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VIN

La fraude se traque du vin au verre

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°259 - décembre 2013 - page 44

Lors du congrès Wine Track, le 30 octobre 2013 à Bordeaux (Gironde), des scientifiques ont montré qu'ils pouvaient authentifier des vins en fonction du contenu de la bouteille, mais également de la nature du verre.
AU CENTRE D'ÉTUDES NUCLÉAIRES de Bordeaux Gradignan (Gironde), Hervé Guégan authentifie des vins en fonction de la composition du verre des bouteilles. © J.-B. NADEAU/LOOKATSCIENCES

AU CENTRE D'ÉTUDES NUCLÉAIRES de Bordeaux Gradignan (Gironde), Hervé Guégan authentifie des vins en fonction de la composition du verre des bouteilles. © J.-B. NADEAU/LOOKATSCIENCES

Analyse des vins : Les isotopes parlent

« Château Rofile », « Bordeaux 2005 », « Minervois contrôlé » et « Pinot noir ». Toutes ces mentions étaient inscrites sur une bouteille que Bernard Médina, responsable du service commun des laboratoires des douanes et des fraudes (SCL) de Bordeaux (Gironde), avait apportée à l'occasion du congrès Wine Track, organisé le 30 octobre 2013 à l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux.

« Lorsque vous lisez cela sur l'étiquette de cette bouteille, il n'est pas très compliqué de dire que c'est une contrefaçon. Mais ce n'est pas toujours aussi simple », assure-t-il à la centaine de personnes venue pour l'occasion.

Il n'est pas rare qu'une bouteille dont l'étiquette mentionne une appellation, un millésime ou un cépage contiennent tout autre chose. Mais pour traquer la fraude, les scientifiques possèdent des outils puissants.

Au laboratoire SCL, François Guyon analyse les isotopes (1) présents dans le vin. Certains sont très intéressants car leur répartition n'est pas la même sur l'ensemble de la planète : « Par exemple, l'oxygène 18 (18O) est en concentration plus importante au niveau de l'équateur et diminue de plus en plus vers les pôles », souligne le chercheur. En plus, la teneur de ces isotopes varie en fonction du climat. « Lorsqu'il fait très chaud, l'eau dite "légère" s'évapore du raisin », poursuit-il.

Cette eau légère est principalement constituée par des molécules qui contiennent l'isotope 16 de l'oxygène (16O), qui est de très loin le plus abondant dans la nature. « L'eau que l'on appelle "lourde" est composée d'oxygène 18 (H2O18) et se concentre dans les baies. »

Dans les raisins, le rapport isotopique 18O/16O change donc selon la localisation géographique et le climat. Il est plus important sous des températures élevées et lors des millésimes chauds. De la même manière, le SCL s'intéresse à deux autres rapports isotopiques : celui entre le deutérium (2H ou D), l'isotope lourd de hydrogène (H), et l'hydrogène (D/H) et celui entre le carbone 13 (13C), plus lourd également, et le carbone 12 (12C), le plus abondant (13C/12C).

« Signature inimitable. » Depuis 1994, chaque pays producteur de vin de l'Union européenne constitue une banque de données annuelle qui donne une photographie des rapports isotopiques 18O/16O, D/H et 13C/12C dans les vins. « En France, deux laboratoires publics enrichissent la banque de données. Celui de Montpellier (Hérault), qui s'occupe de tous les vignobles de l'est de la France, et celui de Bordeaux, qui s'occupe de la partie ouest, rapporte François Guyon. Chaque année, notre laboratoire reçoit 200 prélèvements de 20 kg de raisin de différentes régions viticoles que nous vinifions et que nous analysons par la suite. »

En examinant les rapports 18O/16O, D/H et 13C/12C dans un vin inconnu et en le comparant à la banque de données européenne, il est possible de connaître son origine géographique, mais également de détecter des fraudes sur la chaptalisation, le mouillage, le millésime ou les mélanges de millésimes.

« Par exemple, nous avons eu le cas d'une bouteille d'un grand château du Bordelais de 2012 que nous suspections d'être fausse. Nous avons confronté ses rapports isotopiques 18O/16O et 13C/12C à la banque de données. Son profil ne correspondait pas du tout à celui des vins de Bordeaux de la banque. Des analyses plus poussées ont démontré qu'il s'agissait d'un vin reconstitué, relate François Guyon. Dans un autre cas, nous avions un doute sur une bouteille qui mentionnait Bordeaux sur l'étiquette. Nous avions la bouteille originale du château du même millésime. En comparant les rapports isotopiques de la bouteille suspecte à l'originale, nous avons démontré que le vin suspect était en fait authentique. Les rapports isotopiques coïncidaient et cette signature est inimitable. »

Analyse des bouteilles : Sur la trace des impuretés

Depuis 2006, Hervé Guégan, du Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan (Gironde), s'intéresse au verre des bouteilles. Grâce à un accélérateur de particules, il peut en déterminer la composition. Il a analysé près de 500 bouteilles de grands châteaux de différents pays, origines, AOC ou verreries de 1896 à 2010 et a créé une base de données qu'il continue à enrichir. En analysant le verre d'une bouteille inconnue et en confrontant les résultats avec la base de données, Hervé Guégan est capable de déterminer à dix ans près l'âge de la bouteille sans l'ouvrir.

Une marge d'erreur d'un à deux ans. Comment ? Tout simplement car les procédés de fabrication du verre depuis les années 1900 ont considérablement évolué. Et même s'ils se sont standardisés après 1960 et « que toutes les bouteilles se ressemblent, il y a quand même quelques subtilités qui permettent de les différencier avec une précision de dix ans », confie-t-il.

Mais Hervé Guégan s'est également aperçu qu'il pouvait différencier les millésimes d'un même château en fonction de la composition en impuretés du verre des bouteilles. Cela signifie que « si nous analysons une bouteille suspecte et que nous avons dans notre base de données la bouteille authentique du même château et du même millésime, nous pouvons dire si la bouteille suspecte est authentique à un ou deux ans près », explique-t-il. Il faut que ces bouteilles soient du même château et du même millésime car « tous les châteaux ne se fournissent pas dans les mêmes verreries ou n'achètent pas les bouteilles au même moment ». Il garde une marge d'erreur d'un à deux ans car « on ne peut jamais exclure qu'un château utilise le reste du stock de bouteilles qu'il a commandé l'année d'avant pour la mise du millésime suivant ».

Sachant qu'elle coûte 300 euros HT par bouteille, une telle analyse s'adresse surtout « aux vins anciens et/ou de grandes valeurs, indique Hervé Guégan. Des maisons de ventes aux enchères internationales ou des marchands spécialisés dans les grands vins nous demandent d'expertiser et d'authentifier des bouteilles. Ou alors ce sont les châteaux eux-mêmes qui font appel à nous. Lorsqu'un de leur client leur demande de reconditionner de vieux millésimes, ils veulent s'assurer que ce sont bien des vins authentiques ».

(1) Un isotope est un atome qui possède le même nombre d'électrons et de protons que son atome principal mais un nombre de neutrons différent. Ils ont des propriétés chimiques identiques mais des propriétés physiques différentes de leur atome principal : ils pèsent notamment plus lourd.

L'Aubette tracera les vins à l'export

« L'Aubette (ancien nom des postes de douanes dans la campagne) est une application informatique qui vise à renforcer la traçabilité des vins à l'exportation en Chine », explique Mathias Grima, de la direction générale des douanes, lors du Wine Track 2013 à Bordeaux (Gironde). « Il s'agit pour le moment d'un projet. Nous espérons que le système verra le jour très prochainement », ajoute-t-il. Lorsqu'une cargaison de vin français arrivera en Chine, les autorités locales pourront avoir accès, via l'Aubette, à « l'identification de l'expéditeur et du destinataire, au volume, à la nomenclature douanière, au type de conditionnement ainsi qu'à l'attestation d'authenticité et de qualité des vins (appellations d'origine ou indications géographiques protégées, mentions de cépage...) », poursuit Mathias Grima. Ces informations proviennent du document administratif électronique (DAE), un document fiscal reconnu par l'Union européenne comme attestation d'authenticité du vin. L'AQSIQ, une administration chinoise exerçant des missions dévolues en France, aussi bien à la douane qu'à la répression des fraudes, pourra donc vérifier qu'un vin importé correspond à ce qui est mentionné dans le DAE et ainsi s'assurer de son authenticité à son arrivée sur le sol chinois.

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