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Magazine - Etranger

Etna : Le réveil du volcan

ÉVELYNE MALNIC - La vigne - n°257 - octobre 2013 - page 84

Ce vignoble de Sicile, en Italie, connaît un spectaculaire renouveau. Vignerons et investisseurs s'y installent pour produire de grands vins avec une ambition : devenir la Bourgogne de la Méditerranée.
LE DOMAINE PASSOPISCIARO, situé à Castiglione di Sicilia, accueille les Contrade de l'Etna chaque année. Lors de cette manifestation, 62 entreprises présentent leur nouveau millésime aux acheteurs du monde entier. © CORBIS/GRAND TOUR COLLECTION

LE DOMAINE PASSOPISCIARO, situé à Castiglione di Sicilia, accueille les Contrade de l'Etna chaque année. Lors de cette manifestation, 62 entreprises présentent leur nouveau millésime aux acheteurs du monde entier. © CORBIS/GRAND TOUR COLLECTION

LA FIN DES VENDANGES est célébrée joyeusement au domaine Tenuta delle Terre Nere, implanté à Randazzo, sur les pentes nord du volcan. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

LA FIN DES VENDANGES est célébrée joyeusement au domaine Tenuta delle Terre Nere, implanté à Randazzo, sur les pentes nord du volcan. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

CHIARA VIGO sur les terres familiales datant de la fin du XVIIIe siècle. Une propriété de 30 ha de vignobles, d'oliviers et de poiriers non loin de Randazzo. L'éruption volcanique de 1981 a détruit une grande partie du domaine mais s'est arrêtée devant une vieille vigne de nerello mascalese. Depuis 2007, le domaine produit du Vigo Etna rosso DOC à partir de cette vigne miraculée.

CHIARA VIGO sur les terres familiales datant de la fin du XVIIIe siècle. Une propriété de 30 ha de vignobles, d'oliviers et de poiriers non loin de Randazzo. L'éruption volcanique de 1981 a détruit une grande partie du domaine mais s'est arrêtée devant une vieille vigne de nerello mascalese. Depuis 2007, le domaine produit du Vigo Etna rosso DOC à partir de cette vigne miraculée.

SALVO FOTI, vigneron et œnologue du domaine I vigneri, est un farouche défenseur de la tradition viniviticole du volcan. PHOTOS E. MALNIC

SALVO FOTI, vigneron et œnologue du domaine I vigneri, est un farouche défenseur de la tradition viniviticole du volcan. PHOTOS E. MALNIC

CUVERIE du domaine Tenuta delle Terre Nere. L'exploitation dirigée par Marco de Grazia mise sur le respect de l'environnement avec ses panneaux solaires et sa culture certifiée bio. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

CUVERIE du domaine Tenuta delle Terre Nere. L'exploitation dirigée par Marco de Grazia mise sur le respect de l'environnement avec ses panneaux solaires et sa culture certifiée bio. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

L'UN DES PLUS ANCIENS CEPS de l'île aurait plus de 250 ans. Il est conduit de façon traditionnelle, en albarello

L'UN DES PLUS ANCIENS CEPS de l'île aurait plus de 250 ans. Il est conduit de façon traditionnelle, en albarello

MARCO DE GRAZIA vinifie une dizaine de cuvées différentes à base de cépages autochtones uniquement, dont quatre crus pour la reconnaissance desquels il s'est beaucoup battu. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

MARCO DE GRAZIA vinifie une dizaine de cuvées différentes à base de cépages autochtones uniquement, dont quatre crus pour la reconnaissance desquels il s'est beaucoup battu. © TERRUTA DELLE TERRE NERE

Il y a dix ans, Salvo Foti, œnologue et vigneron, cherchait en vain à publier son livre « Etna. Les vins du volcan ». Aujourd'hui, il a trouvé un éditeur. C'est qu'entre-temps, les vins de l'Etna sont devenus tendance. Venant de Toscane, le vigneron Andrea Franchetti ou le distributeur Mario de Grazia ont acheté des terres pour créer leur vignoble. Délaissant leur profession d'origine, l'architecte Ciro Biondi, le financier Salvino Benanti ou l'universitaire Chiara Vigo se sont installés sur les terres familiales. D'autres investisseurs italiens et étrangers ont fait de même. Tous sont animés par un objectif : ressusciter le glorieux passé viticole du volcan et produire de grands vins.

Pour les Siciliens, le vignoble de l'Etna est une île dans l'île. La vigne fait tout le tour du volcan, occupant surtout la partie nord. Elle bénéficie de conditions particulièrement favorables, à peine mises à mal par les éruptions du volcan. Les sols volcaniques sont très variés, caillouteux et sablonneux. Pauvres parfois, et devant être fertilisés en azote, mais riches la plupart du temps, ils donnent lieu à des densités de plantations élevées – 7 000 à 9 000 pieds par hectare – pour limiter la vigueur de la vigne.

Autre particularité : l'altitude. Le vignoble s'échelonne sur les pentes du volcan de 500 m à plus de 1 000 m, voire 1 300 m pour le domaine I vigneri qui se définit comme le plus haut d'Europe. La région est ventée, sous influence maritime. En été, les journées sont chaudes (jusqu'à 38°C) et les nuits bien fraîches. Tout cela contribue à de belles maturations avec un bel état sanitaire des raisins, les vendanges s'échelonnant sur tout le mois d'octobre.

Sur ces terres uniques prospère un vignoble qui l'est tout autant, cultivé de cépages autochtones, plantés la plupart du temps en gobelet appelé ici albarello. La réglementation a strictement délimité l'aire d'appellation et reconnaît six DOC (Denominazione di origine controllata) : Etna bianco, Etna rosso, Etna rosso riserva, Etna rosato et Etna bianco superiore et Etna spumante.

Seuls les cépages indigènes sont acceptés dans les appellations. En rouge, le nerello mascalese doit entrer pour au moins 80 % dans l'encépagement. Ce cépage doit son nom à une ville située au pied du volcan. Il offre des vins aux arômes de cerise, peu colorés et tanniques, dont certains soulignent la proximité avec le pinot noir bourguignon. Vient ensuite le nerello cappucio, plus souple et plus coloré. En blanc, le carricante est le cépage principal, secondé par le catarratto et le minella.

Les rouges dominent la production. Les DOC représentent moins de 20 % de celle-ci, le reste étant commercialisé en IGT (Indicazione geografica tipica) Sicile ou en vin de table. Certaines exploitations comme Benanti ou la cantina Nicosia, le plus gros domaine de l'île, s'essayent aux bulles avec un blanc de noirs à partir de carricante.

La viticulture de l'Etna vit une période magique. Malgré le prix élevé de leurs cuvées, entre 15 et 100 euros le col, les vignerons exportent 90 % de leur production. Leurs vins partent principalement aux États-Unis, mais aussi en Australie ou au Japon. Partout, ils font la une des journaux grand public ou spécialisés, auréolés de la magie du terroir et de l'histoire de ce mythique volcan de la Méditerranée.

Reste à pérenniser le renouveau et à forger une identité forte. Pour cela, les vignerons ont un modèle : la Bourgogne. En 2012, ils ont obtenu la reconnaissance de 133 crus – les contrade – qui sont autant de terroirs d'exception dont le nom peut désormais compléter celui de l'appellation Etna. Plus de la moitié d'entre eux sont situés dans les communes historiques de Linguaglossa, Castiglione di Sicilia ou Randazzo.

Marco de Grazia est l'un des acteurs de leur reconnaissance. Importateur et distributeur de vins, il s'est implanté à Randazzo, sur les pentes nord du volcan, en 2000. Aujourd'hui, il est à la tête de Tenuta delle Terre Nere, une exploitation de 24 ha. La Bourgogne est son modèle absolu. « Avec l'extrême diversité de ses terroirs et de ses microclimats ainsi que l'extraordinaire finesse de ses vins, l'Etna doit être considéré comme la Bourgogne de la Méditerranée », soutient-il. Expression tangible de cette évolution, la bouteille bourguignonne remplace peu à peu la bordelaise.

Se pose cependant le problème des cépages et du mode de culture. Les traditionnalistes contre les modernes. Nombreux sont ceux qui ne jurent que par les cépages autochtones, après s'être parfois essayés aux internationaux. « Ces cépages sont notre fierté et notre chance pour répondre à la mondialisation », affirment-ils de concert. D'autres, au contraire misent sur les variétés internationales : petit verdot, merlot ou chardonnay.

Traditionnalistes et modernes s'opposent aussi au sujet du mode de culture. Les premiers défendent le classique gobelet. Les seconds le jugent trop coûteux à conduire et trop peu productif. Ils défendent le palissage et la taille en guyot qui permet l'augmentation des rendements et la mécanisation, avec son corollaire : la destruction des terrasses et murets de lave qui ont forgé le paysage de l'Etna.

Côté communication, le vignoble s'organise. La province de Catane a créé la route du vin de l'Etna. Et chaque année désormais, une manifestation de prestige, les Contrade de l'Etna, se déroule au domaine Passopisciaro, propriété d'Andrea Franchetti, à Castiglione di Sicilia. En avril dernier, 62 entreprises y ont présenté leur nouveau millésime et leurs tout nouveaux crus aux acheteurs et aux critiques du monde entier. Une révolution viticole, sociale et économique est bel et bien en marche. La forza del destino ?

Il y a vingt-cinq ans, un nouveau départ

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la vigne était la culture dominante de l'Etna, représentant quelque 50 000 ha et un million d'hectolitres. Puis elle décline sous les coups du phylloxera, des éruptions du volcan, de l'urbanisation et du développement des agrumes. En 1968, les vins de l'Etna sont les premiers de Sicile à être reconnus en DOC (denominazione di origine controllata), mais cela n'a pas beaucoup d'impact. En 1995, le vignoble ne dépasse guère les 1 800 ha, produisant essentiellement des vins ordinaires vendus en vrac. Il faut attendre 1988 pour qu'apparaissent les premiers signes de renaissance, grâce au pharmacien Giuseppe Benanti et à l'œnologue Salvo Foti. En 2011, le vignoble comptait quelque 5 000 ha cultivés dans l'aire géographique délimitée par plus de cent producteurs.

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