Gironde : Pas de salut en dehors de la bouteille
Pour la chambre d'agriculture de Gironde, pas de doute : le coût de culture d'un vignoble de bordeaux rouge en bio est supérieur au coût en conventionnel. Pour affirmer cela, elle se fie aux résultats d'une étude qu'elle a réalisée en 2013 sur la question. Les données venaient d'une quinzaine d'exploitations produisant du bordeaux rouge biologique, de 15 ha en moyenne de vignes plantées à 4 500 pieds par ha, au vignoble en bon état et au matériel de culture renouvelé.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le coût de culture en bio en Gironde s'élève à 6 661 €/ha,soit 37 % de plus que chez les producteurs conventionnels qui vendent en vrac, et 17 % de plus que chez les conventionnels qui commercialisent leur vin en vrac et en bouteilles. Le différentiel tient principalement à la main-d'oeuvre, laquelle représente un coût de 3 456 €/ha en bio, contre 2 895 €/ha pour les vendeurs mixtes. Le poste mécanisation est aussi plus élevé : 2 102 €/ha en bio, soit 504 €/ha de plus que les vendeurs mixtes.
Les coûts de vinification, en revanche, sont sensiblement similaires : 1 827 €/ha en bio et chez les vendeurs mixtes, contre 1 552 €/ha chez les vendeurs en vrac. Même chose pour les autres charges (fermage, assurance, grêle, frais administratifs, etc.).
Rendements plus faibles. Toutes charges confondues, le coût de production du vin en vrac affiche 10 312 €/ha en bio, 7 921 €/ha cultivé en conventionnel pour le marché du vrac et 8 854 €/ha pour la bouteille et le vrac.
Par ailleurs, en bio, les rendements tournent à 45 hl/ha en moyenne quand ils oscillent entre 50 et 55 hl/ha dans les exploitations conventionnelles. Qui plus est, ces deux dernières années, le rendement en bio s'est davantage situé aux alentours des 35 à 40 hl/ha. Une difficulté supplémentaire pour atteindre la rentabilité.
« En bio, la vente en vrac n'est pas rémunératrice », assure Philippe Abadie, directeur du service développement formation. Les bios doivent donc vendre en bouteilles. À 45 hl/ha, le coût de production d'une bouteille de bordeaux rouge atteint 3,54 euros HT. « Il faut vendre à 5 euros TTC prix public pour être rentable », calcule-t-il.
Var : 1 480 €/ha de plus pour produire le raisin
Dans le « Référentiel du vigneron » publié en 2013, la chambre d'agriculture du Var compare les coûts de production du raisin conventionnel et du raisin bio. L'étude porte sur vingt-trois exploitations en appellation Côtes de Provence, dont neuf en bio. La chambre d'agriculture a calculé les coûts sur la base d'un rendement de 45 hl/ha en conventionnel et de 40 hl/ha en bio.
En bio, la production de raisin coûte 8 177 €/ha, soit 1 480 €/ha de plus qu'en conventionnel. Plusieurs postes expliquent ce surcoût, notamment les amortissements (plus élevés de 480 €/ha en bio), la main-d'oeuvre (supérieure de 390 €/ha) ainsi que l'entretien du matériel, des plantations et des bâtiments (310 €/ha de plus).
L'étude souligne aussi l'impact du rendement sur le coût à l'hectolitre. « Le rendement étant moindre en bio, on y génère entre un tiers et un quart de charges supplémentaires à l'hectolitre », explique Franck Fourment, responsable du service viticole.
Comme à Bordeaux, les bios ont tout intérêt à vendre en bouteilles. Le coût de culture et de récolte en viticulture biologique revient à 1,52 euro par bouteille contre 1,22 euro en conventionnel. « Les bios doivent vendre plus cher que les conventionnels. Ils doivent viser au moins 4,50 euros par col HT de côtes-de-provence pour les ventes hors caveau, conseille Franck Fourment. Généralement, ils y parviennent. »
Languedoc-Roussillon : La culture en coteaux bien trop chère
Sudvinbio, l'interprofession des vins bios du Languedoc-Roussillon, a comparé les coûts de production d'exploitations bios situées en plaine, en semi-coteau et en coteaux. L'étude réalisée sur le millésime 2010 porte sur trente-cinq domaines. Elle met en évidence l'importance du coût de la main-d'oeuvre. Celui-ci représente la moitié des charges, toutes exploitations confondues. En semi-coteaux, il grimpe à 62 % des charges et à 70 % en coteaux.
Cette étude met surtout en lumière l'énorme impact de la topographie sur les rendements et, par conséquent, sur les coûts. En plaine, le coût de production moyen du raisin affiche 470 €/t pour un rendement de 8,6 t/ha. En coteaux, il bondit à 1 732 €/t, car le rendement plafonne à 2,4 t/ha. En semi-coteaux, il atteint 873 €/t pour 4,6 t/ha.
Le CER France Méditerranée a mené une étude complémentaire à celle de Sudvinbio. Il a analysé les prix de revient et de vente du millésime 2010 chez quarante et un vignerons en cave particulière ou en coopérative. Il observe qu'en bio, seuls les coûts culturaux sont supérieurs aux coûts en viticulture conventionnelle, de l'ordre de 600 à 1 500 €/ha, selon le rendement. Les autres postes sont identiques.
Rentabilité en bouteilles. Cette étude révèle également l'importance du rendement et des modes de commercialisation pour la rentabilité des exploitations. Le coût de production du vin en vrac atteint 347 €/hl pour les exploitations dont le rendement est inférieur à 30 hl/ha. Il est de 188 €/ha pour les exploitations se situant entre 30 et 60 hl/ha. Or, les premières ont vendu leurs vins 174 €/hl en moyenne et les secondes 149 €/hl. Le résultat est donc négatif pour toutes ces exploitations. Seuls les viticulteurs produisant plus de 60 hl/ha ont vendu en vrac à un prix supérieur à leur coût de production.
Le CER France s'est également intéressé à la rentabilité de la vente en bouteilles. Les exploitations ayant un rendement inférieur à 30 hl/ha ne s'en sortent pas. Dans leur cas, le coût de production de la bouteille atteint 5,49 euros pour un prix de vente à 5,20 euros le col. Les exploitations récoltant entre 30 et 60 hl/ha s'en sortent tout juste. Une bouteille leur revient 3,33 euros. Avec un prix de vente de 3,58 euros, elles dégagent un résultat positif.
Le Point de vue de
« J'ai converti mon vignoble de 12,5 ha en AOC Graves au bio en 2008. Selon la chambre d'agriculture de Gironde, en bio, le coût de production du vin en vrac est 30 % supérieur au coût en conventionnel, essentiellement en raison des charges de main-d'oeuvre. En revanche, cette différence s'atténue en bouteilles, du fait du prix des matières sèches et des coûts commerciaux, qui sont les mêmes dans les deux cas. En bouteilles, l'écart est voisin de 10 %. Cela se vérifie sur mon exploitation. J'ai donc dû réorienter les circuits de vente. Autrefois, je vendais la moitié de ma production - 500 hl en moyenne par an - en vrac. J'ai abandonné ce mode de vente qui n'est pas rentable. J'ai contracté une assurance récolte. Je calcule la moyenne de mes coûts de production sur cinq ans. En fonction du résultat, je me fixe un objectif de chiffre d'affaires à atteindre et je détermine un plan de commercialisation. Aujourd'hui, l'objectif est de vendre toute ma récolte en bouteilles, soit 50 000 à 60 000 cols par an. J'ai réactivé les clients particuliers en leur proposant régulièrement des offres promotionnelles, deux bouteilles offertes pour l'achat de douze par exemple. Je participe également à des salons professionnels. J'ai créé cinq cuvées, trois de rouges et deux de blancs. Mes prix de vente au public sont compris entre 9 et 15 euros le col. En bio, le rendement peut remettre en cause les équilibres plus fortement qu'en conventionnel. Nous subissons davantage les aléas climatiques. Pour être moins dépendant des variations de rendements, je conserve en cave l'équivalent de deux à trois années de commercialisation. »