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VIN

La désalcoolisation se pilote de la vigne au vin

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 46

Le premier colloque Œnoviti international s'est tenu le 6 septembre à l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux (Gironde). Près d'une centaine de personnes est venue assister aux conférences portant toutes sur la réduction la teneur en alcool des vins.Seize présentations d'experts internationaux venant de huit pays étaient au programme. Morceaux choisis.
LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE a favorisé l'augmentation de la teneur en sucres dans les raisins. Il n'est plus rare aujourd'hui qu'un mustimètre affiche un titre alcoométrique volumique probable supérieur à 13 % vol. alcool lorsqu'il est plongé dans un moût. © C. WATIER

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE a favorisé l'augmentation de la teneur en sucres dans les raisins. Il n'est plus rare aujourd'hui qu'un mustimètre affiche un titre alcoométrique volumique probable supérieur à 13 % vol. alcool lorsqu'il est plongé dans un moût. © C. WATIER

« Il faut revisiter les techniques de viticulture de base. ». Vittorino Novello, professeur de viticulture à l'université de Turin, en Italie. © J. BORDE

« Il faut revisiter les techniques de viticulture de base. ». Vittorino Novello, professeur de viticulture à l'université de Turin, en Italie. © J. BORDE

Pratiques culturales : Moins de sucres dans les raisins

À cause du réchauffement climatique et des pratiques culturales actuelles, les raisins contiennent de plus en plus de sucres. Pour remédier à ce problème, Vittorino Novello, professeur de viticulture à l'université de Turin, en Italie, pense qu'il faut « revisiter les techniques de viticulture de base ».

Le 6 septembre, il a ouvert le colloque Œnoviti international à Bordeaux (Gironde) avec un tour d'horizon des pratiques pouvant réduire la teneur en sucres des raisins. Il a assuré que le plus simple, « c'est d'augmenter les rendements », tout en admettant que la qualité peut en pâtir. L'irrigation est une piste plus exploitable selon lui. Il a pris l'exemple d'une étude espagnole qui a démontré « qu'une irrigation entre la véraison et la vendange réduit l'accumulation des sucres sans modifier la composition phénolique et les qualités d'un vin de cabernet sauvignon ».

Le professeur Novello a ensuite rappelé que « limiter la photosynthèse provoque une baisse de la production de sucres ». Pour cela, les effeuillages sévères dans la zone de fruit sont à proscrire ou alors « il faut utiliser un système de conduite atténuant l'exposition des grappes au soleil », a-t-il indiqué. Puis il a présenté d'autres pistes plus prometteuses pour diminuer la photosynthèse. Par exemple, des chercheurs italiens ont utilisé des filets opaques pour ombrager une vigne de sorte qu'elle ne reçoive plus que 30 % de la lumière solaire. Ils ont ainsi réduit de 23 % la teneur en sucres des raisins à maturité par rapport au témoin exposé en plein soleil.

« L'utilisation d'antitranspirant est également envisagée », a rapporté le professeur. Le pinolène ou 1-pmenthene est une substance extraite des résineux pouvant être appliquée sur « le feuillage, limitant ainsi les échanges gazeux ». Des pulvérisations post-véraison ont permis d'abaisser les teneurs en sucres des raisins sur des cépages italiens et allemands. Mais les traitements avec des antitranspirants entraînent une diminution des anthocyanes pour les cépages rouges.

Désalcoolisation : Le goût change à partir de - 2 % d'alcool

Maria Tiziana Lisanti, du département d'agriculture de l'université de Naples, en Italie, s'est intéressée à l'impact des contacteurs membranaires sur la perception sensorielle des vins. Elle a travaillé sur deux vins d'aglianico, cépage rouge cultivé surtout dans le sud de l'Italie. L'un de ces vins titrait 15,4 % vol. d'alcool (% vol.), l'autre 13,3. Elle les a désalcoolisés de 2, 3 et 5 % vol. « Après la désalcoolisation de 2 % vol., notre panel de dégustateur n'a pas trouvé de différence par rapport au vin témoin », expose-t-elle. Il en a trouvé à partir de 3 % vol. Ces dégustateurs ont indiqué que plus la teneur en alcool diminue, moins ils perçoivent les notes de cerises et de fruits rouges. En revanche, le défaut cuit/brûlé se sent davantage. Comme la désalcoolisation a été menée à 20°C, Maria Tiziana Lisanti ne pense pas que l'opération soit directement en cause. « Nous supposons que les notes de cuit/brûlé apparaissent car des molécules qui peuvent les masquer ont disparu avec le traitement. »

En ce qui concerne le goût, il y a « une augmentation de l'acidité, de l'amertume et de l'astringence dès que le vin est désalcoolisé de 3 % vol. Et plus la désalcoolisation est importante, plus le profil du vin est modifié », observe-t-elle. Pour finir, Maria Tiziana Lisanti a demandé au panel de classer les vins selon leur préférence. Elle en a tiré la conclusion que « dans le cas des vins avec une teneur en alcool initial élevé, la désalcoolisation de 2 % vol. permet au vin d'être plus apprécié des dégustateurs ».

Au Centre des sciences du goût et de l'alimentation de Dijon (Côte-d'Or), la chercheuse Sophie Meillon a évalué l'impact de l'osmose inverse sur les qualités sensorielles du vin. Elle a retiré 1,5 et 3 % vol. à des chardonnays, sauvignons, merlots et syrahs titrant initialement 14 % vol. « Il n'y a pas de différence notable entre les vins à - 1,5 % vol. et les vins témoins, mais il y a une différence entre ceux à - 3 % vol. et les témoins », affirme-t-elle. Dans ces vins, la désalcoolisation entraîne une baisse de la perception de l'amertume, des arômes et de la persistance en bouche.

Sophie Meillon a également retiré 2 % vol. dans des vins rouges australiens et a observé « des modifications de l'amertume, de l'astringence et de la complexité ». D'après ces résultats, « il est difficile de savoir à partir de quelle diminution d'alcool des modifications sont perçues, mais il semblerait que des différences soient manifestes entre - 2 et - 3 % vol. », conclut la chercheuse.

Désalcoolisation : Des arômes et des acides disparaissent

Laura Cugini, du département de biotechnologie de l'université de Vérone, en Italie, a testé la désalcoolisation par « les contacteurs membranaires sur des vins de différents cépages italiens ». Le principe de ces appareils est simple. Une membrane hydrophobe sépare le vin à désalcooliser d'un côté de l'eau pure de l'autre. Du fait de la différence de pression de vapeur entre les compartiments qui contiennent les liquides, l'éthanol passe à travers la membrane pour aller du vin vers l'eau. Le vin est alors désalcoolisé. Avec cette technique, Laura Cugini a abaissé de 2 % vol. la teneur en alcool de douze vins. Ce qui a eu pour conséquence de diminuer la concentration de l'ensemble des molécules aromatiques qu'elle a analysées. Cette chute est allée jusqu'à 19 % pour les esters éthyliques et 31 % pour les acétates, des molécules qui interviennent dans l'arôme fruité des vins.

Lors du colloque, Laura Cugini a expliqué que la désalcoolisation des vins par les contacteurs membranaires est simple à mettre en place et que le coût d'utilisation reste faible. Elle a ajouté qu'il fallait « travailler à basse température pour limiter les pertes aromatiques », tout en précisant que plus un vin est désalcoolisé, moins ces pertes sont importantes. De ce fait, avec les contacteurs membranaires, il est préférable « de désalcooliser fortement une petite partie du vin » plutôt que d'enlever 2 % vol. à la totalité du volume.

La nanofiltration et l'osmose inverse constituent d'autres techniques membranaires pour réduire la teneur en alcool des vins. Assez proches l'une de l'autre, elles utilisent la pression pour faire passer l'eau et l'alcool présents dans un vin à travers une membrane. Le docteur Fernando Gonçalves, de l'institut supérieur d'agronomie de Lisbonne, au Portugal, les a comparées. Il a désalcoolisé un vin rouge de 16 à 14 % vol. avec les deux techniques et a constaté une baisse de l'acidité totale de 5 % avec la nanofiltration et de 1 % avec l'osmose inverse par rapport au vin témoin. « La majeure partie de cette diminution est due à la réduction d'acidité volatile », a-t-il démontré.

À Bordeaux, Fernando Gonçalves a également spécifié que les teneurs en anthocyanes chutent de 26 % avec l'osmose inverse et de 9 % par nanofiltration. « Nous pensons qu'il y a adsorption de ces composés sur les membranes », a-t-il signalé. Cependant, l'intensité de la couleur et la teinte des vins restent inchangées par rapport au témoin.

Pour Fernando Gonçalves, la nanofiltration présente des avantages par rapport à l'osmose inverse. « Elle permet de diminuer l'acidité volatile sans modifier la couleur. De plus, les vins désalcoolisés par nanofiltration ont été préférés aux vins témoins ou désalcoolisés par osmose inverse. »

L'étiquette influence la perception du vin

Lors du colloque, Sophie Meillon, chercheuse au Centre des sciences du goût et de l'alimentation de Dijon (Côte-d'Or), a présenté des résultats étonnants. « Nous avons réalisé un test avec trois bouteilles, a-t-elle expliqué. Dans la première, nous avons mis un vin à 13,5 % vol. d'alcool. Nous avons rempli les deux autres avec le même vin désalcoolisé à 9,5 % vol. » Sur la première bouteille, elle a collé une étiquette indiquant 13,5 % vol. Sur la deuxième bouteille, elle a apposé la même étiquette alors qu'elle contenait le vin à 9,5 % vol. Sur la troisième, elle a mis une étiquette mentionnant 9,5 % vol. Sophie Meillon a ensuite présenté ces bouteilles à 188 dégustateurs. Cinquante-neuf d'entre eux ont jugé que les trois vins étaient nettement différents. Soixante-dix-sept ont trouvé que les vins de la première et de la deuxième bouteille étaient peu différents. Et seulement cinquante-deux ont bien vu qu'il n'y avait que deux vins différents. Ces résultats font dire à Sophie Meillon que « l'information mentionnée sur l'étiquette a un impact sur la perception. Les dégustateurs qui ont été plus influencés par cette information que par leur perception, et cela de façon négative, sont plutôt des hommes connaisseurs de vin. Alors que les personnes ayant bien perçu les différences sont plutôt des femmes novices en matière de vin ».

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