué de 36 %. Le merlot et l'ugni blanc sont les cépages les plus greffés, suivis par le chardonnay. Certaines variétés risquent toutefois de manquer. C'est par exemple le cas du melon dans le Muscadet.

Cet article fait partie du dossier Pages spéciales pépinières

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :