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Magazine - Histoire

Période : XIXe siècle Lieu : France Phylloxéra, chronique d'une invasion

FLORENCE BAL - La vigne - n°260 - janvier 2014 - page 73

À la fin du XIXe siècle, il a fallu cinq ans pour attribuer au phylloxéra les dépérissements qui ravageaient de plus en plus de vignes. Puis vingt ans pour que le greffage s'impose comme la solution au mal.
Jules-Émile Planchon faisait partie du groupe de trois experts qui a détecté le phylloxéra en Provence en 1868. © WELLCOME LIBRARY, LONDON

Jules-Émile Planchon faisait partie du groupe de trois experts qui a détecté le phylloxéra en Provence en 1868. © WELLCOME LIBRARY, LONDON

 © AKG-IMAGES

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C'est un fléau du XIXe siècle qui a irrémédiablement changé le cours de l'histoire viticole française. Son nom : Phylloxera devastatrix, le dévastateur. Il s'en est fallu de peu que ce minuscule puceron yankee anéantisse la filière viticole.

En 1863, un mal mystérieux fait son apparition dans des vignes en France, simultanément à Floirac et Bouliac, près de Bordeaux (Gironde), et en Provence, à Pujaut (Gard), Tarascon et Arles (Bouches-du-Rhône). La vigne flétrit. Les raisins ont du mal à mûrir. En quelques années, les ceps meurent.

En novembre 1867, dans les Bouches-du-Rhône, un certain M. Delorme, vétérinaire et régisseur d'un domaine près d'Arles, écrit au président du comité agricole d'Aix-en-Provence que ses vignes dépérissent. Sa lettre restera dans l'histoire comme le premier signalement officiel du fléau. Le 15 juillet 1868, Jules-Émile Planchon, professeur à l'université de Montpellier, Gaston Bazille, propriétaire dans l'Hérault, et Félix Sahut, horticulteur, se rendent sur le terrain, au château de Lagoy, près de Saint-Rémy-de-Provence, pour constater les dégâts. Ils découvrent le présumé coupable.

Gaston Bazille en rend compte de manière explicite : « Sous le verre grossissant de [la loupe] apparaît un insecte, un puceron de couleur jaunâtre, fixé au bois et suçant la sève. On regarde plus attentivement et ce n'est plus un, ce n'est plus dix, mais des centaines, des milliers de pucerons que l'on aperçoit à divers états de développement. Ils sont partout, sur les racines profondes comme sur les racines superficielles. »

Ce jour-là, ils font le même constat sur une bande d'une trentaine de kilomètres entre Cavaillon et Tarascon. Une journée noire. La menace jaune est effrayante. Elle est pourtant causée par un minuscule insecte : le phylloxéra mesure un à deux millimètres de long.

Sans attendre, les trois hommes sonnent l'alerte générale le 22 juillet en diffusant un message dans les journaux avertissant que l'affaire est grave et que, « si rien n'est fait, dans dix ans, la Provence n'aura plus de vigne et le Midi sera ruiné ». Et c'est bien ce qui adviendra. Mais cet été-là, ils sont bien peu à les prendre au sérieux. « Quoi ? Tant de bruit pour un si petit insecte ! » se moquent certains de leurs collègues du Nord. Ces derniers ont tort. De proche en proche, tout le vignoble va être concerné.

Très rapidement, il est établi que les dégâts dans le Bordelais sont dus au même ravageur et que le mal vient d'outre-Atlantique. Comment est-il arrivé là ? Par les vignes américaines que des propriétaires du Bordelais et du Midi ont introduites chez eux depuis une trentaine d'années, d'abord en quête de nouveaux plants, puis pour lutter contre l'oïdium, un autre parasite américain.

Le phylloxéra prend son essor à partir de 1873. Le Gard ne compte plus que 15 000 ha en 1879, contre 88 000 en 1871. Toute la moitié sud de la France est touchée. Puis le fléau gagne les vignobles septentrionaux. La Bourgogne est atteinte en 1878, la Champagne en 1894. Sans compter qu'en 1878, le mildiou, venu lui aussi d'Amérique, se déploie à son tour. En 1882, un décret renforce la protection des régions indemnes en interdisant la libre circulation des plants américains dans ces zones. Il ne sera pas respecté, accélérant sans doute la propagation du mal.

Pendant ce temps, une armada de scientifiques s'attelle à la recherche de solutions. Ils testent la submersion des vignes, des insecticides, la fumigation par sulfure de carbone et recherchent des plants résistants. Cette dernière piste sera la bonne. Dès 1869, un propriétaire bordelais a noté que ses vignes américaines restaient luxuriantes. En 1872, Gaston Bazille recourt à la greffe sur des plants américains. En 1873, Jules-Émile Planchon, envoyé spécial aux États-Unis, confirme cette piste. « L'insecte américain est absolument le nôtre, écrit-il. (...) L'Amérique possède des cépages réfractaires à l'action du phylloxéra et l'espérance légitime nous fait prévoir la possibilité de replanter nos vignobles détruits. »

La recherche d'hybrides et de porte-greffes franco-américains résistants démarre. Il faudra toutefois attendre 1887 pour que la reconstitution du vignoble par les vignes américaines s'impose définitivement comme le remède. Les tenants de la lutte chimique ont considérablement retardé sa mise en oeuvre. Mais le vignoble français sera sauvé. En 1900, il compte 1,7 million d'ha, contre 2,45 en 1874. L'ère post-phylloxérique était née.

« Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français », par Marcel Lachiver. « L'odyssée des agronomes de Montpellier », par Jean-Paul Legros et Jean Argelès. « L'invasion du vignoble par le phylloxéra », par Jean-Paul Legros.

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