Le site n'est qu'à une trentaine de kilomètres à vol d'oiseau de Montpellier (Hérault), mais dans ce coin reculé, rien ne transpire de la trépidante activité de la capitale régionale. Une cave imposante, surmontée par deux gîtes, côtoie un vieux mas en pierre dans une élégante harmonie architecturale. De petites parcelles de vigne s'intercalent entre bois, garrigues et prairies. C'est l'abbaye de Fenouillet, propriété viticole de Toni Schuler, un Suisse de 62 ans.
Non loin de la cave, caché sous un abri sommaire, se trouve un forage. Autrefois agricole, il a basculé dans le domaine public dans les années quatre-vingt. Aujourd'hui, il alimente en eau potable les 3 000 habitants de la communauté de communes du Grand pic Saint-Loup. Et ce captage confère une responsabilité très particulière aux exploitants du domaine.
Travail du sol
« Sur les 130 ha de la propriété, 120 se situent dans le périmètre de protection rapprochée du forage, soumis à une réglementation pour la protection contre les risques de pollution ponctuelle, explique Michel Wack, le gérant du domaine. En revanche, rien ne nous est encore imposé pour prévenir les risques de pollution diffuse. Mais nous avons pris les devants. Nous nous imposons des pratiques culturales respectueuses de l'environnement. Nous voulons démontrer qu'il est possible de maintenir une activité vitivinicole sans dommage pour les eaux en sous-sol. »
Les mesures de prévention contre les risques de pollution ponctuelle sont ni plus ni moins celles qui s'appliquent à toutes les caves vinifiant plus de 500 hl. Les dirigeants du domaine les suivent à la lettre. L'exploitation est donc équipée depuis 2012 d'une base phytosanitaire. Ce bâtiment d'une centaine de mètres carrés intègre :
- un bureau où Michel Wack enregistre ses pratiques viticoles et plus particulièrement les traitements phytosanitaires ;
- un vestiaire avec des douches où les employés peuvent se changer ;
- une aire de stockage des produits de traitement ;
- un espace couvert pour le remplissage et le lavage des pulvés ;
- un système de récupération et de traitement des eaux de lavage.
Le propriétaire des lieux a fait appel à un architecte pour intégrer cette construction dans son environnement.
Toujours pour éviter les pollutions ponctuelles, il a installé trois autres dispositifs de traitement des eaux usées selon leur nature (voir encadré ci-dessous). L'équipement de la base phytosanitaire ainsi que les deux Héliosec représentent un investissement d'environ 20 000 euros.
Au niveau du vignoble, les pratiques culturales ont évolué pour éviter les pollutions diffuses. « Quand je suis arrivé en 2002, tout le vignoble était désherbé, souligne Michel Wack. Nous avons fait le choix d'arrêter progressivement les désherbants, en commençant par les traitements de prélevée. Depuis 2004, nous avons totalement supprimé ces produits, y compris sur les plantiers. Il ne reste plus qu'une parcelle de 3 ha, où l'affleurement de la roche mère nous empêche de travailler le sol. Lorsque nous arracherons cette vigne, nous allons extraire tous ces rochers afin de replanter sur une terre que nous pourrons travailler mécaniquement. »
Une décision qui a un coût : l'exploitation a embauché un tractoriste supplémentaire pour travailler intégralement le sol. Elle a dû s'équiper d'interceps, d'un disque vigneron, d'un concasseur de pierres et d'un semoir (50 000 euros au total).
Michel Wack se refuse également à dévitaliser chimiquement les vignes avant de les arracher. Pendant quatre ans, il laisse ces parcelles au repos après les avoir semées en prairie avec des espèces mellifères (phacélie, mélilot et sainfoin).
Exporter les eaux domestiques
Toujours pour diminuer les risques de pollution diffuse, il limite la taille des parcelles. « Le bois que nous avons défriché au cours de ces dernières années se situe juste au-dessus du forage. Nous avons opté pour un défrichage mesuré, en créant des parcelles de moins de 1 ha. C'est plus motivant à travailler que ces interminables rangées de vigne, si décourageantes au moment de la taille ou des travaux en vert. » Sept à huit parcelles ont ainsi vu le jour en dix ans. Sage décision. Depuis 2011, une nouvelle déclaration d'utilité publique (DUP) a encore accru les contraintes sur l'exploitation. Elle lui interdit de déboiser et de construire de nouveaux bâtiments. Elle l'autorise, au mieux, à agrandir de 20 % la surface déjà construite.
Pour avoir le droit de réhabiliter son vieux mas, Toni Schuler se voit obligé d'exporter les eaux domestiques ainsi que les eaux traitées de la cave à... 800 mètres du site, dans une parcelle hors du périmètre de protection rapprochée. « C'est un investissement conséquent. Nous devons installer 800 mètres de conduite enterrée. Mais nous allons le faire pour retrouver notre liberté et conduire nos travaux de réhabilitation », lâche Michel Wack.
À chaque eau usée son réseau
L'abbaye de Fenouillet a mis en place quatre dispositifs de traitement et d'évacuation des eaux usées selon leur origine.
- Les eaux domestiques passent dans une fosse septique.
- Les eaux de lavage des tracteurs et des matériels de travail du sol et de travaux en vert sont passées sur un dégrilleur, puis déshuilées et débourbées avant leur retour dans le milieu naturel.
- Les effluents de cave et les eaux de lavage de la machine à vendanger sont envoyés dans une cuve enterrée avec des boues activées. Ils sont brassés pendant cinq à six semaines, puis les eaux claires sont évacuées dans un champ d'épandage. À terme, ces eaux seront évacuées avec les eaux domestiques à 800 m du captage via des conduites enterrées.
- Quant aux eaux de lavage des pulvérisateurs, elles sont récupérées dans une citerne puis envoyées par une conduite à double paroi vers une installation Héliosec. Là, elles s'évaporent naturellement grâce au vent et à la chaleur. En fin de cycle, il ne reste qu'un résidu sec qui est recueilli en vue de sa destruction par la filière Adivalor.
99 % des ventes par VPC à l'export
L'abbaye du Fenouillet est une propriété viticole de 130 ha sur la commune de Vacquières (Hérault), à proximité du pic Saint-Loup, au nord de Montpellier. Ce domaine compte 32 ha de vigne en production. Son chiffre d'affaires s'élève à 750 000 euros. Depuis 1999, il est la propriété de Toni Schuler, 62 ans, ex-patron de Schuler caves Saint-Jacques, ancestrale société familiale suisse de négoce dont il s'est retiré. Depuis quinze ans, cet amoureux du vin vinifie lui-même l'ensemble des vins du domaine avec la seule aide de Michel Wack, son gérant. « Nous travaillons en tandem dans la cave, c'est notre domaine réservé », confie ce dernier, qui conduit le vignoble et entretien les espaces naturels avec une équipe de quatre personnes. L'abbaye de Fenouillet vend toute sa production en bouteilles (100 000 cols par an, dix vins en IGP pays d'Hérault et AOC Languedoc) à une société suisse qui la revend par correspondance à des particuliers entre 10 et 14 euros la bouteille. 99 % des volumes partent à l'export, seul 1 % est commercialisé sur place, auprès d'une clientèle de passage ou des locataires de gîtes.