Dans la panoplie des moyens de détection des Brettanomyces, l'analyse par PCR quantitative (qPCR) offre une indéniable avancée. Mise au point il y a tout juste huit ans, cette technique apporte une réponse précise et rapide pour mesurer la présence de cette levure indésirable dans un échantillon de vin ou de moût.
« C'est une analyse spécifique des Brettanomyces, explique Arnaud Delaherche, à l'origine de son développement. Contrairement à l'analyse microbiologique classique sur boîte de Pétri, où on comptabilise toutes les levures non-Saccharomyces, la qPCR ne dénombre que les Brett. Et elle est très précise. On peut détecter cette levure à des seuils très faibles (dès une cellule par ml) et donc réagir pour enrayer une contamination. »
En général, les oenologues conseillent de surveiller les vins de près dès qu'ils renferment plus de quelques dizaines de Brett par millilitre. Au-delà de 1 000 cellules par millilitre, une intervention (filtration, collage) s'avère généralement nécessaire. La décision d'intervenir est toutefois à raisonner en fonction du pH, de la température de la couverture en SO2 et du stade de l'élaboration du vin.
Autre avantage de la qPCR : les résultats sont connus dans les vingt-quatre à quarante-huit heures, alors qu'il faut attendre une semaine pour obtenir une analyse microbiologique sur boîte de culture.
« Résultat la veille de la mise en bouteille. » Fiable, précise et rapide, cette opération a un revers : son prix, qui varie de 50 à 90 euros l'échantillon selon les laboratoires et le nombre d'analyses réalisées. « C'est le facteur limitant », reconnaît Virginie Serpaggi, responsable du développement de méthodes au service technique d'Inter-Rhône, à Orange (Vaucluse).
Le laboratoire de cette interprofession s'est équipé dès 2008 pour pratiquer la qPCR. Aujourd'hui, il réalise 20 % de ses recherches de Brett avec cette méthode. « Nos oenologues la proposent surtout pour un résultat rapide la veille de la mise en bouteille afin de vérifier si un ajustement de la filtration est nécessaire, poursuit Virginie Serpaggi. Elle est aussi utilisée pour le suivi des populations de Brett en cours d'élevage. Encore peu de clients y souscrivent du fait de son prix, mais les demandes augmentent chaque année. »
À Bordeaux, en Gironde, où la pression de Brett est élevée, cinq à six laboratoires sont d'ores et déjà équipés. « Les clients qui contrôlent systématiquement leur chai en pratiquant quatre à cinq contrôles par lot et par an sont encore l'exception, constate Nadine Poulhazan, du Centre oenologique de Grézillac, qui propose la qPCR depuis 2011. Le plus souvent, nos clients ont recours à cette technique quand ils ont un doute sur une cuvée, quand les fermentations alcooliques ou malolactiques traînent. Ce sont des situations où les risques de développement des Brett sont élevés, d'où l'intérêt d'une mesure précise et instantanée qui permet une intervention rapide. »
« Affiner l'analyse. » Au laboratoire Sarco, à Floirac, le suivi des Brettanomyces devient une analyse de routine, mais pas forcément uniquement avec la qPCR. « Nous avons la chance d'avoir deux méthodes d'analyse, à nous de les utiliser à bon escient, indique Arnaud Delaherche, désormais chargé de développement au laboratoire Sarco. Pour un suivi Brett pendant l'élevage, l'idéal est de contrôler tous les mois l'ensemble des barriques avec l'analyse en boîte de culture. Si l'on découvre des niveaux de population importants, je conseille d'affiner l'analyse avec la qPCR pour être sûr d'avoir affaire à des Brett et que l'intervention est bien nécessaire. Ce suivi a un coût, bien sûr, mais il sera toujours inférieur à la perte générée par une contamination. »
En Bourgogne, cette analyse commence tout juste à se développer. Seul le laboratoire Burgundia, à Beaune (Côte-d'Or), est équipé pour la qPCR. « Nous avons longtemps hésité avant d'investir dans cette technique, confie Aurélie Auclair. Nous avons franchi le pas en septembre 2013. Depuis, nous avons fait une centaine d'analyses. Nous la préconisons surtout avant entonnage, pour éviter d'éventuelles contaminations des barriques. »
En Languedoc, le laboratoire Dubernet, toujours à la pointe en matière d'analyse, propose la qPCR depuis 2009. Mais en 2013, elle ne représente qu'un quart de ses recherches de Brett. « C'est une méthode d'avenir, estime Françoise Grasset, responsable du laboratoire. Les résultats sont spécifiques, fiables, précis et rapides. C'est un avantage quand le marché impose des délais très serrés. Le dosage est possible sur vin comme sur moûts, ce qui permet d'intervenir quand la fermentation traîne. Aujourd'hui, son coût, deux fois plus élevé que la culture sur boîte de Pétri, est un frein. Mais si la méthode se généralise, les tarifs vont baisser. » Bonne nouvelle pour la prévention contre les Brett.
Une analyse de biologie moléculaire
La PCR (Polymerase Chain Reaction) quantitative consiste à repérer des traces d'ADN dans un milieu et à les amplifier pour parvenir à une quantité détectable. Cette technique a été développée en médecine pour déceler des virus. Son application pour la détection des Brettanomyces date du DEA réalisé sur le sujet en 2006 par Arnaud Delaherche à la faculté d'oenologie de Bordeaux, en Gironde. La méthode a ensuite été développée par Microflora, la cellule de transfert de technologie de l'Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux. Elle permet de détecter les brett à partir d'une cellule par millilitre de moût ou de vin. La première étape consiste à extraire l'ADN de tous les micro-organismes présents dans le vin à analyser. Ensuite, une région spécifique de l'ADN de Brettanomyces est amplifiée grâce à des amorces qui viennent s'y fixer. Avec un appareil appelé thermocycleur, on mesure alors la fluorescence des amplifias d'ADN pour en déduire la quantité de Brettanomyces présentes.
Le Point de vue de
FABRICE SANTINI, CHEF DE CAVE À CASTELMAURE, LA COOPÉRATIVE D'EMBRES-ET-CASTELMAURE (AUDE)
« Une solution pour les urgences »
« Lors des vinifications des 14000 hl que nous produisons par an, nous réalisons un dépistage systématique des Brettanomyces à trois moments clé : juste avant l'entonnage, puis lorsque nous avons finalisé les assemblages, après cinq à six mois d'élevage en barriques et, enfin, juste avant la mise en bouteilles. Cela fait vingt-cinq à trente analyses par an. Nous les confions à notre laboratoire conseil pour un budget d'environ 650 euros. Ce sont des contrôles préventifs pour éviter toute contamination au sein de la cave. Jusqu'ici, nous utilisions l'analyse microbiologique sur boîte de Pétri. Mais cette année, nous avions besoin d'une réponse très rapide avant les mises en bouteilles du millésime 2012. Nos délais étaient très courts. Le laboratoire Dubernet nous a proposé la qPCR. Nous avons commandé une dizaine d'analyses selon cette méthode. Nous avons eu les résultats en vingt-quatre heures, ce qui nous a permis d'avancer nos mises d'une semaine. Certes, l'analyse est plus chère, mais le gain de temps est très appréciable quand on travaille en flux tendu. Ce temps gagné peut également être intéressant pour entonner plus rapidement les vins après une malo tardive. Gagner une semaine dans une telle situation est là encore avantageux. Le surcoût reste raisonnable pour des vins valorisés en bouteille, ce qui est le cas pour la quasi-totalité de nos volumes. »