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VIN

Bichonnez vos levures, elles réduiront moins

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 48

Les levures restent la principale source de production de composés soufrés malodorants lors de la vinification des blancs. Il faut en prendre soin pour éviter de voir apparaître des odeurs de réduction.
LORS DU LEVURAGE, l'utilisation d'activateurs de fermentation à base d'écorces de levures peut limiter l'apparition des odeurs de réduction. © P. ROY

LORS DU LEVURAGE, l'utilisation d'activateurs de fermentation à base d'écorces de levures peut limiter l'apparition des odeurs de réduction. © P. ROY

1 - Sulfitez juste ce qu'il faut

« Le SO2 est un précurseur possible de l'H2S (hydrogène sulfuré, à l'odeur d'œuf pourri). Plus on en a, plus les risques de réduction sont élevés », indique Olivier Pillet, chef produit et responsable développement biotechnologies à l'Institut œnologique de Champagne (IOC). « Le SO2 interfère dans le métabolisme levurien, ajoute Henri Ducourneau, codirecteur du centre œnologique Cadillac-Podensac-Léognan, en Gironde. Si on sulfite trop fort, on est davantage confronté à des problèmes de réduction. » Mais il est difficile de déterminer la dose de SO2 à partir de laquelle les vins auront tendance à réduire. Il faut simplement raisonner l'apport en fonction de l'état sanitaire, de la température, du pH et de l'itinéraire de vinification ainsi qu'éviter les doses élevées si c'est inutile.

2 - Débourbez suffisamment mais pas trop

« Avec une turbidité très faible ou très élevée, on peut voir des défauts de réduction se développer », explique Olivier Pillet. Les œnologues considèrent généralement qu'il faut être en dessous de 120 NTU. Dans certains cas, la turbidité doit être encore plus basse. Dans les essais qu'il a menés avec une levure sélectionnée par l'IOC, Olivier Pillet a montré que « c'est entre 20 et 90 NTU qu'apparaissent le moins de composés soufrés négatifs ». Attention tout de même, car « si on débourbe trop, on peut perdre 20 à 30 % de l'azote assimilable », prévient Henri Ducourneau. Or, la carence azotée conduit à la réduction.

3 - Vitaminez les moûts

Une carence en vitamines du moût peut augmenter la production de composés soufrés négatifs par les levures. « L'acide pantothénique – ou vitamine B5 – a un rôle central », argumente Olivier Pillet. Elle ne peut pas être rajoutée seule au moût. « Mais des nutriments complexes naturellement riches en vitamines suffisent généralement à pallier ces carences », rassure-t-il.

4 - Pensez à l'azote, l'élément essentiel

Pour éviter de rencontrer des problèmes, les moûts doivent renfermer autour de 150 mg/l d'azote assimilable pour un titre alcoométrique volumique probable (TAVP) de 12,5 % vol. alc. Si la richesse en sucres est plus élevée ou si la levure est exigeante en azote, il faut une teneur en azote plus haute. Certains praticiens estiment qu'il faut 0,8 mg d'azote assimilable pour 1 g de sucres à fermenter.

En cas de carence, Henri Ducourneau conseille d'apporter l'azote en décalé. Par exemple, pour un moût avec un TAVP de 12 % et un niveau d'azote assimilable initial de 80 mg/l, « il faut rajouter 60 à 70 mg/l d'azote. Je recommande d'ajouter 30 mg d'azote minéral lorsque la densité a perdu cinq points et d'apporter le reste sous forme d'azote organique à moins 20, moins 30 de densité ». D'après son expérience, Olivier Pillet conseille plutôt « d'apporter de l'azote organique dès qu'il y a un dégagement de CO2 » et de rajouter au tiers de la fermentation alcoolique (FA) soit de l'azote minéral, soit de l'azote organique. Intervenant après la phase de croissance des levures, ce dernier « leur permettra de synthétiser les constituants membranaires qui favoriseront le transport des sucres en fin de fermentation », expose Olivier Pillet.

5 - Choisissez une levure qui produit peu d'H2S

« Les levures produisent plus ou moins de composés soufrés négatifs », observe Christophe Marchais, œnologue conseil chez LVVD, en Val de Loire. Il faut donc se référer à leur fiche technique ou demander conseil aux œnologues. Il faut également vérifier si les levures ont des besoins élevés en azote pour ajuster au mieux la teneur en azote assimilable des moûts. Olivier Pillet poursuit : « Certaines levures sont produites selon un procédé particulier les rendant moins sensibles au manque de vitamines dans le moût et les amenant à produire moins d'odeurs soufrées. » Le même effet peut être obtenu par l'apport d'un protecteur de levures au moment de leur réhydratation.

6 - Privilégiez les températures basses

Les températures élevées favorisent l'apparition de composés soufrés négatifs. D'après Olivier Pillet, ce phénomène peut apparaître dès 18°C. Lors d'un de ses essais, un vin vinifié à cette température était plus marqué par des odeurs de réduction qu'après une vinification à 14°C. Mais pour révéler les thiols volatiles, mieux vaut se situer entre 18 et 20°C. « Une température de 16°C est généralement un bon compromis », relève-t-il.

7 - Aérez au tiers de la FA

En début de FA, il est préférable de limiter les aérations pour circonscrire les pertes aromatiques. Mais « un apport de 7 à 10 mg d'oxygène par litre de moût au tiers de la FA, en même temps que l'apport d'azote, peut favoriser la fin de fermentation et parfois modérer l'apparition d'odeurs soufrées », signale Olivier Pillet.

8 - Réagissez si un défaut apparaît

Si la réduction apparaît au premier tiers de la FA, préférer l'ajout d'azote organique. « Il sera assimilé plus lentement que l'azote ammoniacal par les levures », garantit Olivier Pillet. « Dans le deuxième tiers de la fermentation, une très légère oxygénation apportant 1 à 2 mg/l d'oxygène par litre de moût peut être réalisée en fonction de la dégustation », affirme Christophe Marchais. Si on sent arriver la réduction en fin de fermentation alcoolique, « il faut soutirer les lies dès la fin de la fermentation puis surveiller l'évolution avant de sulfiter », préconise Henri Ducourneau. Le sulfitage devra alors être léger (3 g/hl). S'il n'y a pas de problème de réduction, il faut sulfiter trois à cinq jours après la fermentation alcoolique à 5 à 6 g/hl. Mais Henri Ducourneau assure qu'il vaut mieux « anticiper » l'apparition des odeurs de réduction et que le couple « azote-oxygène est gagnant » pour une bonne fermentation et pour limiter les défauts de réduction.

DAVID FLAUJAC, GÉRANT DES VIGNOBLES FLAUJAC, À LADAUX (GIRONDE) « Certains de nos blancs réduisent, mais on finit toujours par s'en sortir »

DAVID FLAUJAC, GÉRANT DES VIGNOBLES FLAUJAC, À LADAUX (GIRONDE)

DAVID FLAUJAC, GÉRANT DES VIGNOBLES FLAUJAC, À LADAUX (GIRONDE)

«Nous exploitons 90 ha de sauvignon, sémillon, muscadelle, merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon en appellation Bordeaux. Nous avons souvent des vins blancs qui réduisent, surtout à cause de la stabulation à froid, car nous laissons les moûts dix à quatorze jours sur bourbes à l'abri de l'air. Des odeurs de réduction peuvent apparaître au cours de la fermentation alcoolique ou dans le mois qui suit. Mais nous arrivons toujours à les éliminer. Dès qu'elles surviennent, nous effectuons un cliquage en apportant 10 litres d'oxygène pour 100 hl en deux fois, à deux ou trois jours d'intervalle.

Si vraiment les odeurs de réduction ne disparaissent pas, il est toujours possible d'effectuer un remontage aéré en utilisant un embout fritté branché au robinet de la cuve.

On peut ainsi remonter entre un demi et un volume de la cuve. Pour que la fermentation se déroule bien, nous ajustons l'azote, entre 150 et 180 mg/l.

Nous apportons un mélange composé à moitié de sulfate d'ammonium et à moitié de phosphate d'ammonium, en deux fois : trois jours après le levurage et lorsque la densité atteint 1 030. Mais quoi qu'il arrive, certaines levures réduisent plus ou moins…

Nous préférons quand même une levure qui produit un bon profil aromatique, même si elle présente ce défaut. Les problèmes de réductions, il faut faire avec. Nous arrivons toujours à arranger ça. »

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