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VIN

Comment déguster pendant la fermentation

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 50

Trois experts donnent leurs conseils pour bien goûter les moûts et les vins en cours de fermentation, malgré la présence de sucre et de gaz carbonique.
PRÉLÈVEMENT LORS D'UN REMONTAGE. C'est à cette occasion que l'échantillon obtenu est le plus représentatif de la cuve. © C. WATIER

PRÉLÈVEMENT LORS D'UN REMONTAGE. C'est à cette occasion que l'échantillon obtenu est le plus représentatif de la cuve. © C. WATIER

1 - Commencez au plus tôt

La dégustation peut démarrer sur les premiers jus blancs et rosés coulant du pressoir et un à deux jours après l'encuvage pour les rouges. En goûtant précocement les moûts, on peut estimer le potentiel de la cuve et valider ou non les sélections parcellaires et les observations faites lors de la dégustation des baies.

Cette première dégustation est une aide à la décision pour adapter des itinéraires de vinification. « Elle permet également de détecter d'éventuelles déviations aromatiques comme les goûts moisi terreux, un caractère métallique ou encore l'amertume des blancs suite à un pressurage trop poussé, souligne Maurice Chassin, œnologue, cofondateur de la société CQFDgustation et auteur d'un « Guide pratique de la dégustation ». Il est relativement simple d'intervenir sur moût pour corriger ces défauts. C'est plus compliqué sur les vins. »

Attention toutefois à ne pas confondre amertume en fin de bouche et goûts métalliques. La différence entre les deux est ténue. Mais les goûts métalliques disparaissent spontanément pendant la fermentation. Quant à l'amertume, elle tient à des composés phénoliques. Il faut intervenir pour l'éliminer par une hyperoxygénation ou par un collage des moûts.

L'idéal est de déguster chaque cuve quotidiennement jusqu'au soutirage et au sulfitage du vin. Ensuite, les contrôles peuvent être espacés.

2 - Soyez rigoureux dans les prélèvements

La qualité du prélèvement est essentielle. Pour les blancs et les rosés, on peut utiliser un plongeur ou se servir du robinet de dégustation après l'avoir bien dégorgé. Pour les rouges avant décuvaison, la difficulté est d'obtenir un échantillon représentatif de la cuve. L'idéal est d'effectuer le prélèvement lors d'un remontage.

À défaut, Maurice Chassin recommande de faire des prélèvements en deux points, l'un près du chapeau de marc, l'autre en fond de cuve, et de comparer ces deux échantillons. « L'activité est plus intense en fond de cuve. C'est souvent là qu'on voit poindre des évolutions qu'on ne détecte qu'ultérieurement au niveau du chapeau », argumente l'œnologue.

3 - Dégustez au calme

La dégustation exige de la concentration. Mieux vaut s'isoler dans une pièce au calme pour ne pas se laisser polluer par les bruits et les odeurs de la cave. Les échantillons doivent avoir reposé au moins une heure ou deux pour être un peu clarifiés. Il faut également les mettre à la bonne température : entre 10 et 20°C. Mieux vaut dégazer l'échantillon en agitant le verre, car le CO2 renforce la dureté des vins.

Enfin, il est indispensable de prendre des notes pour garder une trace de ces évaluations quotidiennes et pouvoir y revenir si besoin. Maurice Chassin conseille de travailler sur des fiches, surtout s'il y a plusieurs dégustateurs.

4 - Focalisez-vous sur des points précis

La dégustation en cours de vinification est « ciblée sur les défauts et les arrêts de fermentation, précise Pierre Cros, œnologue au sein du laboratoire Méditerranée œnologie. Il faut être attentif au gaz carbonique. Lorsque sa présence diminue, il faut bien vérifier que la densité baisse également. Si elle reste stable et que l'on perçoit moins de CO2, c'est le premier signe d'un arrêt de fermentation ».

Parmi les défauts facilement repérables à la dégustation, on trouve l'oxydation ou la réduction sur les blancs, les goûts de moisi, la présence de polyphénols et les notes végétales. Sur rouges, il faut également veiller aux Brett qui apparaissent plutôt en fin de fermentation en surveillant particulièrement les parcelles les plus sujettes à la contamination. « La dégustation permet de percevoir une contamination, l'analyse d'expliquer la source du problème », estime Maurice Chassin.

Enfin, l'examen sensoriel est également le meilleur outil pour piloter l'extraction sur les rouges. « C'est en fonction de la charge tannique et de la structure des vins qu'on décide de la durée de cuvaison et de l'intensité des extractions. La dégustation permet également d'évaluer l'impact d'un remontage ou d'un pigeage. Et c'est le juge de paix pour la décuvaison », indique Serge Mouriesse, œnologue conseil basé à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse).

5 - Tenez compte des éléments perturbateurs

Goûter un moût ou un vin en cours de fermentation est plus difficile que goûter un vin fini du fait de la présence de sucre, de CO2 ou d'acide malique. « Le sucre a un effet flatteur, il améliore la perception en début et milieu de bouche », pointe Pierre Cros. Au contraire, « en fin de bouche, il renforce l'amertume et l'astringence par effet de contraste », souligne Maurice Chassin. Il provoque également une fatigue sensorielle, tout comme les tannins qui saturent vite le palais lorsqu'ils sont agressifs.

« Il ne faut pas hésiter à se rincer la bouche à l'eau et, pour les grandes séries, à faire des pauses », conseille Serge Mouriesse.

Quant au gaz carbonique et à l'acide malique, ils renforcent la dureté des vins rouges. Il faut donc apprendre à nuancer cette sensation de dureté. « C'est un entraînement, considère Pierre Cros. C'est en pratiquant régulièrement qu'on apprend à faire abstraction du sucre ou du CO2. »

BRUNO LEBRETON ET DAMIEN MICHEL, PROPRIÉTAIRE ET MAÎTRE DE CHAI DU DOMAINE DE LA JASSE, 58 HA À COMBAILLAUX, DANS L'HÉRAULT « Nous ciblons les déviations et l'extraction »

BRUNO LEBRETON ET DAMIEN MICHEL, PROPRIÉTAIRE ET MAÎTRE DE CHAI DU DOMAINE DE LA JASSE, 58 HA À COMBAILLAUX, DANS L'HÉRAULT

BRUNO LEBRETON ET DAMIEN MICHEL, PROPRIÉTAIRE ET MAÎTRE DE CHAI DU DOMAINE DE LA JASSE, 58 HA À COMBAILLAUX, DANS L'HÉRAULT

«Nous dégustons tous les jours, dès le troisième jour de macération. Nous prélevons les échantillons la veille au robinet des cuves. Ensuite, nous les mettons tous à la même température (18°C) et nous les laissons reposer jusqu'au lendemain matin. Cela permet au gaz de s'évacuer et aux parties solides de se déposer.

Tous les matins, à 8 heures, nous dégustons l'ensemble des cuves (jusqu'à vingt échantillons par jour) en commençant par les plus avancées dans la fermentation pour finir par celles qui ont le plus de sucre. Nous allons à l'essentiel en ciblant deux points précis : les déviations aromatiques et le niveau d'extraction. Nous surveillons également le rythme des extractions : si l'extraction est trop rapide, on risque d'avoir des vins plus astringents.

Si elle est trop lente, la structure peut s'avérer insuffisante. La dégustation est notre seul outil de décision pour la fréquence et la durée des délestages, remontages ou pigeages. Le dosage des polyphénols apporte des précisions sur la quantité de tannins mais pas sur leur qualité.

Chaque dégustateur prend des notes sur la dégustation et les décisions qui en découlent.

Nous enregistrons ensuite l'ensemble de ces éléments sur ordinateur pour chaque cuve, ce qui permet d'avoir un suivi durant toutes les vinifications et sur plusieurs millésimes. Pour être performants, nous dégustons dans un endroit neutre, agréable, qui n'est pollué ni par les odeurs ni par le bruit en cave. C'est important pour la qualité et la reproductibilité des résultats.

Pour bien faire, il faudrait déguster à l'aveugle pour ne pas être influencé par la connaissance que nous avons de la cuve. En réalité, il faudrait même une double dégustation : une à l'aveugle et l'autre en connaissant l'historique de la cuve pour juger des décisions prises. Si on trouve une déviation sur une cuve, on l'a forcément en tête lors de la dégustation suivante, ce qui oriente notre appréciation. »

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