La coopérative de Tain-l'Hermitage, dans la vallée du Rhône, fête cette année ses 80 ans. À l'origine de sa fondation, on trouve notamment Louis Gambert de Loche, un propriétaire de vignes de la région. « C'était un honnête homme très discret, un humaniste passionné de viticulture et d'arboriculture, commente Michel Courtial, directeur de la cave de Tain de 1970 à 1999. Il était dévoué à la cause des autres, même s'il était méconnu du grand public et des vignerons. »
Le père de Louis Gambert de Loche est issu d'une famille de militaires, sa mère d'une lignée de juristes. L'homme naît le 20 septembre 1884 à Tain, dans la Drôme. À l'époque, la petite ville n'a pas encore associé son nom à son fameux cru Hermitage. Elle ne le fera qu'en 1920, se rebaptisant Tain-l'Hermitage. Marié en 1912, Louis Gambert de Loche dispose, au pied de la colline de l'Hermitage, d'un petit domaine de 5,7 ha, dont 1,5 de vignes syrah et marsanne qu'il donne en location. Il vit chichement de ses rentes.
Simple et modeste, il délaisse la particule de son nom et signe souvent Louis Gambert. « On ne repère sa trace qu'à partir des années 1925-1930, lorsqu'il s'implique dans la promotion de son cher pays Hermitage et dans la création de la coopérative », poursuit Michel Courtial.
En 1929, le baron Pierre Leroy gagne un procès historique définissant la future AOC Châteauneuf-du-Pape. Il fait alors créer le Syndicat général des côtes du Rhône en dépit de très vives oppositions. L'année suivante, les négociants de Tain fondent le Syndicat de défense de l'appellation Hermitage.
De son côté, Louis Gambert s'implique dans la constitution de la coopérative « de vins fins » de Tain-l'Hermitage. À ce moment, il exerce déjà plusieurs responsabilités : président du syndicat agricole et du syndicat agricole d'approvisionnement de Tain, cofondateur de la coopérative fruitière du village et président du syndicat des viticulteurs du canton.
La coopérative voit officiellement le jour le 13 février 1933. Louis Gambert en prend la présidence. La cave compte alors une centaine de paysans viticulteurs et vinifie 3 000 hl. Pendant longtemps, elle vend péniblement son vin, fournissant essentiellement le négoce bourguignon. Mais elle se développe à force de prospecter de nouveaux marchés.
« Les vignes, presque toutes en coteaux, ne pouvaient être travaillées qu'à bras, avec des frais de culture très élevés qui nécessitent une compensation par un prix rémunérateur. Pour ce faire, il fallait rechercher une clientèle particulière, un travail de longue haleine dont nous recueillons aujourd'hui le résultat », écrira Louis Gambert bien des années plus tard.
Dans les années 1930, son autre cheval de bataille est la reconnaissance de l'appellation Hermitage (autrement appelée l'Hermitage ou encore Ermitage), une mission dont l'ont chargé les propriétaires du canton. De 1935 à 1937, il monte puis présente le dossier rassemblant toutes les informations disponibles sur le sujet, pour lequel il se passionne. Il obtient la reconnaissance de l'appellation, « avec ou sans h », en rouge et en blanc par un décret du 4 mars 1937. L'AOC représente alors 160 ha environ répartis entre 70 viticulteurs.
Il poursuivra sa quête de l'histoire du cru toute sa vie. Son travail l'amènera à recenser l'existence passée de deux temples romains au sommet du coteau, remplacés plus tard par un lieu de pèlerinage à saint Christophe et une petite chapelle.
Au gré de ses convictions, il s'arrange parfois avec l'Histoire. Il ne craint pas d'avancer l'hypothèse - non démontrée - selon laquelle l'expression « travail de romain » doit être attribuée aux légions romaines qui ont bâti les murettes du coteau. Il compile anecdotes, mentions et légendes à travers les siècles. Ainsi nous apprend-il que « le vin de l'Ermitage » est cité pour la première fois en littérature en 1665 par Boileau dans « Le repas ridicule », qu'on le trouve à la même époque à la table du tsar de Russie ou du roi Charles II d'Angleterre et qu'il était très apprécié des « connaisseurs » anglais des XVIIIe et XIXe siècles.
Louis Gambert quitte la présidence de la cave en 1947. Mais jusqu'à la fin de sa vie, il y viendra tous les matins. En 1956, sans enfant, il cède sa propriété en viager à « sa » coop. Lui et son épouse y vivront jusqu'à leur décès, en 1967 pour lui et 1978 pour elle.
En 1992, Michel Courtial crée la cuvée Gambert de Loche en hommage à celui qu'il a tant admiré. En 2009, la cave de Tain (310 coopérateurs, 1 015 ha) a inauguré le fief de Gambert, un lieu dédié à l'oenotourisme aménagé dans la maison de son ancien président.
Archives de Louis Gambert de Loche conservées par Michel Courtial. « Vins vignes et vignerons », de Marcel Lachiver.