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CATASTROPHE NATURELLE Déluge sur les vignes varoises

AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°261 - février 2014 - page 6

Près de 80 vignerons ont subi de sévères inondations lors de la vague de pluie des 18 et 19 janvier. Les flots ont arraché des vignes et noyé des caves. Reportage dans le Var, à La Londe-les-Maures et La Crau.
FLORENT AUDIBERT, l'oenologue du château Vert, à La Londe-les-Maures (Var), n'a pu que constater les dégâts au lendemain de la tempête des 18 et 19 janvier. Le domaine va devoir arracher 6 ha de vignes et va perdre ses entrées de gammes dans les trois couleurs. A. AUTEXIER

FLORENT AUDIBERT, l'oenologue du château Vert, à La Londe-les-Maures (Var), n'a pu que constater les dégâts au lendemain de la tempête des 18 et 19 janvier. Le domaine va devoir arracher 6 ha de vignes et va perdre ses entrées de gammes dans les trois couleurs. A. AUTEXIER

 A. AUTEXIER

A. AUTEXIER

LE PONT enjambant le cours d'eau qui traverse le château des Valentines, situé à La Londe-les-Maures (Var), a été submergé. Les flots ont dévasté le parking et le rez-de-chaussée du local d'accueil des visiteurs du domaine. © CHÂTEAU DES VALENTINES

LE PONT enjambant le cours d'eau qui traverse le château des Valentines, situé à La Londe-les-Maures (Var), a été submergé. Les flots ont dévasté le parking et le rez-de-chaussée du local d'accueil des visiteurs du domaine. © CHÂTEAU DES VALENTINES

Les alertes orange dans le Var ne sont pas rares. Aussi, l'annonce de fortes pluies les 18 et 19 janvier est passée comme une prévision presque banale. Au final, il n'en a rien été. Deux personnes ont perdu la vie et la fédération des assurances évalue les dégâts à 200 millions d'euros. La chambre d'agriculture a recensé 220 agriculteurs sinistrés, « dont 36 % de viticulteurs », selon Alain Baccino, son président. 228 ha de vignes ont énormément souffert.

Deux zones sont très touchées : celle à l'Est, sur le bassin versant de l'Argens, et celle à l'Ouest, comprenant Hyères, Le Lavandou et La Londe-les-Maures. Dans cette ville de bord de mer, on ne se souvient pas d'avoir vu une telle violence des eaux depuis cinquante ans. Deux semaines après la catastrophe, les esprits restent marqués.

Florent Audibert, oenologue salarié au château Vert (22 ha en AOC Côtes de Provence et 8 ha en vin de pays des Maures), explique : « Le Maravenne, qui longe nos parcelles en vin de pays, coule d'habitude en formant deux petites courbes. Là, la rivière a tellement grossi que les flots sont allés tout droit, dévastant toute une partie du vignoble. »

Le déluge est tombé le week-end. Florent Audibert a constaté les dégâts dès le lundi matin avec le propriétaire du domaine. « On se doutait que ces parcelles avaient souffert. Mais on ne s'attendait pas à cela », dit-il, montrant six hectares totalement ravagés.

Le spectacle est désolant : les vignes sont complètement couchées et les piquets en fer du palissage sont tordus, pliés sur le sol. Chaque cep est recouvert d'un amoncellement de végétaux qui donne au vignoble des allures fantomatiques. Au milieu d'une parcelle, la rivière en furie a déposé un vieux fauteuil. Des déchets en tout genre jonchent la terre boueuse.

Solidarité

Florent Audibert poursuit sa visite jusqu'à l'ancienne digue censée contenir la rivière dans sa courbe. La construction a volé en éclat, projetant de grosses pierres dans les vignes. Un peu en contrebas, les flots déchaînés ont creusé un trou de deux mètres de profondeur. « Ici, le chemin d'exploitation faisait une butée. L'eau a créé une sorte de dépression en frappant dessus. Toute la terre est partie », assure-t-il. Un terrassement sera nécessaire.

Sur les dix hectares inondés, au moins six doivent être arrachés. Les parcelles en IGP Maures étaient plantées en cinsault, vermentino, syrah et grenache. Elles produisaient les trois couleurs. « Si nous arrachons tout, nous n'aurons plus d'entrée de gamme. Le domaine venait de démarrer à l'export. Cela va nous handicaper pendant cinq à six ans », regrette l'oenologue.

Côté assurance, les premiers contacts n'incitent pas à l'optimisme : la perte de fond, c'est-à-dire du sol et des plants de vignes, n'est pas couverte. Le propriétaire espère une prise en charge du palissage... Autre interrogation : la propriété a souscrit une assurance récolte. « Il faut voir si elle peut jouer vu que nous n'allons pas ramasser grand-chose en IGP avant 2018 », poursuit-il.

Ce qui soulage les sinistrés, c'est la solidarité qui s'exprime envers eux. À l'entrée du village, une banderole remercie tous les bénévoles venus les aider. Et ce n'est pas fini. Le château Vert doit encore recevoir des vignerons réunis par le syndicat des vins de pays pour nettoyer ses vignes.

Cet esprit solidaire est aussi salué au domaine des Valentines (35 ha en Côtes de Provence), situé en amont de La Londe-les-Maures. L'exploitation est traversée par le Pansard, un tout petit cours d'eau. Sur sa rive gauche, Pascale Pons, la gérante, et Gilles, son mari, le propriétaire des lieux, ont fait construire leur nouveau local d'accueil des visiteurs. Les flots l'ont inondé.

Dégats considérable

En face, sur l'autre berge, le domaine a sa cave et son entrepôt de stockage. Quelques habitations sont aussi situées sur cette rive droite. Pour traverser, les riverains comme les employés du domaine empruntent un petit pont. Les pluies de mi-janvier ont tellement grossi le Pansard qu'il est passé par-dessus. « La rivière a complètement recouvert l'ouvrage. On ne le voyait plus, décrit Pascale Pons, photos à l'appui. Nous n'avions jamais vu cela. »

La construction a résisté mais ses voies d'accès ont cédé, la rendant inaccessible. Le lundi matin, la viticultrice a découvert le domaine coupé en deux : la partie production se retrouvant isolée. « Le seul moyen de rejoindre la rive droite consistait à passer en contrebas, par le village, pour remonter ensuite par un chemin uniquement praticable en 4X4 », rapporte-t-elle.

La situation est délicate, car c'est la période des expéditions. Les Valentines réalisent 20 % de leur chiffre d'affaires à l'export. « Un conteneur devait partir pour les États-Unis. Nous avons immédiatement averti notre importateur. Nous nous sommes creusé la tête pour trouver une solution, envisageant même d'aller chercher les bouteilles en 4X4. » Au final, les services municipaux ont été d'une remarquable efficacité. « Le mardi, ils ont réenroché les berges. Le pont est redevenu accessible », poursuit-elle. Le domaine n'a expédié ses vins qu'avec une semaine de retard.

En aval de cette exploitation, la coopérative des vignerons Londais (65 coopérateurs, un million de cols par an) a aussi subi de plein fouet les débordements du Pansard. Laurent Oddera, son président, raconte : « Une vague s'est formée en amont et s'est déversée dans la cave. L'eau a gagné le hangar de la chaîne d'embouteillage. Les portes étaient fermées. Elle s'est accumulée comme dans un aquarium. Puis une porte a fini par céder et l'eau s'est évacuée, emportant des palettes entières de bouteilles. »

Les dégâts sont considérables. La chaîne d'embouteillage est hors d'usage, ainsi que 15 000 à 20 000 cols et les cartons d'expédition. La force de l'eau a été dévastatrice. Des cuves de 50 hl, en réfection dehors, ont été emportées. Le quai de réception des vendanges a souffert. Quinze jours après la catastrophe, la cave évalue le préjudice à « plus de 300 000 euros ».

À La Crau, ce sont les cours d'eau du Réal Martin et du Gapeau qui ont fait des ravages. Le château des Mesclances (16 ha en Côtes de Provence et 11 ha en vin de pays des Maures) est situé au confluent des deux rivières. Ses 3 ha de plantiers, du tibouren et du grenache, plantés en mars, ont été ensevelis. Le courant a emporté la terre et enchevêtré le système d'irrigation. Le propriétaire, Arnaud de Villeneuve, a fait faire une première estimation : 200 000 euros de dégâts.

Partagés entre colère et tristesse, les sinistrés n'ont qu'une expression à l'esprit : « Plus jamais ça. »

Polémique sur l'entretien des rivières

« On n'a pas le droit de couper les arbres en bordure de rivière à cause de telle chauve-souris qui y niche. Il ne faut pas non plus intervenir sur la rivière à cause de telle anguille. Mais au final, faute d'entretenir ces cours d'eau, ce sont nos vignes qui se retrouvent inondées. » Cette remarque d'un viticulteur sinistré illustre le ras-le-bol des agriculteurs face à une politique de la police des eaux jugée « technocratique et déconnectée de la réalité ». Autre responsable pointé du doigt : l'urbanisation grandissante. « La pression foncière n'a cessé d'augmenter, constate un Londais. Partout, les lotissements gagnent du terrain sur les terres agricoles. À force de bitumer, l'eau ne peut que finir chez nous ! » La FNSEA a lancé un appel à la mobilisation le 14 février pour démontrer les « aberrations » de la politique de l'eau qui conduisent, selon elle, à des inondations catastrophiques.

Météo France relève une pluviométrie exceptionnelle

Les dernières inondations varoises s'expliquent par une conjonction de facteurs. À la veille de l'épisode pluvieux qui a démarré dès le 16 janvier et duré jusqu'au 19, les sols étaient déjà gorgés d'eau sur l'ensemble du territoire. « Une situation qui résulte d'une succession de pluies depuis un mois », souligne la direction interrégionale Sud-Est de Météo France. Le 19 janvier, la situation empire avec « des pluies exceptionnelles tombées pour l'essentiel de 7 heures à 15 heures ». L'épicentre de ces pluies se situe entre La Londe-les-Maures et Sainte-Maxime, avec 200 à 300 mm entre le 16 et le 19 janvier. Le trop-plein d'eau entraîne des débordements exceptionnels. Ainsi, le Réal Martin atteint 4,24 mètres le 19 janvier à 16 heures, sa plus la plus forte hauteur jamais mesurée depuis le début des mesures en 1965.

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