Le vin est un grand voyageur. Il visite les continents, change d'hémisphère, prend la route, les airs, la mer. Mais contrairement à l'homme qui emmène des chaussettes en laine lorsqu'il part en Norvège ou un maillot de bain pour aller aux îles Caïmans, le vin circule nu. Il subit de plein fouet la température et l'hygrométrie durant le transport qui le mène du producteur au consommateur.
« Il y a eu beaucoup de progrès pour améliorer la qualité des vins. Mais le point noir reste le transport, constate Grégory Choquel, responsable du développement commercial de la société eProvenance. 41 % des vins exportés de France sont soumis à des conditions qui peuvent dégrader leur qualité. »
Depuis 2008, cette société franco-américaine a acquis une grande expérience en matière d'impact des conditions de transport sur la qualité des vins. Elle est la seule aujourd'hui à proposer un service de suivi de ces conditions. Elle a participé à une étude entre 2011 et 2013, soutenue par FranceAgriMer, où Inter-Rhône a réalisé un état des lieux des modalités d'exportation des vins au départ de la vallée du Rhône.
« Nous avons installé trois capteurs de température sur trente-quatre palettes de vins à destination de l'Asie, de l'Amérique du Nord, de l'Europe et de l'Océanie », explique Émilie Teyssot, chargée d'étude au service technique d'Inter-Rhône. Les résultats montrent que 40 % seulement des expéditions ont voyagé dans des conditions optimales, c'est-à-dire entre 10 et 20°C durant tout le transport.
« Les plus gros risques sont sur les destinations lointaines avec changement d'hémisphère, indique-t-elle. Nos caves partenaires ont souvent des soucis avec la Chine ou Taïwan. » Grégory Choquel ajoute que « parmi les destinations à risque, il y a la côte ouest de l'Amérique, où les vins sont soumis à de fortes chaleurs, mais aussi la France, notamment pendant l'été : en effet, comme le vin ne part pas loin, les gens prennent moins de précautions ».
Au cours du transport, c'est essentiellement la température qui est pointée du doigt. « L'humidité élevée peut engendrer des décollements d'étiquette et endommager les cartons ou les coffrets, relève Grégory Choquel. Elle peut favoriser le développement des moisissures. Une humidité trop basse peut entraîner un dessèchement du bouchon. L'humidité optimale se situe entre 60 et 75 %. » Mais de tels problèmes surviennent essentiellement lors de stockages ou de transports de plus de six mois. Ils n'affectent pas directement la qualité des vins. La température, si !
Selon la littérature, les retours des viticulteurs et les analyses réalisées par son laboratoire partenaire ETS, basé en Californie, aux États-Unis, eProvenance a établi que les qualités d'un vin peuvent être affectées dès que l'on passe en dessous de 5°C ou au-delà de 25°C. Des précipitations tartriques ou de matière colorante peuvent se produire à des températures inférieures à 5°C. Hormis l'impact esthétique, cela n'entraîne pas de déviations organoleptiques. Dès - 3°C, pour les faibles degrés, et - 6°C pour les degrés alcooliques élevés, les vins peuvent geler. Le risque principal est alors l'expulsion du bouchon et l'écoulement du vin hors de la bouteille.
Mais ce sont surtout les températures élevées qui détériorent le vin. À partir de plusieurs essais, le laboratoire ETS explique qu'une exposition cumulée de 30°C pendant plus de dix-huit heures change le goût et la couleur du vin, engendre une perte d'arômes, diminue le niveau de SO2 libre et entraîne une augmentation des concentrations en carbamate d'éthyle. Pour les vins blancs, il y a également une augmentation du trouble et, pour les rouges, une diminution des tanins.
Lors d'un suivi réalisé entre 2008 et 2010 par eProvenance, 3 % des vins ont subi ces conditions, 8 % on atteint 30°C pendant moins de dix-huit heures et 30 % ont pu subir des températures entre 25 et 30°C sans durée précise.
Grégory Choquel complète qu'« au-delà de 25°C, les réactions chimiques s'accélèrent déjà ». La pression à l'intérieur de la bouteille peut également augmenter. Lorsque celle-ci atteint 2 atmosphères, cela entraîne une perte d'étanchéité du bouchon, et donc des risques de coulure.
Pour éviter de tels désagréments, le transport du vin doit se faire dans des conteneurs réfrigérés de type « reefer ». « Il y règne une température constante entre 10 et 20°C », assure Grégory Choquel. Le conteneur dit « dry » (sans régulation thermique active) ne protège pas le vin des variations de température.
Il existe également des isolants passifs, ou des couvertures isolantes, mais ils ne sont pas suffisants pour protéger les vins des conditions extrêmes. Et même si « le coût des conteneurs réfrigérés est une fois et demie à deux fois plus cher que les conteneurs dry », ils permettent au consommateur d'acheter un vin qui ressemble à celui qui est parti de la propriété.
Pour surveiller les conditions de transport du vin, eProvenance commercialise un service depuis 2009. « Des capteurs placés soit au niveau de la caisse, de la palette ou du conteneur enregistrent la température, l'hygrométrie et, pour certains, la localisation. Nous centralisons ces informations sur une base de données en ligne accessible par nos clients », détaille Grégory Choquel.
Il existe trois types de capteurs. Le premier enregistre uniquement la température. « À son arrivée, il doit être renvoyé à notre centre de Boston, aux États-Unis, ou de Bordeaux, en Gironde, pour être lu. Les informations sont ensuite envoyées à l'expéditeur ou au destinataire », décrit Grégory Choquel. Le deuxième capteur enregistre la température et l'humidité. Les « informations peuvent être lues directement par un smartphone possédant l'application eProvenance, indique-t-il. Si l'opérateur est autorisé, il reçoit le graphique de l'évolution de la température et du taux d'hygrométrie ».
Le dernier capteur se place dans les conteneurs où il enregistre la température, l'humidité et sa position en temps réel. « Nous avons eu le cas d'un transport de vin de Bordeaux jusqu'en Russie. Le vendredi, le transporteur était en Pologne. Il s'est arrêté. Le vin est descendu de 10 à 4°C en quelques heures. C'était du blanc et il y avait des risques de précipitation tartrique. Nous l'avons donc prévenu pour qu'il réagisse rapidement », raconte Grégory Choquel.
Mais cette prestation n'est pas donnée. « Notre offre démarre à partir de trois centimes d'euros par bouteille », chiffre Grégory Choquel. Par ailleurs, cette solution n'est pas la seule. Dans le commerce, il existe quantité d'enregistreurs de température pour suivre les conditions d'un transport. Il faut ensuite récupérer ces capteurs une fois arrivés à destination pour analyser soi-même les informations qu'ils contiennent.
Limiter les risques durant le transport
Quelques règles simples à mettre en oeuvre lors du conditionnement permettent de réduire les risques au cours du transport.
- Adaptez la longueur du bouchon au niveau de remplissage de la bouteille. « L'espace de tête doit être de 10 mm minimum pour absorber les augmentations de volume lors d'élévations de température », signale Émilie Teyssot, du service technique d'Inter-Rhône. Par exemple, avec un bouchon de 49 mm de long et un niveau de remplissage de 63 mm, il y a un risque de couleuse à partir de 40°C. Avec le même bouchon et un remplissage à 55 mm, il y a un risque à partir de 29°C (source INE).
- Ajustez le SO2 libre par rapport à l'oxygène et au circuit de distribution. « Pour un vin rosé consommé dans les six mois, un ajustement à 25 mg/l devrait être bon, mais ça dépend de l'oxygène apporté lors de la mise », nuance la technicienne d'Inter-Rhône. En effet, un apport d'oxygène important à la mise entraîne une diminution rapide du SO2 libre après le conditionnement. Cela va accélérer le vieillissement du vin, lequel sera d'autant plus rapide que le vin circulera à température élevée.
- Réduisez les populations de micro-organisme. « Les augmentations de température lors du transport peuvent favoriser le développement des micro-organismes et engendrer des déviations organoletptiques ou augmenter les teneurs en amines biogènes », spécifie Émilie Teyssot. Une valeur inférieure à deux germes vivants par millilitre après embouteillage est conseillée pour un vin sec destiné au marché intérieur et à l'exportation. Certaines exportations exigent des valeurs inférieures à 0,1 germe par millilitre. Un contrôle microbiologique après mise est donc conseillé, car il permet de s'assurer du résultat de la filtration finale.
Le Point de vue de
LAURENT PONSOT, VITICULTEUR DE 12 HA, À MOREY-SAINT-DENIS (CÔTE-D'OR)
« Des capteurs racontent l'histoire de nos caisses »
« En 1999, j'ai été confronté à de mauvaises critiques de la part d'un journaliste à propos de vins qu'il avait achetés dans une boutique à Washington, aux États-Unis. Ses commentaires nous ont fait une très mauvaise presse. En cause, des conditions de transport défectueuses qui ont détérioré les qualités initiales de nos vins. En 2000, j'ai déposé un brevet pour un "témoin thermique". C'est une pastille imprimée sur chaque étiquette qui passe du jaune vif à l'orange vif lorsque la température atteint 28°C pendant deux heures. C'était une première avancée pour informer le consommateur au cas où le vin subissait une température excessive. Mais ce n'était pas une méthode absolue, sachant que 92 % de nos ventes partent à l'export dans quarante-huit pays. Depuis quatre ans, toutes nos expéditions, en cartons ou en palettes, sont équipées de capteurs de première génération de la société eProvenance. Lorsque le vin arrive chez les clients, ceux-ci renvoient les capteurs au prestataire qui leur communique, avec notre accord, le compte rendu de l'expédition. Grâce à ces capteurs, je me suis séparé d'un de mes importateurs. à l'occasion de deux transports avec lui, le vin a atteint une température supérieure à 38°C alors qu'il m'affirmait utiliser des conteneurs réfrigérés. À partir du millésime 2011, toutes nos caisses de grands crus sont équipées des nouveaux capteurs capables de raconter leur histoire sans que l'on soit obligé d'ouvrir les caisses. Ces capteurs enregistrent la température et l'humidité toutes les quatre heures. Ensuite, il suffit de passer sur la caisse brute ou suremballée un téléphone équipé d'une puce NFC et la courbe de température apparaît à l'écran. Nous utilisons ce système sur nos grands crus, qui représentent 80 % de notre production et que nous vendons 120 à 800 euros par col, car ce système coûte plusieurs euros par bouteille. »