JACQUES PILLOT, VITICULTEUR ET PROFESSEUR À L'INSTITUT PASTEUR ET À LA FACULTÉ DE MÉDECINE PARIS-SUD, cultive 6 ha de cabernet franc plantés en 1997 à Vouzailles (Vienne). En 2008, il convertit 2 ha de cette parcelle en viticulture biologique. Ses 6 ha se trouvent dans des conditions culturales identiques : sols argilo-calcaires peu profonds, porte-greffe Fercal, écartement de 2,20 m et espacement de 1 m dans le rang.
Au printemps 2012, Jacques Pillot assiste à « une explosion des symptômes foliaires de l'esca uniquement dans la partie conduite en viticulture biologique, conduisant en octobre à une mortalité des ceps de 9 %, contre 1 % dans la partie conduite en viticulture conventionnelle ».
En 2013, année caractérisée par de nombreuses pluies, la mortalité baisse mais reste plus élevée en bio qu'en conventionnelle : respectivement 3 et 0,5 %. Selon Jacques Pillot, « cette baisse tend à incriminer une obstruction mécanique de l'ascension de la sève dans les vaisseaux ligneux plutôt qu'une diffusion de toxine microbienne ».
Et, surtout, il suppose que « la transition brutale vers la culture biologique, impliquant un traitement plus profond du sol, s'est avérée désastreuse vis-à-vis de l'hydratation des parties aériennes ». En clair, l'introduction du travail du sol serait la cause de l'explosion de l'esca.
Spécialiste des maladies du bois à l'Inra de Bordeaux (Gironde), Pascal Lecomte confirme cette hypothèse : « La conversion en culture biologique, avec un travail du sol trop brutal, a entraîné une diminution notable du potentiel d'exploration du sol par les racines. Ces dernières se retrouvent insuffisantes pour apporter l'eau nécessaire à la végétation, laquelle est restée la même. »
Des symptômes plus virulents en années sèches
« Le lien entre l'eau et l'expression des symptômes d'esca est évident, poursuit-il. Il semble que les nécroses importantes du bois liées à la maladie obstruent le trajet de la sève jusqu'aux parties aériennes, entraînant ainsi l'apparition de symptômes sur les feuilles. » Ces derniers ne résulteraient pas d'une intoxication de la vigne. « En effet, aucune toxine n'a pu être détectée dans les feuilles exprimant des symptômes d'esca, souligne le spécialiste. L'expression foliaire de l'esca semble être uniquement due à un dérèglement des vaisseaux du bois où l'on observe des toxines. »
La plante serait donc incapable d'apporter de l'eau jusqu'aux feuilles, qui manifeste alors les symptômes de la maladie. C'est pourquoi ces derniers apparaissent plus virulents en années sèches et dès les premières chaleurs. Une fois le système racinaire reconstitué, Jacques Pillot peut espérer une amélioration de la situation pour sa parcelle de cabernet franc. En attendant, le viticulteur observe une situation très tranchée dans sa parcelle.
Il constate aussi que les rangs bios jouxtant ceux conduits en culture conventionnelle sont aussi atteints que le reste de la partie en bio. « Cela tend à confirmer que les traitements chimiques sont sans effets sur les agents des maladies du bois », conclut-il.