«Peu s'en faut que les vertus du vin ne l'emportent sur le pouvoir des dieux. » Ces paroles enthousiastes d'Asclépiade de Bithynie, célèbre médecin grec établi à Rome entre le IIe et le Ier siècle avant notre ère, montrent qu'il avait une confiance particulière dans les bienfaits du vin pour la santé. Il n'a certes « pas été le premier médecin à traiter du rôle du vin comme remède, relate André Tchernia dans son ouvrage « Le vin romain antique ». (…) Bien avant lui, Hippocrate dans ses traités "Du régime" et "Du régime dans les maladies aiguës" y a consacré plusieurs pages ». Asclépiade lui emboîte le pas. Il est né à Pruse (l'actuelle Bursa, en Turquie), dans la Bithynie de la Grèce antique, « vers 170 avant J.-C., ce qui n'a rien à voir avec les dates de 124-34 avant J.-C. que l'on trouve sans la moindre justification dans bien des manuels », commente l'universitaire Danielle Goubevitch dans une analyse sur le médecin.
Asclépiade a passé l'essentiel de sa carrière à Rome. C'est notamment par les écrits de Pline l'Ancien que les historiens ont retracé sa vie et son œuvre. Pline admet « le grand prestige dont il jouit et son immense renommée ». Il lui reconnaît d'avoir formé une nouvelle école. Mais il ne le porte pas dans son cœur. Il émet des doutes sur ses véritables compétences et le présente volontiers comme un bel orateur et un piètre soignant. Il explique les raisons de son succès par la prescription de cures faciles, agréables et plaisantes. Les patients d'Asclépiade les accueillaient d'autant mieux que des traitements pénibles ou douloureux leur étaient infligés à l'époque, comme l'abus de purgatifs ou de vomitifs.
« Asclépiade proposait des remèdes fort doux, confirme Daniel Leclerc dans son « Histoire de la médecine ». Il disait qu'un médecin doit guérir les malades « sûrement, promptement et agréablement ». De fait, qui ne se laisserait séduire par des prescriptions telles que « se balancer dans des lits suspendus pour s'endormir ou calmer les douleurs, se promener en litière, prendre des bains chauds… » ?
Autre cure volontiers prescrite par Asclépiade, et non des moindres : le recours au vin. « On sait que le vin était la panacée d'Asclépiade », rapporte Daniel Leclerc. Cependant, le surnom de « donneur de vin » ayant déjà été attribué à Cléophonte, un médecin grec du IIIe siècle avant J.-C., il se fit appeler « donneur d'eau froide », car il lui arrivait d'en prescrire.
« Il est visiblement le premier médecin vivant à Rome à s'être particulièrement intéressé au vin, et donc, assurément aux vins italiens et à leur qualité », analyse André Tchernia. Il est à peu près certain qu'il s'est préoccupé, comme ses prédécesseurs, de savoir quel genre de vin il fallait donner pour telle maladie. Tout cela a dû former la matière de son traité « Sur la prescription du vin ». Cet ouvrage a malheureusement disparu, comme tous les écrits d'Asclépiade. Mais on sait par Pline l'Ancien que « d'innombrables auteurs l'ont commenté ». Il fut donc célèbre, en son temps.
Pour établir son traité, Asclépiade a sans doute dû préciser les caractères des vins et des crus. « En les nommant ou au moins en diffusant les noms de grands crus italiens (vin de Cécube, cru Faustinien, vin d'Albe), il met fin au règne exclusif des vins grecs importés comme signes de luxe », interprète André Tchernia.
Asclépiade meurt en tombant d'un escalier dans les premières années du Ier siècle avant J.-C. Il est alors âgé d'environ 80 ans. Par la suite, ses disciples « ne se contentaient pas de prescrire tel type de vins pour telle maladie, (…) poursuit André Tchernia. Ils ont aussi dressé des classements de crus italiens et d'Asie mineure. Ils ont rendu publiques les hiérarchies auxquelles ils aboutissaient et étendu aux vins italiens une pratique déjà familière aux médecins grecs. (…) Asclépiade a ainsi jeté les prémisses des principes d'un classement hiérarchique des vins italiens ». Confirmant une fois encore « l'influence de la médecine et le rôle prépondérant des prescriptions médicales dans la réputation des crus » de l'Antiquité.
<p>« Histoire de la médecine » de Daniel Leclerc.</p> <p>« Le vin romain antique » de Jean-Pierre Brun et André Tchernia.</p> <p>« Le cercle de L. Licinius Crassus et la naissance de la hiérarchie des vins à Rome » par André Tchernia.</p> <p>« Asclépiade de Bithynie dans Pline : problèmes de chronologie» par Danielle Goubevitch.</p>