UN VIGNOBLE PLANTÉ À L'ANCIENNE s'étend au pied du château de Melnik, le principal centre viticole de Bohème. Il se trouve sur l'itinéraire touristique reliant Prague à Dresde et capte ainsi une clientèle étrangère.
LES VIGNES DU DOMAINE DE JAN KUPSA sont situées dans le village de Velké Žernoseky et dans un rayon de 10 km autour. L'élevage et le stockage des vins se font dans des caves creusées au XIIIe siècle. Elles s'enfoncent jusqu'à 13 mètres sous terre.
Disséminé entre Prague et la frontière allemande, le vignoble de Bohème se compose d'une centaine de domaines s'étalant sur 800 ha environ. Pour la plupart très petits, ils se font peu à peu une réputation. « Nous produisons de petits volumes et avons l'avantage d'être proches de la capitale. De plus, les Praguois réalisent que nos vins se sont améliorés », se réjouit Bettina Lobkowicz, vigneronne à Mlník, le vignoble le plus connu de Bohème, un joli bourg situé au bord de l'Elbe, à 30 km au nord de Prague.
En 1992, Bettina Lobkowicz y a repris le domaine éponyme. Cette propriété, ayant appartenu à la famille de son mari avant d'être transformé en coopérative par les communistes, couvre 80 ha, dont 50 ha plantés. « Il était en très mauvais état et il a fallu réaliser de gros investissements », indique cette Suissesse originaire de Neuchâtel.
Des coûts alourdis par les catastrophes climatiques. En 2002, une crue de l'Elbe a englouti la cave. Après ce désastre, Bettina Lobkowicz a reconstruit un chai plus haut sur la berge. Malgré cela, elle a subi une nouvelle inondation cette année. Et, entre-temps, en 2011, comme tous les domaines de Bohème, elle a perdu 90 % de sa récolte suite à une gelée en mai. L'an dernier, elle a donc dû faire face à des ruptures de stock.
Vignes en terrasse. Ivan Vá a s'est trouvé dans la même situation. « Ce gel est le pire que j'ai connu », assure ce vigneron qui cultive la vigne depuis 1967 à Chrámce. Avant d'être à son compte, il a été ingénieur de la coopérative d'État de ce village situé au nord-est du pays, près de la frontière allemande. Puis en 1991, il a repris la coopérative et 1,5 ha de vignes sous le nom de domaine eské. Mais il s'est développé un peu plus loin. « Avant le communisme, il n'y avait jamais eu de vignoble à Chrámce. J'ai donc préféré planter 42 ha près de Most, à 15 km de là, sur des terroirs où la vigne avait été cultivée jusqu'au XVIIe siècle, avant la guerre de Trente Ans », raconte-t-il. Là-bas, il possède 34 ha d'un seul tenant sur un coteau et 8 ha sur des terrasses basaltiques.
Ses terres sont encépagées à 40 % en blanc (muller-thurgau, riesling, pinot gris, traminer, chardonnay et kerner) et à 60 % en rouge (Oliver Irsay, pinot noir, saint-laurent et zweigelt). « Nous envisageons d'augmenter la proportion de blancs parce que les journaux martèlent que la Bohème est une région de blancs et que la demande progresse », déclare Katerina Kreisinger, la fille d'Ivan, qui dirige désormais le domaine et produit 1 500 à 2000 hl/an. Un changement qui se fera par l'arrachage de saint-laurent et de zweigelt.
À la tête du domaine Žernosecké, Jan Kupsa voit lui aussi la demande progresser. Mais il est un peu coincé. « Depuis que nous avons intégré l'Union européenne, il est très difficile d'avoir des droits de plantation, regrette-t-il. Pour répondre à la demande, nous achetons du chardonnay et du sauvignon blanc à hauteur de 10 à 15 % de notre production. »
Sa propriété se trouve dans le village viticole de Velké Žernoseky, le long de l'Elbe. Son père l'a fondée en 1994, en reprenant la cave et des terres d'une coopérative qu'il dirigeait. Aujourd'hui, elle couvre 24 ha encépagés à 80 % en blanc. Toutes les vignes sont situées sur des terrasses dominant le fleuve. « Nous produisons environ 200 000 cols par an, dont 60 % sont vendus à la propriété », détaille Jan Kupsa.
De son côté, Bettina Lobkowicz entretien l'équilibre entre les blancs et les rouges. Chaque couleur occupe la moitié de l'encépagement, une proportion qu'elle n'entend pas changer. En revanche, elle souhaite porter la surface en production à 60-65 ha. « Car il est presque impossible de trouver du raisin à acheter. Je vais donc planter des vignes. J'en profiterai pour abandonner celles qui se trouvent en zone constructible, ainsi que les plus sensibles au gel et aux vols », explique-t-elle. Bettina Lobkowicz s'est en effet fait voler jusqu'à 20 tonnes de raisins par an. Un fléau hérité de l'époque communiste où « un dicton disait : si tu ne voles pas l'État, tu voles ta famille, rappelle-t-elle. Or, les habitudes ont la vie dure ». Heureusement, ces larcins sont en diminution.
Vins monocépages. Pour améliorer la qualité, au fil des ans, les vignes ont été replantées à une densité de 4000 à 5000 pieds par hectare, les rendements ramenés à 5,5 à 6 tonnes de raisins par hectare et les chais dotés de cuves thermorégulées.
Vendus entre 3,50 et 10 euros le col, les vins sont pour la plupart des monocépages, car les assemblages souffrent d'une mauvaise image datant du temps où les coopératives produisaient des piquettes. Malgré cela, Bettina Lobkowicz en élabore quelques-uns. « Cela permet de réduire les variations de qualité d'une année sur l'autre. Mais il faut expliquer notre démarche aux clients et leur faire goûter ces vins », souligne la vigneronne. Un travail de formation facilité par le fait qu'elle écoule directement, dans son magasin, les deux tiers des 200 000 à 300 000 cols qu'elle produit. Le reste part sur Prague. « Avec ses touristes, c'est notre marché export », affirme-t-elle. La capitale tchèque est un débouché tout aussi essentiel pour les domaines Žernosecké et Ceské. Ils y réalisent respectivement 40 et 30 % de leurs ventes. Ceske vend aussi 10 % de sa production à la communauté juive grâce à l'élaboration de vins kashers. « À l'origine, ce débouché représentait 20 % de nos ventes, mais ces acheteurs se tournent de plus en plus vers les vins israéliens », déplore Katerina Kreisinger. Elle produit aussi 30 000 bouteilles de rosés. Une autre originalité, car cette couleur est encore peu demandée dans le pays.
Du bourru et du vrac
Le vin bourru est fort apprécié des Tchèques et coule à flots lors des fêtes villageoises. Certaines années, le domaine Ceské en vend jusqu'à 300 hl entre août et novembre. Produit tous les deux jours, il coûte 2,35 euros le litre aux consommateurs. « C'est un apport rapide de trésorerie », se félicite Katerina Kreisinger, du domaine Ceské. Jan Kupsa, du domaine Žernosecké, et Bettina Lobkowicz, du domaine éponyme, en vendent beaucoup moins, mais écoulent 15 à 20 % de leur production en vrac entre 1,90 et 2,35 €/l. « Cela ne nous rapporte pas beaucoup d'argent mais nous procure un flux de trésorerie régulier et attire les locaux au caveau où ils achètent parfois des bouteilles », remarque Bettina Lobkowicz. Particularité locale : les clients ont interdiction de venir avec leurs propres récipients afin que les viticulteurs les remplissent. Ils sont obligés d'acheter les vins dans des bouteilles en plastique ou des cubis de 2 à 5 l fournis par le domaine. Un moyen pour l'État de contrôler les volumes vendus. Ceské propose en outre un conditionnement en fût de 50 l pour les restaurateurs.