Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN - POUR APPROFONDIR

Vieillissement prématuré des rouges Attention à la surmaturité

GRÉGORY PASQUIER - La vigne - n°261 - février 2014 - page 44

Certains vins rouges développent des odeurs de fruit cuit, de pruneau ou de figue avant l'heure. Des chercheurs bordelais montrent que la surmaturité des raisins est une des causes de ce vieillissement défectueux.

Qu'est ce que c'est ?

Le vieillissement prématuré correspond à l'apparition précoce de notes de fruit cuit dans un vin dont on sait qu'il peut vieillir. Le vin atteint paraît vieux avant l'âge.

Denis Dubourdieu, professeur à l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux (Gironde) et initiateur des recherches sur le sujet, écrit : « La qualité des grands vins rouges est intimement liée à leur aptitude au vieillissement, c'est-à-dire au développement de leur personnalité aromatique au cours de leur conservation en bouteille. Le temps y révèle le goût inimitable de l'origine. » Mais dans le cas d'un vieillissement prématuré, les vins rouges sont marqués par « des arômes de pruneau, de fruit cuit et de figue séchée, souvent associés à une évolution anormalement rapide de la couleur », poursuit-il.

À partir de quand peut-on affirmer qu'un vin a vieilli prématurément ?

« C'est difficile à dire, pour Alexandre Pons, chargé de recherches pour la société Seguin Moreau, qui travaille sur le sujet. Pour un grand cru par exemple, l'apparition de nuances de fruit cuit au bout de dix à quinze ans est une évolution normale. Si ces notes apparaissent dès trois ou quatre ans, on peut considérer que ce vin a vieilli prématurément. » De plus, le bouquet de vieillissement, comme le caractère empyreumatique des cabernets de garde par exemple, est absent des vins qui vieillissent trop tôt.

Quelles molécules sont impliquées ?

C'est notamment la 3-methyl-2,4-nonanedione, ou MND. Son seuil de perception est de 16 ng/l en solution hydroalcoolique et de 63 ng/l dans le vin rouge. « C'est relativement bas », indique le chercheur. Alexandre Pons a également identifié la γ-nonalactone comme molécule potentiellement responsable de l'odeur de fruit cuit des vins vieillis prématurément. Mais il n'a pour le moment jamais retrouvé cette molécule au-dessus de son seuil de perception dans les vins.

Quels sont les descripteurs associés à la MND ?

« La molécule pure sent le foin ou l'anis et, aux concentrations retrouvées dans le vin, soit entre 50 et 200 ng/l, elle a une odeur de noyau de pruneau », précise Alexandre Pons. En condition de laboratoire, il a rajouté des concentrations croissantes de MND dans un vin rouge. Il a alors observé que l'odeur de fruit frais caractérisant ce vin diminue avec l'augmentation des concentrations en MND. Au contraire, les notes anisées, de pruneau et de rancio augmentent proportionnellement à l'ajout de cette molécule.

Où la trouve-t-on ?

Elle est naturellement présente dans les épinards, l'huile de soja et le thé vert. Elle a été identifiée pour la première fois dans les vins rouges en 2008. « Elle est beaucoup moins présente dans les vins blancs. C'est d'ailleurs pour cela que l'on trouve le caractère fruit cuit dans les vins rouges et pas dans les blancs », assure Alexandre Pons.

Comment se forme-t-elle ?

Dans les années quatre-vingt-dix, un chercheur allemand a identifié des acides gras furaniques comme précurseurs de la MND dans l'huile de soja. Mais on sait peu de choses de la formation de cette molécule dans les vins rouges, si ce n'est qu'elle se forme par oxydation.

Au laboratoire, le chercheur a saturé en oxygène un vin rouge contenant 30 ng/l de MND. Huit jours plus tard, ce vin en contenait trois fois plus. Il semble donc que les pratiques qui apportent des quantités excessives d'oxygène aux vins contribuent à augmenter la concentration de cette molécule.

La retrouve-t-on à toutes les étapes de l'élaboration du vin ?

Oui. La MND a été dosée dans les raisins, les moûts, les vins après fermentation alcoolique et après fermentation malolactique, au cours de l'élevage et après plusieurs années en bouteille. Mais le chercheur a remarqué que la teneur en MND chute au cours de la fermentation alcoolique.

Au laboratoire, il a supplémenté un jus de raisins à 240 g/l de sucre avec 1 µg/l de MND. Après dix jours de fermentation alcoolique, la MND était éliminée alors qu'il restait un peu moins de 20 % des sucres initiaux. Il a pour hypothèse qu'en l'absence d'oxygène, cette molécule est réduite en deux molécules moins aromatiques.

Y a-t-il des cépages qui renferment plus de MND ?

Oui. « Dans un vin jeune de cabernet sauvignon, les teneurs moyennes en MND sont de 30 ng/l. Dans le merlot, plus sensible à l'oxydation, elles sont de 100 à 150 ng/l », démontre le chercheur. Cela expliquerait qu'à Bordeaux, les vins de merlot renferment en moyenne plus de MND que les vins de cabernet sauvignon pour les mêmes millésimes.

Y a-t-il un effet millésime sur la MND ?

« Le millésime 2003 est un cas typique, affirme Thomas Duclos, oenologue du laboratoire Œnoteam, à Libourne (Gironde). La maturité était précoce et les gens ont vendangé trop tard. Certains 2003 ont aujourd'hui très peu d'éclat, de fraîcheur et de complexité. Ils manquent de fruit. »

Alexandre Pons ajoute que, « cette année-là, l'été très chaud a créé un stress hydrique important ». Ce qui semble être responsable des teneurs importantes en MND retrouvées dans les vins. Alexandre Pons en a trouvé plus de 60 ng/l dans un vin de Pomerol de 2003, alors que des vins de 2001 et 1999 en renfermaient des quantités inférieures à 50 ng/l.

La date de récolte a-t-elle une influence sur les teneurs en MND ?

Oui. « On retrouve ce composé en plus forte concentration dans les raisins en surmaturité », assure Alexandre Pons. Mais pour le moment, aucune analyse chimique ne permet d'apprécier la maturité optimale des baies aptes à produire des vins de garde. Le seul moyen, « c'est la dégustation régulière des raisins, tranche Thomas Duclos. Il faut atteindre une maturité aromatique marquée par le fruit frais ». Sous-entendu : lorsque des arômes de fruit cuit apparaissent, il est déjà trop tard.

Alexandre Pons a ramassé des raisins de merlot « à maturité » et dix jours après. Il a mesuré des teneurs moyennes en MND de 10 ng/l dans les moûts correspondant aux baies à maturité et de 40 à 45 ng/l pour les autres. En 2012, il a ramassé des raisins les 8, 12 et 16 octobre et les a vinifiés. Après trois mois d'élevage, les teneurs moyennes en MND étaient inférieures à 30 ng/l pour la date plus précoce et s'approchaient de 40 ng/l pour la plus tardive. Soumis à un jury de dégustation, ce dernier vin était plus marqué par des notes de fruit cuit que les deux autres.

Les premiers et seconds vins d'un même cru évoluent-ils de la même manière ?

Non. Les premières années de conservation en bouteille, les teneurs en MND du premier et du second vin d'un même cru sont identiques. Mais après quelques années, la concentration en MND augmente plus rapidement dans le second vin que dans le premier. Ce dernier vieillit plus lentement et semble moins prédisposé à développer précocement des notes de pruneau. Logique, car les raisins qui entrent dans la composition du premier vin sont sélectionnés pour leur aptitude supposée à bien vieillir.

Peut-on limiter les risques ?

Oui, notamment en récoltant à maturité. « Il faut régulièrement goûter les raisins dans les vignes », insiste Thomas Duclos. Et limiter l'excès d'oxygène au cours de la vinification. La qualité du bouchon et les conditions de stockage sont également déterminantes. « On sait aussi que plus un vin a un pH élevé, plus il vieillira rapidement », conclut Alexandre Pons. Les raisins récoltés en surmaturité, au pH plus haut, donneront donc des vins qui vieilliront précocement.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :