1. Anticipez dès les vinifications
Si vous savez à l'avance que les délais seront serrés, il faut agir dès les vinifications pour gagner du temps. « En rosé et en blanc, je recommande des levures qui favorisent l'expression variétale, révèle Sylvain Gras, oenologue conseil au centre oenologique ICV de Vallon-Pont-d'Arc (Ardèche). Avec ces souches, je peux fermenter à 17-18°C. Les fermentations sont alors plus rapides qu'à 15°C. »
« Pour les rouges, il faut avoir en tête d'élaborer les vins les plus souples possible, affirme Jacques Trannoy, oenologue conseil dans l'Aude. Mieux vaut privilégier les cuvaisons courtes et ensemencer en bactéries lactiques dès la fin des sucres pour que les malo s'enclenchent rapidement. » La co-inoculation en levures et bactéries dès l'encuvage raccourcit encore davantage le délai entre la fermentation alcoolique et la fermentation malolactique.
S'il s'agit de répondre à une commande de dernière minute, sans que les vins aient été vinifiés dans cet objectif, la meilleure solution est de choisir les cuvées les plus souples.
2. Collez blancs et rosés à la bentonite
La stabilisation des protéines est indispensable pour les blancs et rosés. L'addition de bentonite en cours de fermentation permet de l'obtenir rapidement. Ce collage précoce a aussi moins d'impact sur les vins car il s'effectue à dose plus faible qu'une fois la fermentation achevée.
« J'interviens dès la mi-fermentation en ajoutant des doses de 30 à 40 g/hl, précise Damien Houx, oenologue conseil au centre oenologique de Coutras (Gironde). Cet ajout précoce nettoie les moûts et fait baisser la turbidité. Les vins sont plus propres et moins sujets à la réduction. Ils sont généralement plus ouverts et plus fruités au moment de la mise en bouteille qu'avec un collage plus tardif. »
Jacques Trannoy utilise des colles à base d'extrait de levures en association avec la bentonite pour atténuer l'effet traumatisant de la seule bentonite.
Amicie de Fréminville, gérante du laboratoire OBST, dans le Rhône, obtient de bons résultats avec la colle de poisson associée à la bentonite. « La brillance est renforcée. C'est un atout pour les rosés dont l'aspect visuel est primordial. Cette colle apporte également une sensation de gras », confie-t-elle.
3. Apportez du gras
L'embouteillage précoce prive les vins d'élevage sur lies, qui apporte du gras. Pour y remédier, Damien Houx préconise l'emploi de copeaux de bois légèrement chauffés. « En blanc, rosé et rouge, je conseille des copeaux en sac que l'on additionne à l'encuvage à des doses de 1 g/l. Je laisse ces copeaux pendant la fermentation malolactique en rouge et je les retire juste avant la filtration. Ils amènent du gras et évitent l'apparition du caractère réduit, qui est un des soucis majeurs pour les mises précoces. Sur les vins rouges qui manquent de rondeur, j'ajoute également 0,5 g/l de copeaux de chêne américain, juste avant la mise, pour arrondir les tannins et accroître la sucrosité. »
Amicie de Fréminville recommande l'ajout de mannoprotéines (30 g/hl) pour apporter de la rondeur. Sur les primeurs, elle privilégie les produits à base de glutathion (30 g/hl) pour préserver le fruit. Jacques Trannoy prône quant à lui un démarrage précoce de l'élevage : « Dès que les fermentations sont terminées en blanc et rosé, et dès l'écoulage pour les vins rouges, on peut travailler les vins : bâtonner sur lies et micro-oxygéner pour patiner les tannins. »
4. Dégazez au plus tôt
Les fermentations terminées, les vins sont encore très chargés en gaz. Jacques Trannoy est « partisan d'un dégazage précoce. Dans notre région, par vent marin, le CO2 favorise la mise en suspension des particules. En ramenant la teneur en CO2 à des valeurs proches de celles recherchées à la mise en bouteilles - 1 000 à 1 100 mg/l sur les blancs et rosés, autour de 500 mg/l pour les rouges - les vins se clarifient plus facilement. Et sur les rouges, le CO2 peut fausser l'impression de structure. En dégazant, on libère la trame tannique. On a une meilleure perception de l'équilibre du vin ». Le dégazage peut se faire lors d'un soutirage avec injection d'azote.
5. Stabilisez la couleur des rouges
La matière colorante des vins rouges se stabilise normalement après le premier hiver, au fur et à mesure de l'élevage. Si l'on veut embouteiller tôt, il faut coller. « Le collage stabilise la couleur et prépare les vins à la filtration et à la stabilisation tartrique, indique Jacques Trannoy. À ce stade, la difficulté consiste à stabiliser la matière colorante en respectant l'équilibre organoleptique. Je privilégie l'ajout successif de plusieurs colles complémentaires pour stabiliser la couleur, éliminer les tannins agressifs et faire remonter le fruit et le gras. Cela exige la réalisation de tests pour retenir les doses et les colles les plus appropriées. »
Amicie de Fréminville est également favorable au collage des rouges. « C'est idéal pour des mises précoces, confirme-t-elle. On "nettoie" le vin sans l'appauvrir. Les vins sont plus nets, avec moins de réduit. Et on peut se passer de la filtration dégrossissante. » Elle utilise de la gélatine avec du gel de silice pour accélérer le collage.
6. Stabilisation tartrique : le mal nécessaire
Sur les blancs et les rosés, les gommes de cellulose (CMC) apportent de la stabilité tartrique rapidement et à moindre coût. Mais pour les rouges et rosés colorés, le problème reste entier. Passage au froid ou électrodialyse sont les deux seules solutions pour garantir leur stabilité. « Ce sont deux techniques traumatisantes pour le vin, mais nous n'avons pas d'autre choix, regrettent Jacques Trannoy et Amicie de Fréminville. L'acide métatartrique assure une protection, mais elle est limitée dans le temps. C'est une solution peu sûre pour les vins dont on ne connaît pas les conditions de stockage et la date de consommation. »
Pour les étapes suivantes de filtration, sulfitage, puis mise en bouteille, les mêmes règles que pour des mises plus tardives s'appliquent. Une attention toute particulière doit cependant être accordée à la protection de ces vins contre l'oxygène, car ils y sont très vulnérables. Pour préserver les arômes, il convient de les protéger, particulièrement après la clarification. Une mesure de l'oxygène dissous est recommandée avant la mise pour ajuster les doses de SO2.
Le Point de vue de
RÉMI VILLENEUVE, PROPRIÉTAIRE DU CHÂTEAU MOTTE-MAUCOURT, À SAINT-GENIÈS-DU-BOIS (GIRONDE), 50 HA EN AOC BORDEAUX ET BORDEAUX SUPÉRIEUR
« Pour des vins plus ouverts, j'ai testé la micro-oxygénation »
« Je commercialise 20 à 25 % de ma production en bouteille. Dès le début de l'été, je savais qu'il faudrait que j'embouteille rapidement la nouvelle récolte pour assurer la jonction entre les deux millésimes. J'ai donc programmé une mise en bouteille tout début décembre pour une partie de mes blancs et rosés 2013. Heureusement, nous n'avons récolté nos blancs et rosés qu'avec huit jours de retard par rapport à une année normale. Et les fermentations se sont déroulées sans incident. J'ai enzymé les vins en fin de fermentation (2 ml/hl de LB Influence AR), car ils étaient très chargés en glucane et pectine. Cette année, pour la première fois, j'ai fait des essais de cliquage d'oxygène pour que les vins soient plus ouverts au moment de la mise en bouteille. Nous sommes partis sur trois cliquages, un par jour, d'une seconde pour 4 hl à 2 bars de pression, puis nous avons dégusté et ajusté ces durées à une seconde pour 6 hl et une seconde pour 8 hl selon les cuves pendant encore trois jours. J'ai ensuite fait un collage à la bentonite à faible dose (20 à 40 g/hl). Huit jours avant la mise, je filtrerai mes vins sur terre. »