LA QUINTA DO CRASTO propose le foulage au pied comme activité pour ses visiteurs. Le 21 septembre, il recevait ces membres d'un club de motards du nord du Portugal venus passer un bon moment. PHOTOS J. PEIXOTO
PAULO COUTINHO, L'OENOLOGUE DE QUINTA DO PORTAL, s'est équipé d'un robot pigeur de dernière génération pour remplacer le foulage au pied. Ses lagares (cuves plates) sont en inox et dotés d'un système de contrôle des températures.
DIRK NIEPOORT, CI-DESSUS, pose devant l'un de ses lagares ronds du domaine Vale de Mendiz, uniques au Portugal. Dès qu'il a repris les rênes de son entreprise familiale, il a remis le foulage au pied au goût du jour.
JOSÉ MORAIS A RELANCÉ LE DOMAINE FAMILIAL, Quinta dos Lagares. Il a opté pour un robot adapté à ses cuves et dont il a déposé le brevet pour produire ses vieux portos qui vieillissent en barriques.
Avec ses 250 000 hectares délimités dont 46 000 hectares de vignes, le Douro, au nord du Portugal, est l'un des plus étonnants vignobles du vieux monde. Il démarre à cent kilomètres à l'est de Porto puis suit les méandres du fleuve Douro jusqu'à la frontière espagnole. C'est une succession de collines suspendues au-dessus du fleuve et de plateaux de schiste, où l'on vinifie le porto et désormais les vins secs DOC Douro.
À partir de la fin des années 1980, la viticulture s'est mécanisée. Les viticulteurs ont abandonné le foulage au pied dans les « lagares », ces imposants bassins en pierre qui mesurent quelques dizaines de mètres carrés au sol pour une hauteur d'à peine un mètre. Grâce aux aides européennes, ils ont érigé des « adegas » (chais) flambant neufs et se sont équipés de cuves en inox, d'égrappoirs ainsi que de fouloirs.
Mais ces dernières années, certains remettent en service d'anciens lagares pendant que d'autres en font construire de nouveaux. Ils les remplissent de vendange, égrappée ou non, qu'ils foulent tous les jours au pied ou avec un robot. La fermentation démarre dans ces cuves ouvertes. Au bout de trois à quatre jours, lorsqu'elle est suffisamment avancée, les vignerons soutirent et décuvent leurs lagares. Ils envoient les jus de goutte et de presse dans une cuve où ils les mutent à l'alcool pour obtenir du porto.
« Près de 60 % de ma production vient du foulage au pied, annonce Dirk Niepoort, à la tête de la maison familiale du même nom. Je dis toujours que les anciens n'étaient pas bêtes. Leurs vins sont toujours aussi merveilleux au bout de cent ans. Nos vins mécanisés tiendront-ils aussi longtemps ? »
Ce viticulteur au franc-parler a choisi d'aller à contre-courant en conservant le foulage traditionnel lorsqu'il a repris l'affaire de son grand-père, il y a vingt ans. Sur son domaine de Vale do Mendiz, près de Pinhão, à 120 km à l'est de Porto, il a conservé ses « lagares » ronds, uniques au Portugal. Cette année, il a convaincu vingt-cinq confrères de réaliser une cuvée commune qui sera vendue pour une oeuvre de charité. Tous ont apporté un peu de leurs raisins qu'ils ont mélangés et foulés ensemble. Une opération qui a pour but de faire connaître le foulage au pied.
L'âme du Douro. À la Real Companhia Velha, une maison de vins de Porto vieille de plus de 250 ans, les arguments d'hygiène et de modernité ont conduit à l'abandon du foulage au pied. Pourtant, on y revient aujourd'hui, notamment pour les vins d'exception que sont les vintages (millésimes). Pour Pedro Silva Reis, qui dirige cette maison familiale de 500 ha, les lagares sont l'âme du Douro. « Il existe une alchimie parfaite entre nos meilleurs raisins et le foulage au pied. L'action lente et douce des pieds permet au vin de s'exprimer », assure-t-il.
Compte tenu de sa dimension, la Real Companhia Velha pratique un peu le foulage au pied et surtout le foulage mécanique. De son côté, la Quinta do Portal, à Sabrosa, a tranché en faveur du foulage mécanique. En 2006, l'entreprise a investi dans un robot pigeur de dernière génération sous l'impulsion de son oenologue, Paulo Coutinho.
L'appareil se présente sous la forme d'un portique enjambant les lagares. Il supporte sept disques pigeurs actionnés par des vérins. Juste après l'encuvage, les disques plongent jusqu'au fond de la cuve pour bien fouler les raisins. Puis, lorsque la fermentation démarre, ils s'arrêtent à 8 cm du fond environ pour éviter de triturer les pépins.
Le robot se déplace automatiquement d'un bout à l'autre de la cuve pour fouler ou piger tout son contenu. « Il fonctionne à la demande, même la nuit. Il remplace douze hommes », souligne Paulo Coutinho. La Quinta do Portal s'est également dotée de lagares modernisés : en inox et pourvus d'un système de refroidissement pour ralentir la fermentation en cas de besoin.
Robot breveté. Paulo Coutinho encuve la vendange avec des tapis roulants. Contrairement à la tradition, il pratique le mutage dans les lagares au bout de trois à quatre jours de fermentation, en fonction de la richesse en sucres que doit contenir le vin à l'arrivée. Il laisse ensuite macérer le tout durant douze à vingt-quatre heures, « selon la dégustation et la sensation tanique », explique-t-il, au bout desquelles il décuve et presse le marc. Puis il laisse décanter ses vins dans des cuves en inox avant de les élever sous bois.
Sauf exception, Paulo Coutinho réserve ce mode de vinification aux portos. Il vinifie ses vins secs et non mutés en cuve fermée avec des remontages. Il produit également une petite partie de ses portos en cuve fermée pour obtenir des vins d'un style plus « jeune et fruité ».
À Cheires, une bourgade voisine de Sabrosa, José Morais a relancé le domaine Quinta dos Lagares qui appartient à sa famille depuis le XVIIe siècle. Ce producteur et négociant a fait fabriquer un robot adapté à ses cuves traditionnelles et dont il a déposé le brevet en 1996. « Chaque cuve construite il y a soixante ans peut recevoir 10 tonnes de raisin environ. Nous les remplissons trois ou quatre fois par vendange. Il faut parfois jusqu'à huit jours de fermentation avant de pouvoir muter un vin. C'est impossible pour nous de recourir au foulage au pied sur cette durée », expose José Morais.
Généralement, les dix ou douze vendangeurs nécessaires au foulage travaillent la nuit, durant quatre ou cinq heures, et perçoivent entre 5 et 7 euros de l'heure. Un coût que certains domaines ne peuvent se permettre.
L'un des voisins de José Morais, Tomás Roquette, a trouvé la parade. À la tête des 200 ha de la Quinta do Crasto, il organise des séances de foulage au pied pour les visiteurs. « C'est une activité que nous remettons au goût du jour, lance-t-il. Ludique pour les touristes, elle nous sert aussi à faire nos vins d'exception, qui proviennent de vignes vieilles de 70 ans. »
Les producteurs ont compris qu'avec le foulage, ils disposent d'un bel instrument de marketing leur permettant de se différencier dans un univers de plus en plus compétitif. Ils ont décidé de défendre ce savoir-faire ancestral qui donne toute leur noblesse aux nectars de la région du Douro.