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AU COEUR DU MÉTIER

À VERGISSON, EN SAÔNE-ET-LOIRE « Nous nous efforçons de redresser la barre »

FLORENCE BAL - La vigne - n°262 - mars 2014 - page 28

Partant de rien à 17 ans, Thierry Drouin a bâti un domaine de 10 ha en Bourgogne. Mais il est très endetté. Après une succession de coups du sort, il est prêt à relancer son exploitation.
THIERRY DROUIN PRÉLÈVE UN ÉCHANTILLON DE POUILLY-FUISSÉ destiné au négoce dans sa cuverie abritée dans un bâtiment qui sert également à entreposer du matériel viticole. PHOTOS F. BAL

THIERRY DROUIN PRÉLÈVE UN ÉCHANTILLON DE POUILLY-FUISSÉ destiné au négoce dans sa cuverie abritée dans un bâtiment qui sert également à entreposer du matériel viticole. PHOTOS F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE SON EXPLOITATION

LE VITICULTEUR ÉCOUTE LES FERMENTATIONS malolactiques à l'aide de ce tuyau souple. « Quand elles sont terminées, je sulfite à 3 g/hl », précise-t-il. L'élevage en fût dure de dix à quatorze  mois.

LE VITICULTEUR ÉCOUTE LES FERMENTATIONS malolactiques à l'aide de ce tuyau souple. « Quand elles sont terminées, je sulfite à 3 g/hl », précise-t-il. L'élevage en fût dure de dix à quatorze mois.

CHARLES-ÉDOUARD DROUIN TAILLE une parcelle de chardonnay en appellation Pouilly-Fuissé âgée de 50 ans et située face à la roche de Vergisson.

CHARLES-ÉDOUARD DROUIN TAILLE une parcelle de chardonnay en appellation Pouilly-Fuissé âgée de 50 ans et située face à la roche de Vergisson.

THIERRY DROUIN BÂTONNE RÉGULIÈREMENT SES VINS pour développer le gras et la rondeur. En fin de FA, il intervient tous les jours, puis une fois par semaine jusqu'en décembre ou en février, selon les cuvées.

THIERRY DROUIN BÂTONNE RÉGULIÈREMENT SES VINS pour développer le gras et la rondeur. En fin de FA, il intervient tous les jours, puis une fois par semaine jusqu'en décembre ou en février, selon les cuvées.

Thierry Drouin traverse une mauvaise passe. Frappé de plein fouet par la crise financière de 2008, son divorce et deux petites récoltes en 2012 et en 2013, il met tout en oeuvre pour rétablir son domaine très endetté. En 2013, il a dû demander le rééchelonnement du paiement de ses dettes sur cinq ans. « Cela nous donne un second souffle », rassure ce vigneron à la tête du domaine Drouin, à Vergisson, en Saône-et-Loire, au pied de la fameuse roche de Solutré. Il y exploite 10,8 ha de vignes avec son fils, Charles-Édouard. Âgé de 24 ans et titulaire d'un BTS technico-commercial, ce dernier l'a rejoint en 2012 au sein de son EARL.

Thierry présente un vrai parcours d'autodidacte. Il a construit son domaine à partir de rien : zéro vigne, zéro marché, zéro client. En 1981, à 17 ans, il s'installe sur 2 ha, dont 1,8 ha en Pouilly-Fuissé. Au départ, il vend tout en vrac. Son épouse Corinne le rejoint en 1984. Elle n'est pas issue du milieu viticole. Formée au tourisme, elle entend « voir du monde et du pays ». Elle le pousse alors à se lancer dans la vente en bouteilles pour mieux valoriser leurs vins. 1987 est leur premier millésime - entre 2 000 et 3 000 cols, il ne se rappelle plus très bien - de leurs deux vins : un pouilly-fuissé et un mâcon.

Dans la foulée, ils ont l'occasion de s'agrandir et achètent 2 ha de Mâcon Bussière. Afin de vendre leurs vins, ils commencent à courir les salons dans le nord et l'ouest de la France. Puis, au début des années quatre-vingt-dix, Corinne participe à une dégustation organisée par l'interprofession des vins de Bourgogne en Grande-Bretagne. Bingo ! Le couple décroche d'importants marchés.

« C'est grâce à l'Angleterre que nous avons financé la construction de la maison et des bâtiments du domaine en 1994 », observe Thierry. Ces derniers s'étalent sur 700 m2 et deux étages, avec un grenier. Par la suite, l'exploitation s'agrandit encore jusqu'à atteindre 6 ha en 1999. Mais elle retombe à 4 ha en 2000, en conséquence de l'arrêt d'un métayage. Puis elle reprend sa croissance pour atteindre 8,8 ha en 2005.

Les années suivantes, le domaine conditionne environ 55 % de sa récolte, soit 35 000 bouteilles. Ce sera son maximum. L'export représente alors 63 % de ses débouchés en bouteilles. Les ventes au caveau restent minimes (3 à 5 %). Ce n'est pas la priorité. En 2007, le couple investit pour réaménager un chai à barriques enterré.

Et puis patatras ! La crise des subprimes de fin 2008 fait des ravages. Les ventes en Angleterre - son principal marché - s'effondrent. Tout l'export chute. Si bien que les ventes en bouteilles baissent à 26 000 cols en 2012-2013. En 2009-2010, les prix au négoce s'effondrent de 30 % puis mettent quatre ans à retrouver leur niveau de 2008-2009 (518 €/hl prix moyen tous vins confondus).

Comme si cela ne suffisait pas, le couple divorce fin 2009. Cette séparation a d'importantes répercussions sur l'exploitation. L'épouse de Thierry, qui travaillait bénévolement, assumait les volets administratif, commercial et export du domaine. Thierry réalise alors l'importance de son implication. Fin 2011, il embauche une secrétaire commerciale pour la remplacer. En septembre 2012, il se retrouve avec d'importants retards de paiement sur les charges sociales, notamment celles dues au titre de cette secrétaire. Ces retards se cumulent avec un endettement très important lié à la somme des investissements réalisés depuis l'installation (environ 430 000 euros).

Le service de recouvrement de la MSA lui suggère de déposer une requête auprès du tribunal pour demander un règlement à l'amiable. Il le fait immédiatement. Un conciliateur est alors nommé pour examiner la situation du domaine. Après négociation avec tous les créanciers, un plan global d'accompagnement est élaboré. Il lui permet de rééchelonner toutes ses dettes sur cinq ans. Cet accord est signé au printemps 2013.

« Ce rééchelonnement a soulagé notre trésorerie, dit-il. Avec les cours du négoce qui remontent bien cette année, même si la récolte n'est pas énorme, cela va nous faire du bien. » Malgré cela, il a dû licencier sa secrétaire en novembre 2013 pour des raisons économiques : il n'a pas réussi à amortir son salaire. Depuis, il fait appel à un prestataire pour trois ou quatre jours par mois.

En ce début d'année 2014, il a déjà vendu tout son millésime 2013 au tarif de 2 000 euros la pièce de 212 litres de pouilly-fuissé (9,43 €/l), contre 1 100 euros (5,20 €/l) l'an dernier et 850 (4 €/l) celle d'avant. L'augmentation des prix va lui permettre de maintenir son chiffre d'affaires malgré une nouvelle petite récolte en 2013.

Le prix moyen de vente en bouteilles, tous marchés confondus, est de 6,70 euros HT le col en 2012-2013. Il a augmenté d'environ 3 % par an depuis 2008-2009. Les vins obtiennent régulièrement des citations dans les revues et guides. « C'est une aide précieuse à la vente, commente Thierry. Et la preuve que la qualité est au rendez-vous. »

Sa gamme compte huit cuvées, dont sept en blanc. Chacune est baptisée d'après le nom de la parcelle où elle est produite. « J'ai créé ces cuvées petit à petit, au fil des ans et de l'agrandissement du domaine pour proposer plus de diversité », souligne-t-il.

Tous ces vins sont vinifiés et élevés sur lies fines en fûts pendant huit à quatorze mois. « Cela les nourrit, leur apporte une richesse et une rondeur supplémentaires très appréciées », continue-t-il. Grande première, il élaborera en 2014 deux vins élevés en cuve inox alors que tous les autres passent sous bois. « Des professionnels me le demandent pour proposer une palette de vins plus larges à leurs clients », explique-t-il.

À la vigne, il laboure trois fois par an « pour inciter les racines à descendre », mais continue de désherber sous le rang. Il épampre au printemps. En 2005, il réalise ses premières vendanges mécaniques en prestation de service sur 40 ares. Début 2013, il décide de les faire partout où la mécanisation est possible (80 % des surfaces). « Heureusement que j'ai fait ce choix, confie-t-il. L'an dernier, compte tenu des conditions météo déplorables, la pourriture s'est installée très vite. Nous avons avancé la date des vendanges d'une semaine à la dernière minute. Et nous avons démarré à fond au lieu d'y aller tranquillement. » De plus, « le coût va du simple au double, de 1 000 €/ha avec la machine à 2 000 €/ha avec les vendangeurs ».

Depuis 2012, Charles-Édouard, son fils, travaille sur le domaine, à la vigne ou à la préparation de commandes. « Il est timide. Pour l'instant, il n'aime pas aller tout seul sur les salons, commente son père. Au début, j'agissais de même et puis, finalement, j'y ai pris goût. »

Pour développer les ventes, Thierry entend maintenant se redéployer à l'export. « Mais le fait de ne pas parler anglais me bloque énormément, concède-t-il. À la fin de l'année, je vais rendre visite à des clients au Canada. Je ne sais pas comment je vais me débrouiller. »

En France, outre les salons qui lui apportent l'essentiel de son chiffre d'affaires, Thierry travaille avec un seul agent commercial, dans le Nord. Il en cherche d'autres dans toutes les régions, « même s'ils sont difficiles à trouver », regrette-t-il.

Dès que leur endettement sera résorbé, père et fils achèteront six à huit cuves en inox ainsi qu'un pressoir pneumatique. Ils s'interrogent aussi sur l'opportunité de reprendre 3 ha supplémentaires en AOP Saint-Véran.

« J'ai 50 ans, constate Thierry. Si on le fait, il faudra investir dans du matériel supplémentaire, en cuverie par exemple. C'est alors un véritable engrenage. Tout bien réfléchi, je préfère rester à la surface actuelle et valoriser l'ensemble de la production en bouteilles. On évite ainsi les yoyos du marché de négoce... » À l'horizon 2018, si tout va bien.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Il est parti de rien et il est fier d'avoir créé l'exploitation et les bâtiments ex nihilo.

Le rééchelonnement de ses dettes lui a donné un second souffle.

La vendange mécanique réalisée en prestation de service sur la majorité de la surface depuis 2013 lui permet d'intervenir très rapidement et de diminuer ses coûts.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

Il a accolé sa maison d'habitation aux bâtiments d'exploitation : « C'est trop proche », déplore-t-il.

Il a arrêté de participer aux foires pour ne plus se consacrer qu'aux salons réservés au vin. « C'est plus rentable », estime-t-il.

Il regrette de ne pas avoir pris les études au sérieux dans sa jeunesse. « Je n'ai qu'un brevet professionnel, glisse-t-il. Il n'est pas évident de se former tout en exerçant ce métier très prenant. Avec au moins un bac professionnel, puis une approche commerciale, cela aurait été plus facile. Mais aujourd'hui, ce qui me freine le plus, c'est de ne pas parler anglais. »

SA STRATÉGIE COMMERCIALE Les salons : 30 % du chiffre d'affaires

Dès leur premier millésime conditionné en bouteilles en 1987, Corinne et Thierry Drouin décident que les salons seraient leur marché prioritaire. Ils n'avaient en effet aucun lieu d'accueil. Aujourd'hui encore, les salons représentent 30 % du chiffre d'affaires. « Nous avons d'abord ciblé le nord et l'ouest de la France, se souvient Thierry. Car ce sont des régions qui consomment beaucoup et ne produisent pas. » Ils participent alors à une dizaine de salons chaque année. Au fil des ans, ils en essaient de nouveaux et délaissent les moins rémunérateurs (Lyon Eurexpo, Voujeaucourt dans le Doubs, Caen et Lisieux dans le Calvados ainsi que Quimper dans le Finistère). Aujourd'hui, Thierry ne se déplace que pour six salons : Nantes (Loire-Atlantique), Épinal (Vosges), Rennes (Ille-et-Vilaine), Bordeaux (Gironde) et Lille (Nord) deux fois dans l'année. À ses yeux, un salon est rentable s'il y vend assez de vin pour que le prix de vente par col diminué des frais de salons soit supérieur au prix de vente hors taxes à l'export. « Dans tous les cas, les frais de salon tout compris (hébergement, transport, etc.) ne doivent pas dépasser 2 euros voire 2,50 euros par col au grand maximum », estime-t-il.

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L'exploitation

- Surface : 10,8 ha, dont 10,2 en production.

- Appellations : Pouilly-Fuissé, Mâcon, Mâcon villages, Saint-Véran.

- Cépages : chardonnay et gamay (30 ares).

- Densité de plantation : 8 000 pieds par ha.

- Mode de taille : guyot.

- Main-d'oeuvre : Thierry, son fils, un salarié et des occasionnels.

- Production totale : 600 hl en année normale, 510 hl en 2012 et 2013.

L'essentiel de l'offre

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