MICHEL VIGROUX, DU MAS HONDRAT, DANS L'HÉRAULT, réalise un passage manuel tous les ans afin de retirer les sarments oubliés par la machine. PHOTOS A. ARNAUD
Domaine Isle Saint Pierre : Des coûts de plantation plus élevés
À Arles, dans les Bouches-du-Rhône, le domaine Isle Saint Pierre fait office de pionnier en France dans la taille rase. Cette exploitation familiale a été créée en 1927 sur un terroir sablo-limoneux en bord de Rhône. Les 200 hectares de la propriété sont taillés mécaniquement.
C'est à partir des années quatre-vingt, avec l'appui du professeur Intrieri, de la faculté de Bologne, en Italie, et de l'ingénieur agronome vénitien Luigi Bonnato, que Patrick Henry, le propriétaire, commence à adapter son vignoble à la taille mécanique.
Comme le raconte Julien Henry, son fils, « passer à la taille rase était vital pour l'équilibre financier de la propriété. Mais il a fallu renouveler le vignoble et investir dans des machines. Nous n'avons pas réalisé de gains immédiats mais sur le long terme. À ce jour, un homme suffit pour tailler 120 ha ».
Il explique notamment que les coûts de plantation sont plus élevés du fait de l'importance de l'installation d'un palissage approprié. Pour planter et entretenir une parcelle sur les trois premières années, il dépense en moyenne 32 500 €/ha, soit environ 20 % de plus que pour une parcelle palissée classique selon les estimations de la chambre d'agriculture de l'Hérault.
Forte de ces années d'expérience, la famille Henry dispose d'un savoir-faire indéniable dans la mise en place de parcelles adaptées à la taille rase. Julien Henry insiste sur « la nécessité d'avoir un palissage bien rigide. Nous utilisons des cornières de 40 x 40 et du fil arboricole de 3,2 mm de diamètre en moyenne afin qu'il résiste au passage de la machine et au poids de la végétation et de la récolte. Il est également très important de positionner le fil le plus haut possible sur la cornière afin d'éviter que la machine heurte les piquets ».
Les souches sont formées en cordon unilatéral dirigé dans un sens pour certains rangs et en sens inverse pour d'autres, selon l'itinéraire du tracteur. Ainsi, la machine taille toujours dans le sens de la végétation. « Cela améliore la précision du travail et limite la casse », observe Julien Henry.
La végétation au-dessus du cordon n'est pas palissée. Pour le viticulteur, cela n'empêche pas d'avoir une surface foliaire suffisante car « nous montons les pieds à 1,20 m pour les cépages à port retombant et à 1,10 m pour les ports érigés. Ainsi, nos vignes sont à hauteur d'homme et la végétation reçoit assez de rayonnement avant d'atteindre le sol. L'écartement entre les rangs de 2,25 m permet un bon étalement. L'espacement entre les ceps est d'un mètre ».
Il insiste enfin sur la nécessité de « monter le pied très droit. Je lie le plantier à son tuteur par une attache solide. À 20 cm en dessous du fil porteur, j'arque le plant pour l'amener à l'horizontale et l'enrouler sur un mètre autour du fil porteur, puis l'année suivante sur un mètre de plus autour du cordon du pied suivant. Ce chevauchement empêche la rotation de la végétation vers le bas et permet d'obtenir un cordon continu, même lorsqu'il manque un cep. Cela améliore le repérage du cordon par la tailleuse ».
Le premier passage en taille rase s'effectue en quatrième ou en cinquième feuille selon le cépage et la vigueur. Le domaine réalise ensuite une reprise manuelle tous les deux à trois ans, en fonction du cépage.
Concernant les travaux en vert, seul l'écimage diffère d'une culture traditionnelle. Deux passages suffisent, car « les sarments sont nombreux mais peu vigoureux, décrit Julien Henry. Le passage réalisé à la floraison consiste à étêter les rameaux de deux ou trois centimètres. Cela rigidifie les bois et favorise un port érigé. Les jeunes pousses s'accrochent par la suite à ces bois plus robustes. Nous repassons en fin de saison avec une écimeuse équipée de lames horizontales fixées à 20 à 30 cm du sol. Ce travail empêche la végétation d'atteindre le sol. On améliore ainsi la circulation de l'air au sein de la souche et on facilite le passage de la machine à vendanger ».
Les vignes les plus anciennes de la propriété conduites selon ce principe ont trente ans. Julien Henry affirme qu'elles « ne présentent aucun signe de vieillissement prématuré et offrent des rendements supérieurs à 90 hl/ha, conformément à nos objectifs ».
Mas Hondrat : Une conversion compliquée mais réussie
Michel Vigroux, propriétaire à la retraite mais toujours très actif du mas Hondrat, dans l'Hérault, donne une vision plus mesurée de la taille mécanisée. Bien que 80 % de ses 40 ha soient convertis à la taille rase, les débuts ont été difficiles. Les premiers essais remontent à quinze ans. À l'époque, « j'ai préféré faire marche arrière, car cette démarche était alors bien loin de ma vision de la viticulture », confie Michel Vigroux.
Il sera convaincu par le principe à la fin des années 2000 avec l'arrivée de la Taille rase de précision (TRP) de Pellenc dotée de la technologie « visio ». Il souligne toutefois que « la TRP ne peut être envisagée sans irrigation sur des sols peu fertiles, car l'augmentation de la productivité ne permet pas une récolte de qualité sur les vignes de faible vigueur. Il est possible d'imaginer une TRP sans irrigation sur les vignes âgées avec un système racinaire bien implanté, mais, dans tous les cas, je conseille fortement de contrôler la quantité de récolte les trois et quatre premières années de taille mécanique à travers un complément manuel assez sévère. Au bout de la cinquième année, la vigne se régule par elle-même et la quantité de récolte se stabilise à 10 ou 20 % de plus qu'une vigne taillée à la main, soit 95 à 100 hl/ha, contre 85 hl/ha en moyenne ».
Michel Vigroux estime avoir gagné 20 % sur le temps de taille la première année, car la reprise manuelle était importante, et jusqu'à 80 % à partir de la quatrième année. Il souligne toutefois qu'il est important de prévoir une heure par jour pour l'aiguisage des scies dans le but d'assurer une bonne coupe.
Le viticulteur démarre la taille rase à partir de la sixième feuille et insiste sur l'importance d'avoir une installation rigide afin « d'éviter le pliage des souches et de permettre le passage des scies au plus près du cordon. Pour cela, j'utilise des cornières de 35 x35 tous les quatre pieds et un fil de fer arboricole aciéré de 3 mm de diamètre, tendu par des plombs à chaque extrémité du rang. En effet, il est impossible d'enrouler le fil arboricole. Je monte mes plantiers à 90 cm-1 m en fonction des cépages et j'utilise un tuteur en bambou de 12-14 mm de diamètre que je fixe solidement au fil porteur ».
Au sujet de la surface foliaire, Michel Vigroux considère « qu'il est préférable de ne pas mettre de fils releveurs, même pour les cépages à port retombant, afin d'éviter de compresser une végétation dense et courte du fait des nombreux départs. Je conseille de planter à 2,5 m sur 0,90 m pour que la végétation puisse se développer à l'horizontale, comme pour les gobelets, et gagner en surface foliaire ». Il souligne également que, d'année en année, les sarments perdent de la vigueur et gardent donc un port de plus en plus érigé.
D'un point de vue qualitatif, Michel Vigroux a observé « un infime décalage de maturité lié à une charge légèrement plus importante. En revanche, les grappes étant plus petites et plus lâches, elles me semblent moins touchées par les vers de la grappe et le botrytis. Je pense également que cette taille pourrait diminuer les maladies du bois en raison de l'absence de grosses plaies de taille ».
Raisonnable, Michel Vigroux soutient « qu'il est possible, sur une même propriété, d'avoir deux types de taille en fonction des marchés. La cave de l'Ormarine, à Pinet, où j'apporte mes raisins, me demande une sélection taillée manuellement pour des cuvées de qualité supérieure. Il n'y a aucun problème à cela ».
Un mode de conduite pour des vins d'entrée et de milieu de gamme
Durant six ans, de 2006 à 2011, la chambre d'agriculture du Gard a évalué la taille mécanique sur une parcelle de sauvignon et trois parcelles de merlot. Les résultats obtenus confirment que la taille rase peut convenir dans un objectif de production de vins d'entrée et de milieu de gamme. En moyenne, sur l'ensemble des parcelles suivies, un gain de production de 41 % est constaté avec la taille mécanique. Sur les six années d'essais, les deux cépages confondus présentent un poids moyen par souche de 2,8 kg en taille manuelle, contre 3,8 kg en taille mécanique. Ce gain de fertilité s'explique par un nombre d'yeux plus élevé qui compense la baisse du poids des grappes, lesquelles comprennent moins de baies. Toutefois, un grand nombre d'yeux laissés à la taille ne démarre pas. Aucun impact du mode de taille n'a été constaté sur la date de débourrement, la pression parasitaire et la contrainte hydrique (à confirmer lors d'un millésime très sec ou sur des parcelles très sensibles). L'expression végétative diminue en taille mécanique et les niveaux de maturité sont le plus souvent légèrement inférieurs, mais les écarts restent faibles (inférieurs à 1°). Enfin, l'analyse des vins finis montre un léger retrait sur la plupart des paramètres qualitatifs. À la dégustation, aucun écart notable entre les vins de merlot n'est à constater. En revanche, les sauvignons de taille mécanique se révèlent un peu plus agressifs et moins volumineux en bouche.