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VIN

Vin non filtré Attention aux micro-organismes

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°259 - décembre 2013 - page 42

Pour embouteiller un vin sans filtration, il faut lui laisser le temps de se clarifier. Les soutirages et la mise en bouteille doivent se faire à l'abri de l'air. Sinon, les risques de déviations en bouteille sont importants.
L'ÉLEVAGE EN BARRIQUE doit être suffisamment long pour que le vin se clarifie et s'appauvrisse en micro-organismes, conditions indispensables pour espérer qu'un vin se conserve bien après un embouteillage sans filtration. © C. WATIER

L'ÉLEVAGE EN BARRIQUE doit être suffisamment long pour que le vin se clarifie et s'appauvrisse en micro-organismes, conditions indispensables pour espérer qu'un vin se conserve bien après un embouteillage sans filtration. © C. WATIER

1. Élevez longuement, de préférence en barrique

L'élevage doit être long pour que le vin ait le temps de se clarifier et de s'appauvrir en germes. « Il est risqué de mettre en bouteille sans filtration un vin issu d'un élevage court, car il est encore riche en micro-organisme », assure Sandrine Boesch, oenologue consultante à l'ICV. Maud-Isabeau Furet, du service vigne et vin de la chambre d'agriculture de Gironde, pense « qu'il faut élever un vin rouge au minimum quinze à dix-huit mois et un blanc dix à douze mois » pour qu'il s'appauvrisse suffisamment en micro-organismes.

Pour que les vins se clarifient bien, mieux vaut les élever dans des petits contenants en bois ou en béton car « les cuves en inox subissent plus de variations thermiques et les lies se déposent mal », commente Sandrine Boesch. Le vin reste donc plus chargé en micro-organismes.

2. Soutirez plusieurs fois

Les soutirages permettent d'éliminer les populations microbiennes. « La durée maximale sans soutirage ne devrait pas aller au-delà de six mois. Un soutirage tous les trois ou quatre mois est un bon rythme », estime Hervé Romat, oenologue consultant. L'objectif est d'atteindre une turbidité finale « inférieure à 1 pour les blancs et entre 1 et 2 pour les rouges », ajoute Maud-Isabeau Furet. Dans certains cas, notamment lorsque les raisins sont botrytisés, Hervé Romat conseille d'utiliser « des enzymes pectolytiques classiques à la fin des FA et des enzymes riches en glucanases à la fin de l'élevage pour aider la clarification et améliorer l'effet du collage ».

3. Maîtrisez l'oxygène, l'hygiène et le SO2

Lors des soutirages, il est important de « limiter au maximum les apports d'oxygène qui peuvent favoriser le développement des micro-organismes », prévient Hervé Romat. Il faut donc inerter la cuve de réception avec du CO2 avant d'y transférer le vin. Les barriques doivent être méchées entre 2,5 et 5 g de soufre avant de renvoyer le vin. « Il est important de maîtriser le nettoyage et la désinfection lors des soutirages », rappelle l'oenologue. Il faut les adapter à l'état du récipient et à la sensibilité du vin. Il est donc recommandé de détartrer les barriques dès qu'elles sont vides avec de l'eau chaude et de les désinfecter à la vapeur. « Les niveaux de SO2 libre doivent être réajustés en fonction du SO2 actif. Par exemple, pour un vin à 12 % vol., de pH 3,6-3,7 et à 20°C, il faut 30 mg/l de SO2 libre pour obtenir environ 0,6 mg/l de SO2 actif », précise Maud-Isabeau Furet.

4. Collez et passez au froid

Pour arriver au niveau de limpidité souhaité, un collage à la bentonite, à la colle de poisson, à la caséine ou à la gélatine est souvent nécessaire en fin d'élevage. « Les colles organiques sont électrostatiques et permettent d'avoir une action directe sur les populations microbiennes », détaille Hervé Romat, qui les préconise. Un passage au froid de « dix jours minimum à une température proche de 0°C permet d'améliorer la stabilité microbiologique, à condition qu'il n'y ait pas de dissolution d'oxygène », avertit-il. Il ajoute que « le traitement par contact avec ajout de crème de tartre nécessite généralement d'être suivi d'une filtration pour éliminer les cristaux de tartre en suspension dans le vin ». Si cette précaution n'est pas prise dans le but de pouvoir livrer des vins non filtrés, des précipitations risquent de se produire en bouteilles. Mieux vaut alors prévenir les consommateurs par un message d'avertissement sur la contre-étiquette.

5. Analysez avant la mise

Avant la mise en bouteille, « il est impératif de faire des analyses microbiologiques pour dénombrer les germes totaux et, éventuellement, des analyses plus spécifiques pour dénombrer les levures Saccharomyces, les non-Saccharomyces ou les bactéries par PCR », indique Hervé Romat. Le nombre de germes avant mise en bouteille doit être le plus bas possible, mais il va dépendre des conditions de transport, de stockage et du marché sur lequel le vin sera expédié. « On peut admettre qu'un vin stable ne devrait pas avoir plus d'un germe par ml », concède l'oenologue. Mais cette valeur est difficile à atteindre sans filtration. Pour Sandrine Boesch, « certains micro-organismes sont dangereux à des valeurs supérieures à 100 germes par ml ». À ces niveaux, « les vins peuvent repartir en fermentation alcoolique ou malolactique », complète-t-elle. Il faut donc être d'autant plus prudent qu'il reste des sucres ou que la malo n'est pas faite. Sans oublier les risques de piqûres acétiques ou lactiques ou encore des maladies telles que la tourne, l'amertume ou la graisse, qui peuvent apparaître en bouteille.

6. Embouteillez à l'abri de l'air

Il faut réaliser des mises en bouteilles sous gaz neutre pour limiter au maximum la dissolution d'oxygène dans le vin. « S'il n'y a pas plus de 0,5 mg/l d'oxygène dissous dans les vins, c'est que la mise en bouteille s'est bien passée », garantit Sandrine Boesch. « En fonction du pH, de la température et du titre alcoométrique volumique, le SO2 actif doit être réajusté entre 0,5 et 0,8 mg/l », poursuit Maud-Isabeau Furet, et de « l'acide ascorbique peut être apporté entre 5 et 15 g/hl », rajoute Hervé Romat. Il faut également préférer un bouchon qui laisse passer peu d'oxygène pour éviter que des germes ne se réactivent en bouteille.

7. Stockez à basse température

Une fois le vin en bouteille, il faut s'assurer que « les conditions de conservation jusqu'au consommateur seront contrôlées. L'entrepôt de stockage doit être régulé entre 12 et 14°C. Le transport doit également pouvoir s'effectuer sans écarts importants de température », selon Maud-Isabeau Furet. Sinon, des populations de micro-organismes résiduels peuvent se réactiver. « S'il reste quelques levures ou bactéries dans une bouteille, on peut estimer qu'à des températures inférieures à 12°C, le risque que ces micro-organismes se réactivent est faible. Si les températures dépassent 16°C, le risque devient important », avise Maud-Isabeau Furet.

Le Point de vue de

PHILIPPE FAURE, ŒNOLOGUE ET MAÎTRE DE CHAI À GIGONDAS LA CAVE (VAUCLUSE)

« Au moins dix-huit mois d'élevage »

« Depuis le millésime 2001, nous produisons un gigondas non filtré, Le Primitif. Le président de la cave de l'époque et moi-même voulions faire un vin brut, en l'état, comme le faisaient les anciens. Un vin non collé, non filtré. Nous le produisons lors des beaux millésimes, car l'état sanitaire de la vendange doit être parfait. Cette cuvée d'environ 50 hl ne représente qu'une toute petite partie de notre production puisque nous vinifions chaque année environ 8 000 hl de vin sur 250 ha de vigne. C'est généralement un assemblage de 85 % de grenache et le reste de syrah et mourvèdre. Nous vinifions cette cuvée comme notre cuvée La Référence. Nous utilisons des levures assez neutres du type IOC 11-1002, qui n'apportent pas de côté amylique, et nous sulfitons à 6-7 g/hl à l'encuvage. Nous faisons des délestages, des pigeages manuels et des cuvaisons d'environ un mois. Les vins sous marcs sont dégustés au moins une fois par semaine. Nous élevons Le Primitif au minimum dix-huit mois en cuve béton, en réalisant un à deux soutirage par an afin de le clarifier. Par contre, la cuvée La Référence est collée et filtrée, car nous la mettons en bouteilles environ douze mois après sa production. Durant l'élevage, nous maintenons le SO2 libre à 18-20 mg/l et la température est en moyenne de 16°C sur l'année. Avant la mise en bouteille, nous calons le taux de CO2 à environ 500 mg/l par dégazage à l'azote et nous pratiquons des tests de tenue au chaud et au froid. Nous ajustons le SO2 libre à 28-30 mg/l à la mise. Et avant de mettre Le Primitif en marché, nous le laissons se peaufiner en bouteille dans nos chais. Cette année, nous commercialisons le millésime 2006. »

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