Jeudi 3 octobre, c'est jour de pleine vendange dans l'Entre-deux-Mers. Les bennes affluent devant la cave coopérative de Sauveterre-de-Guyenne (Gironde). Le temps est gris et humide. Quelques averses mouillent les raisins. Philippe Cazaux, directeur de la cave, nous attend au sec, dans son bureau. « Sauveterre est un des quatre sites de production de l'Union de Guyenne. Nous y produisons surtout des vins rouges technologiques », précise-t-il.
C'est dans cet esprit « technologique » que la cave a équipé ses douze plus grosses cuves du système Scalya, conçu par la société Vivelys. Le système développé par cette société basée dans l'Hérault signe la fin des prises d'échantillons pour relever la densité. Car il mesure le dégagement de dioxyde de carbone pour suivre automatiquement la fermentation. Il injecte aussi l'oxygène au moment et en quantité voulus pour aérer les levures. Et il avertit l'opérateur lorsqu'il faut apporter l'azote.
« Allons voir l'ordinateur qui pilote ces cuves », suggère Philippe Cazaux. L'outil, installé dans le bureau du maître de chai, montre huit cuves en gris : elles sont vides. Les quatre autres sont vertes : elles sont remplies de moût en fermentation. À côté d'elles se trouvent plusieurs indications : « En rouge, la température du moût. En bleu, la quantité de CO2 qui se dégage en gramme de gaz carbonique par litre de moût et par heure (g/l/h). Et, en noir, le pourcentage d'avancement de la fermentation. Par exemple, la cuve 707 est à 44 % d'avancement », montre le directeur de la cave. En d'autres termes, les levures ont consommé 44 % de la quantité initiale de sucres.
Puis Philippe Cazaux s'attarde sur la cuve 708. Il ouvre une nouvelle fenêtre. Le numéro de lot est indiqué à droite de l'écran. En dessous, « vous voyez la recette qui est appliquée », explique-t-il, c'est-à-dire la courbe de la température de fermentation. Le vinificateur l'a définie selon son expérience et le profil de vin qu'il souhaite.
« Voyons la courbe de fermentation de cette cuve », poursuit-il lorsqu'Olivier Bonneau pénètre dans le bureau. « C'est l'œnologue responsable du site de Sauveterre », présente Philippe Cazaux. Il lui donne la souris pour qu'il continue la démonstration. L'œnologue s'exécute. « Nous remplissons cuve fermée, donc nous avons un gros pic au début qui correspond à l'air chassé par l'arrivée du moût, détaille-t-il. Le niveau reste ensuite à zéro jusqu'au levurage. Cela entraîne un petit pic. Le point mauve juste à côté correspond à l'apport d'azote que nous avons effectué lors du levurage. »
Ensuite, la courbe grimpe en moins de deux jours jusqu'au sommet de dégagement de gaz carbonique qui se situe à environ 0,7 g/l/h de CO2. C'est le moment où les levures fermentent le mieux. C'est ce qu'on appelle le Vmax (volume maximal de CO2 dégagé), ou vitesse de fermentation maximale. C'est à ce moment-là que les apports d'oxygène sont les plus efficaces pour les levures. D'ailleurs, un point vert sur la courbe indique qu'il y a eu un apport de 5 mg/l d'oxygène au Vmax. « L'injection est automatique, souligne Philippe Cazaux. Nous avons la garantie que l'opération s'effectue bien lorsque les levures en ont le plus besoin. »
« Après le Vmax, la courbe redescend, poursuit Olivier Bonneau. Les levures sont moins actives. Puis le troisième jour de fermentation, il y a un creux. Cela correspond à la chaptalisation. Nous avons dû ouvrir la cuve. Il n'y avait plus de mesure de CO2, le niveau est retombé à zéro. » Mais comme la cuve est restée ouverte peu de temps, le logiciel a pu reconstituer la courbe afin que la mesure de l'avancement de la fermentation reste juste.
Philippe Cazaux nous propose alors d'aller voir les cuves. Elles ont une capacité de 2 300 à 3 000 hl. Pour y monter, il faut gravir 52 marches au bout desquelles on se retrouve à près de 12 m du sol. Philippe Cazaux s'arrête devant une sorte de grand col-de-cygne en inox relié à la cheminée d'une cuve. « Si vous mettez votre main à la sortie, vous sentirez le dégagement de CO2. » C'est le cas. Le capteur de CO2 ? « C'est ce petit boîtier placé à la sortie du col-de-cygne », indique Philippe Cazaux. Outre ce col-de-cygne, les cuves sont aussi pourvues d'un piquage par lequel pénètre un tuyau d'oxygène.
« Comme ce système est relativement cher, nous l'avons installé sur les plus grosses cuves. Ainsi, la fermentation est sécurisée pour un maximum de volumes. Car pour avoir des vins aromatiques, il faut que la fermentation se passe bien. Lorsqu'une fermentation traîne ou s'arrête, les arômes ne sont pas bien révélés. Il peut y avoir des notes d'oxydation », assure-t-il. Philippe Cazaux est convaincu par le système de la société Vivelys. Il envisage, malgré le prix, d'équiper d'autres cuves.
JEAN-MARIE SABLAYROLLES, DIRECTEUR DE L'UNITÉ MIXTE DE RECHERCHE DES SCIENCES POUR L'OENOLOGIE À L'INRA DE MONTPELLIER (HÉRAULT) « Un suivi plus fin et plus précis de la fermentation »
« La mesure du dégagement de dioxyde de carbone permet un suivi beaucoup plus fin et précis de la fermentation alcoolique qu'une simple mesure de densité. Le CO2 dégagé lors de la fermentation correspond aux sucres consommés par les levures. On estime que 200 g de sucres produisent 92 g ou 50 l de CO2. En connaissant la teneur initiale en sucres d'un moût et en suivant le dégagement de CO2, il est possible de connaître l'avancement de la fermentation. La mesure du CO2 permet également de déterminer le Vmax (volume maximal de CO2 dégagé) ou vitesse maximale de fermentation.
Il correspond au moment d'épuisement en azote assimilable du milieu. Le fait d'en rajouter entre ce moment-là et la mi-fermentation permet aux levures de se réactiver. Cela se traduit par une augmentation de la vitesse de fermentation. Le Vmax correspond aussi à la fin de la croissance cellulaire des levures. C'est à cet instant que l'ajout d'oxygène est le plus efficace. Il conduit à une synthèse de composés lipidiques membranaires, principalement des stérols, qui permettent aux levures de mieux résister à l'alcool en fin de fermentation. »
Un investissement onéreux
La cave de Sauveterre-de-Guyenne (Gironde) a fait installer le système Scalya de la société Vivelys en septembre 2012.
« La mise en place a coûté 10 000 euros pour chacune des douze cuves, logiciel inclus, détaille Laurent Fargeton, chef de produit chez Vivelys. Mais pour 60 cuves, ça peut descendre à 7 000 ou 8 000 euros. » Le logiciel qui gère le système Scalya coûte à lui seul 14 000 euros. Comment un tel investissement peut-il être rentabilisé ? Difficile de répondre pour Philippe Cazaux, directeur de la cave. « Nous avons équipé peu de cuves. Pas assez pour supprimer un poste en tout cas. Mais il y a moins de manipulations », explique-t-il. Pour la cave de Sauveterre qui produit de 130 000 à 140 000 hl par an, l'intérêt est ailleurs. Comme le système aère les levures au moment où elles en ont le plus besoin, celles-ci sont mieux armées pour supporter l'alcool. Elles risquent moins de caler en fin de fermentation alcoolique (FA). Or, « ce qui coûte cher, c'est un arrêt de fermentation, affirme Philippe Cazaux. Combien aurions-nous eu d'interruption de FA sans ce système ? Je ne pourrai jamais le savoir. Mais je connais le prix d'un arrêt ».