Les campagnes de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) ne manquent pas. Malgré cela, les statistiques de la MSA montrent que le nombre de ces affections signalées chez les viticulteurs et leurs salariés a augmenté de 25 % entre 2006 et 2010 (voir « La Vigne » n° 255, p. 31). Lombalgie, syndrome du canal carpien et tendinite à l'épaule sont les maux les plus fréquemment relevés chez ces travailleurs.
À lui seul, le département de la Gironde concentre la moitié de ces cas. « Les causes de cette situation sont multifactorielles, affirme Franck Chabut, de la MSA de Gironde. Dans notre département, il y a beaucoup de petites entreprises de moins de cinq salariés qui n'ont pas forcément les moyens d'embaucher et qui se retrouvent avec une surcharge de travail. À l'inverse, il y a aussi de grandes propriétés où les travaux sont répartis de façon précise entre les différents salariés. Ils ont alors des tâches répétitives qui sollicitent toujours les mêmes parties de leurs corps. »
Une discipline et une organisation du travail nouvelles. Franck Chabut cite encore d'autres facteurs aggravants comme « la rémunération à la tâche qui entraîne des cadences importantes et le fait que les vignes basses du Médoc obligent les travailleurs à être courbés en permanence ».
Maux de dos et tendinites seraient-ils inévitables ? De plus en plus de responsables ou des chefs d'exploitations pensent le contraire. Ils prennent des mesures pour leur bien-être et celui de leurs salariés. Quatre d'entre eux nous livrent leur expérience. Ils ont pris le sujet à bras-le-corps et ont mis en place une discipline et une organisation du travail nouvelles.
ALAIN DELPEUCH, VITICULTEUR SUR 21 HA À MAINXE (CHARENTE) « Nous pouvons nous changer quand il pleut »
« J'ai deux salariés, dont mon fils, et je participe également aux travaux manuels. Nos vignes sont conduites en arcure haute. La taille, le tirage des bois et l'attachage des vignes nous occupent de novembre à mars non-stop. Les conditions de travail ne sont pas toujours faciles. J'essaie de les améliorer du mieux que je peux. Ainsi, nous alternons les travaux. Par exemple, nous taillons le lundi et le mardi. Le mercredi, nous broyons les sarments et réparons le palissage. Le jeudi et le vendredi, nous reprenons la taille. Mais tout dépend de la météo. Il y a quatre ans, j'ai acheté une camionnette que j'ai aménagée. À l'intérieur, il y a tout ce dont nous avons besoin : deux cirés et deux paires de bottes par personne, des chaussures de randonnées hautes et basses, différents types de gants…
En cas de pluie, nous pouvons donc nous changer dès que nos vêtements sont trempés et les faire sécher sur les portemanteaux que j'ai installés. Il y a un bidon d'eau, du savon et des serviettes pour que nous puissions nous laver les mains. J'ai bricolé une tablette rabattable et des tabourets que j'ai fixés avec des tendeurs pour pouvoir prendre les pauses à l'abri en cas de mauvais temps. J'ai également ajouté un marchepied antidérapant qui nous permet de charger le fourgon plus facilement.
J'ai aussi installé un panneau d'affichage où je rappelle les bons gestes et les consignes de sécurité. Il a deux ans, j'ai acheté de nouveaux sécateurs électriques Electrocoup. J'ai opté pour ce modèle car ce sont les seuls qui proposent des gants sécurisés. Nous les affilons deux fois par jour. De cette façon, nous forçons moins sur les poignets. Enfin, depuis cette année, nous allons tous chez le chiropracteur une fois par trimestre à mes frais. Il nous remet en place les vertèbres. Depuis, nous sommes en meilleure forme. »
BERNARD PINEAU, RESPONSABLE DES VIGNOBLES DES DOMAINES JEAN MARTELL À ROUILLAC (CHARENTE) « Les deux tiers de nos salariés s'échauffent avant la taille »
« Nous exploitons 432 ha de vignes sur trois domaines. Nous employons 31 salariés permanents. Il y a une dizaine d'années, plusieurs d'entre eux se sont plaints de problèmes au niveau du canal carpien et de tendinites. La même année, trois de nos salariés ont subi une opération du canal carpien. Cela nous a alertés. En 2006, après une première formation avec la MSA, nous avons progressivement changé le parc de sécateurs et opté pour des appareils plus légers et plus ergonomiques. Puis nous avons mis en place une politique d'alternance des chantiers de taille : au lieu de tailler d'abord les vignes établies à 1 m 30 puis celles situées à hauteur d'homme, nous demandons aux salariés de changer régulièrement de parcelles selon leur mode de conduite. De même, nous avons séparé la taille et le tirage des bois. Auparavant, nos salariés réalisaient les deux travaux en même temps, ce qui était assez traumatisant à cause du poids du sécateur.
Autre changement : la mise en route des chantiers de taille s'effectue progressivement. Pendant la première semaine, les salariés ne taillent que le matin et réalisent d'autres tâches l'après-midi. Nous avons aussi mis l'accent sur l'affûtage du sécateur. Ensuite, avec la MSA, le médecin du travail et un enseignant du lycée agricole de Dordogne, nous avons expliqué à nos salariés les différents TMS et la manière de les prévenir. Dans la foulée, nous avons demandé aux salariés de mieux étaler leurs congés payés. Généralement, ils prenaient deux semaines de vacances à Noël. Depuis, nous leur demandons d'en prendre une à Noël et une autre en février afin de couper la période de taille et qu'ils se reposent mieux. En 2010, nous avons mis en place un questionnaire anonyme pour vérifier les pratiques des tailleurs. À la fin de chaque période de taille, nous leur demandons : "Est-ce que vous vous échauffez ?" "Est-ce que vous vous hydratez régulièrement ?" etc.
En trois ans, les salariés ont pris l'habitude de boire plus souvent et d'affûter plus régulièrement leur sécateur. Ils s'échauffent mieux. Il faut dire qu'en 2011, nous avons fait venir un kinésithérapeute qui leur a montré les gestes à réaliser pour s'échauffer et s'étirer. Depuis, 60 à 70 % du personnel les effectuent. Dernier point : nous incitons nos salariés à aller aux deux séances d'ostéopathie que la mutuelle d'entreprise prend en charge tous les ans. »
DENIS BLÉE, DIRECTEUR DU VIGNOBLE ET MAÎTRE DE CHAI, CHAMPAGNE BILLECART-SALMON À MAREUIL-SUR-AY (MARNE) « Nous n'imposons pas un rendement soutenu »
« Nous possédons 11 ha de vigne en propre et proposons de la prestation de service sur une cinquantaine d'hectares. Au total, nous avons une vingtaine de salariés viticoles. Il y a trois ans, nous avons entamé tout un travail de prévention des TMS avec la MSA. Et nous avons organisé avec tous nos salariés des formations pour les sensibiliser à ces troubles. Nous avons beaucoup travaillé sur la taille. Cette tâche implique des mouvements répétitifs pendant plusieurs mois. Certes, le sécateur électrique sollicite moins les poignets que le sécateur manuel et limite le syndrome du canal carpien, mais on s'est rendu compte que l'on déplaçait le problème vers les coudes et les épaules. Nous avons donc mis à disposition de nos salariés des sécateurs manuels et nous leur demandons d'alterner l'usage des deux outils pendant la semaine. Avant de les acheter, nous leur avons fait essayer différents modèles et chacun a opté pour celui qu'il souhaitait. Nous changeons les lames régulièrement et les sécateurs sont aiguisés au moins deux fois par jour. Nous mettons également à disposition de chaque salarié un siège de taille pour soulager son dos. Là encore, on déplace le problème du dos vers les genoux, qui sont davantage sollicités. Nous incitons donc les salariés à alterner le travail assis et debout.
De même, nous les encourageons à s'échauffer pendant 5 à 10 minutes avant de démarrer les chantiers, mais tous ne le font pas. Par ailleurs, pour que la taille soit soignée et moins pénible, nous ne leur demandions pas un rendement soutenu. Chaque salarié taille entre 2,5 et 3 ha à l'année, alors que la moyenne pour la région est comprise entre 3,5 et 4,25 ha selon les modes de taille. Et pour que la saison démarre progressivement, les premiers temps, ils ne taillent que pendant des demi-journées. »
PIERRE-MARIE ET CATHERINE GRELLIER, VIGNERONS SUR 12,5 HA À CHALONNES-SURLOIRE (MAINE-ET-LOIRE) « Nous affûtons nos sécateurs à chaque sortie de rang »
« Nous n'avons pas de salariés permanents et travaillons uniquement avec des saisonniers pour la taille, l'ébourgeonnage et les vendanges. Ponctuellement, certains de nos employés et nous-même sommes confrontés à des douleurs au dos. Nous sommes donc très sensibles à cette problématique. En hiver, nous embauchons deux tailleurs à plein-temps et une personne à mi-temps pour le tirage des bois. Il y a quatre ans, nous avons acheté deux sécateurs électriques Pellenc pour les personnes qui le souhaitaient. Au départ, les batteries se portaient dans le bas du dos, puis nous nous sommes équipés de housses qui permettent d'avoir la batterie dans le milieu du dos, ce qui est beaucoup plus confortable. Et pour nous soulager, mon mari et moi portons une ceinture lombaire.
Suite aux formations que nous avons suivies avec la MSA, nous sensibilisons notre personnel aux bonnes postures pour ménager le dos et à la nécessité de s'échauffer. En ce qui nous concerne, dès que nous sentons une tension, nous effectuons des rotations des épaules pour détendre les muscles et les articulations. Nous faisons également attention à ce que le poignet soit bien dans le prolongement du bras au moment où l'on coupe le sarment. Cela évite de se tordre les mains et limite la fatigue. La MSA nous a également bien sensibilisés à l'affûtage des sécateurs, qu'ils soient électriques ou manuels. Nous sommes donc tous équipés d'une pierre. Auparavant, nous ne pratiquions cette opération que deux fois dans la journée. Désormais, dès que nous sentons une résistance dans le sécateur, nous les aiguisons à chaque sortie de rang. »