Galles foliaires sur porte-greffe. Elles peuvent recouvrir la totalité du feuillage et nuire à la photosynthèse. PHOTOS O. YOBRÉGAT, IFV PÔLE SUD-OUEST
Les galles foliaires s'observent essentiellement sur les vignes mères de porte-greffes et sur les hybrides. Elles sont rares sur les cépages issus de l'espèce Vitis vinifera. Elles sont engendrées par la forme gallicole du phylloxéra.
Symptômes racinaires sur un jeune plant. Le phylloxéra pique les racines pour se nourrir. Sur les radicelles, les cellules piquées cessent de se multiplier alors que les cellules opposées au point de piqûre continuent de proliférer. C'est ce qui provoque les nodosités.
Que sait-on de ce ravageur ?
Il s'agit d'un insecte proche du groupe des pucerons originaire du nord-est des États-Unis. Il a été introduit en France vers 1860, en même temps que les vignes importées par les pépiniéristes pour lutter contre l'oïdium. Il a ravagé le vignoble français à la fin du XIXe siècle.
Quel est son cycle ?
Il commence au printemps par l'éclosion « de l'œuf d'hiver, pondu à l'automne précédent sous les écorces (...) et qui va donner naissance à une femelle aptère » indique le « Précis de pathologie viticole » de Pierre Galet. Cette femelle fondatrice ne peut s'attaquer qu'aux feuilles. Elle pique une jeune feuille, provoquant la formation d'une galle dans laquelle elle se met à pondre des œufs par parthénogénèse (multiplication non sexuée). Ces œufs donnent naissance à de jeunes larves qui, après quatre mues, deviennent adultes et forment de nouvelles colonies. Dès la deuxième génération, certaines de ces larves gallicoles migrent vers les racines pour s'y multiplier : ce sont les néogallicoles radicicoles.
À la fin de l'été, certaines larves radicicoles peuvent se nymphoser pour donner des adultes ailés, lesquels sont les formes de dispersion à longue distance de l'insecte. Ces adultes ailés peuvent pondre des œufs femelles et des œufs mâles sur la partie aérienne des vignes américaines ou des repousses de porte-greffes. Les pucerons issus de ces œufs vont s'accoupler et produire un œuf d'hiver.
Cependant, « ce passage par la sexualité n'existe pas toujours. Dans le cas des vignes cultivées sur les porte-greffes, comme c'est le cas en Europe, les formes sexuées et l'œuf d'hiver n'ont pas encore été observés », nuance Daciana Papura, chercheuse à Bordeaux Sciences Agro (Gironde).
Quels dégâts cause-t-il habituellement ?
Sur Vitis vinifera, le phylloxéra provoque d'énormes dégâts aux racines qu'il pique pour se nourrir. Il cause des nodosités sur les radicelles, car les cellules piquées cessent de se multiplier alors que les cellules opposées au point de piqûre continuent de proliférer. Sur les racines ligneuses, le puceron provoque de très graves lésions appelées tubérosités au fond desquelles l'insecte niche ses œufs. Là, ses attaques se soldent par une incision annulaire de la racine provoquant la mort et la putréfaction de l'extrémité perdue. Le cep s'affaiblit et meurt rapidement.
La plupart des espèces américaines tolèrent les attaques aux racines. C'est pourquoi le recours aux porte-greffes américains a permis de sauver le vignoble européen. Sur plusieurs Vitis américains (Vitis riparia, Vitis berlandieri…), le phylloxéra cause surtout des galles foliaires, sans provoquer de dégâts importants. Mais ces galles foliaires sont beaucoup plus rares sur Vitis vinifera.
Peut-il encore poser problème en France ?
Peut-être. Depuis l'introduction des porte-greffes résistants américains, l'insecte est sous contrôle. En effet, les racines de ces vignes résistantes réagissent aux piqûres du ravageur par la formation d'une couche de liège protectrice. Cependant, il n'a pas totalement disparu. « De plus en plus de viticulteurs font face à des attaques de phylloxéra sur les feuilles de différents cépages. Dans les cas extrêmes, cela peut perturber la maturation des raisins et baisser la qualité de la récolte. Les viticulteurs sont démunis, car aucun insecticide n'est homologué », rapporte Daciana Papura.
Pour l'instant, ce phénomène n'est pas expliqué. On sait simplement que plusieurs facteurs abiotiques peuvent favoriser l'apparition des formes gallicoles sur Vitis vinifera. « Plus les sols sont argileux et retiennent l'eau, plus les insectes ont tendance à remonter sur les feuilles », constate la chercheuse.
Olivier Yobrégat, de l'IFV pôle Sud-Ouest, auteur du chapitre sur le phylloxéra dans l'ouvrage « Gestion des sols viticoles » aux éditions France Agricole, confirme que des symptômes de phylloxéra peuvent être remarqués sur des feuilles de Vitis vinifera. Mais, selon lui, cela reste rare et sans conséquence.
Que se passe-t-il sur les vignes mères de porte-greffes ?
« On y observe fréquemment des symptômes sur feuillageVitis vinifera, souligne Olivier Yobrégat. Lorsque le nombre de galles est très important, l'activité photosynthétique est réduite et la production de bois pénalisée. Or, aucun traitement insecticide n'est homologué contre le phylloxéra. Les traitements contre la flavescence dorée peuvent limiter le problème mais ne suffisent pas. Car pour viser le phylloxéra, il faudrait passer plus tôt, entre les stades trois et six-sept feuilles étalées. »
L'insecte pourrait-il contourner la résistance des porte-greffes ?
« C'est une question que l'on se pose, car on sait peu de choses sur la diversité des populations de phylloxéra », admet Daciana Papura. Des chercheurs hongrois et californiens ont montré que certaines populations européennes sont plus agressives que les populations américaines. Ces différences de comportement n'ont pas forcément été prises en compte dans les tests de résistance des porte-greffes.
Une équipe de chercheurs de l'Inra de Bordeaux et de Bordeaux Sciences Agro a donc mis en place une collection de population française de phylloxéra. Elle va étudier la variabilité génétique ainsi que l'agressivité de l'insecte et tenter de mieux comprendre sa capacité d'adaptation au contexte viticole actuel. « Ces connaissances sont essentielles pour la sélection de nouveaux porte-greffes à résistance durable », insiste Daciana Papura. De son côté, Olivier Yobrégat rappelle que les porte-greffes américains sont utilisés depuis près de cent cinquante ans et que leur résistance n'a été contournée ni en France, ni aux États-Unis, pays d'origine du phylloxéra. « Ces porte-greffes ont été créés à partir des espèces américaines qui ont évolué avec le parasite. Des adaptations du phylloxéra sont toujours possibles, mais je ne pense pas que ce soit de sitôt », argumente-t-il.
Y a-t-il eu des infestations récentes ?
Oui. Au début des années 1990, le phylloxéra a ravagé le vignoble californien. En cause : le recours massif au porte-greffe AXR 1 (aramon croisé avec rupestris-ganzin numéro 1). « C'est un porte-greffe vigoureux, qui s'adapte à tous les types de sol », rapporte Olivier Yobrégat. Or, ce porte-greffe est insuffisamment résistant au phylloxéra. Pour cette raison, les Français l'avaient rejeté. L'université de Davis, quant à elle, l'a fortement recommandé, malgré les mises en garde des agronomes français. Les Californiens ont payé cher leur erreur.
Y a-t-il encore des vignobles épargnés dans le monde ?
Aujourd'hui, il n'y a guère qu'au Chili, en Arménie, à Chypre et dans certaines régions de l'Australie et de la Chine que le phylloxéra est absent. Dans ces pays où beaucoup de cépages sont encore cultivés en franc de pied, les autorités ont mis en place des mesures de quarantaine drastiques pour éviter son introduction et sa dispersion.
Les vignes en franc de pied se développent-elles pour autant en France ?
Oui, épisodiquement. « Quand les sols sont très sableux, le phylloxéra n'y prolifère pas, car il a dû mal à faire des galeries », explique Olivier Yobrégat. Dans ces situations, il est donc possible de planter des vignes non greffées. Certains vignerons l'ont fait pour conserver une particularité culturale et se diversifier en élaborant un produit de niche. En dehors de ces sols, la plantation de vignes en franc de pied est fortement déconseillée.