Début novembre, l'Irstea (Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) de Montpellier (Hérault) a réuni 150 spécialistes de la pulvérisation pour un forum. Avec une question centrale : comment l'améliorer et traiter plus efficacement avec moins de produit et moins de dérive dans l'environnement ?
EvaSprayViti : Le banc pour y voir plus clair
Pour répondre à cette problématique, l'Irstea a entamé un examen du matériel existant. Pour cela, il s'est servi du banc Eva-SprayViti, une vigne artificielle qu'il a conçue avec l'IFV. Ce banc, qui reproduit quatre rangs de vignes de dix mètres de longueur, a fait l'objet d'une présentation théorique le matin, puis d'une démonstration l'après-midi.
EvaSprayViti permet de comparer les pulvérisateurs et d'évaluer différentes modalités de passages et de réglages comme, par exemple, la distance entre les diffuseurs et la végétation, le type de buses, la vitesse d'avancement ou le volume par hectare. Chaque rang comprend un module central, pourvu d'une multitude de feuilles en plastique simulant les feuilles de vigne, et encadré par deux modules équipés de filets qui reproduisent l'environnement rencontré par le flux d'air pendant la pulvérisation.
EvaSprayViti permet de mesurer, à trois stades végétatifs, la quantité de produit déposé sur la vigne, la distribution du dépôt en hauteur et en profondeur sur la végétation et la répartition de la bouillie sur la vigne, sur le sol et dans l'air.
Cette année, l'Irstea a testé sept pulvérisateurs : deux en face par face (l'un pneumatique et l'autre à jet porté), deux voûtes pneumatiques (une à quatre mains et quatre canons et une autre d'ancienne génération), un aéroconvecteur, un appareil à panneaux récupérateurs et un pulvé avec descentes configurées pour le traitement initial.
Les premiers résultats obtenus montrent d'énormes écarts : en appliquant une même quantité de bouillie à l'hectare, le dépôt effectif de produit sur la végétation varie de 1 à 9 selon le pulvérisateur et le stade végétatif.
L'après-midi, l'Irstea a organisé une courte démonstration de ce nouvel outil avec le pulvérisateur en face par face Vectis Precijet de Tecnoma. Les descentes de l'appareil étaient équipées de buses à turbulence classiques TXA du côté droit et de buses à fente à injection d'air IDK du côté gauche. La cuve était remplie d'eau colorée. Le tracteur a effectué un passage entre deux rangs du banc en configuration pleine végétation.
Tous les participants ont pu constater la différence entre les buses classiques et celles à fentes. Les premières ont moucheté les feuilles de gouttes très fines, de taille identique et réparties uniformément. Les secondes ont déposé irrégulièrement des gouttes plus grosses et de taille variable.
Une difficulté : Les multiples imprécisions de la pulvérisation
Au cours de la matinée, Sébastien Debuisson, ingénieur au Comité interprofessionnel des vins de Champagne, a rendu compte des travaux sur la pulvérisation menés par le CIVC. Il rappelle l'objectif : appliquer réellement la dose de consigne de manière homogène entre les parcelles et au sein d'une même parcelle.
Un défi car, « dans la pratique, la pulvérisation consiste à gérer de multiples imprécisions », observe Sébastien Debuisson. Ces imprécisions concernent d'abord les surfaces. « On observe 10 à 15 % d'écart en moyenne entre la zone réellement plantée et la surface cadastrale », rappelle-t-il. Or, seule les zones plantées doivent être prises en compte pour calculer le volume de bouillie à préparer. Sébastien Debuisson recommande de les mesurer avec un GPS, voire avec le site internet www.geoportail.gouv.fr.
Attention à l'instrument utilisé pour peser ou mesurer le volume de produit à utiliser, il peut entraîner une erreur de dosage parfois non négligeable. Les balances de précision offrent les meilleurs résultats. Les balances de cuisine sont acceptables. Les bouchons doseurs aux graduations sommaires sont à éviter.
Lors de la préparation de la bouillie, il est préférable de ne pas trop se fier à la jauge. En effet, rares sont les cuves correctement épalées. Un débitmètre mécanique ou électronique est beaucoup plus précis pour déterminer le bon volume d'eau.
Sébastien Debuisson souligne aussi que certains produits se mélangent mal en cuve, les poudres notamment. Avec certaines formulations de cuivre, il est possible de mesurer des écarts de concentration de plus de 50 % entre le début et la fin du traitement.
L'inexactitude d'un manomètre peut entraîner une erreur sur le débit par ha de plus ou moins 15 % lors du traitement. L'usure des pastilles et la régularité du débit de la pompe sont aussi source d'erreur. Le contrôle du pulvé, notamment, doit permettre de vérifier ces différents points.
La vitesse d'avancement est également source d'imprécision. Si elle est mesurée par un capteur fixé sur la roue motrice, le volume par hectare peut varier jusqu'à 30 % en fonction du taux de patinage ou de glissement. Concrètement, il y a un surdosage en montée et un sous-dosage en descente. Une mesure de la vitesse par GPS est plus précise. Toutes ces incertitudes doivent être réduites pour pouvoir diminuer les doses avec sécurité.
Enfin, disposer d'un appareil adapté au parcellaire est essentiel. Cela permet d'éviter les recouvrements ou les pertes de produits à l'extérieur de la parcelle, en particulier dans les vignobles morcelés.
Un constat : « Les appareils sont mal réglés »
Selon le conseiller Renaud Cavalier, responsable du pôle agro-équipement à la chambre d'agriculture du Gard, rien n'a changé au cours des deux dernières décennies : « Les appareils sont toujours aussi mal réglés. » La question du réglage des pulvérisateurs n'est pas abordée lors du contrôle obligatoire des pulvés et à peine évoquée lors de la formation Certiphyto.
« On peut mettre le bon volume de bouillie, mais la répartition peut être très hétérogène, précise-t-il. L'impact de la météo, de la température et de l'hygrométrie sur la qualité de la pulvérisation est énorme. Or, il y a encore trop de viticulteurs qui traitent à des heures et par des températures inappropriées. » Renaud Cavalier propose quelques pistes d'amélioration simples. Coté constructeur, d'abord. « Ils pourraient mettre des repères sur les rampes et les mains pour régler l'orientation des jets avec plus de précision. C'est difficile, car il y a une grande diversité de vignobles, mais possible. »
Sébastien Picot, du bureau d'étude du constructeur Calvet, ne semble pas convaincu. « Le viticulteur veut une machine compétitive qui convienne en toutes configurations. C'est malheureusement impossible. Ce qui est regrettable, c'est qu'on remet sur le marché des appareils aéroconvecteurs qu'utilisaient nos grands-parents. »
« Il existe des matériels, comme le système Ticsad, qui permettent de contrôler la pulvérisation en temps réel, ajoute Renaud Cavalier. Il faudrait aider les viticulteurs à s'en équiper. »
Vincent de Rudnicki, de l'Irstea, partage cet avis. « Il faudrait que l'opérateur dispose en cabine d'un GPS et d'un tableau de bord avec un compteur de débit et de pression. C'est un système simple et peu onéreux. »
Pour Renaud Cavalier, les concessionnaires ont aussi un rôle à jouer en assurant la mise en route des pulvés qu'ils vendent. « C'est indispensable. Avec une notice de vingt pages, le viticulteur ne peut pas s'en sortir. Un viticulteur qui connaît bien sa machine la fera fonctionner à l'optimum de ses capacités. Il l'entretiendra mieux également. »