Le saviez-vous ? Si aujourd'hui vous pouvez traverser indemne une cave de Champagne sans porter un casque de chantier, c'est au pharmacien François que vous le devez. Dans la première moitié du XIXe siècle, cet homme humble et désintéressé a joué un rôle éminent dans l'évolution des techniques d'élaboration du champagne.
Jean-Baptiste François naît le 6 février 1792 à Saint-Mihiel, dans la Meuse, d'une « bonne famille lorraine », rapporte son petit-fils M. Damourette, dans une notice biographique. Son père est « marchand de fer ». En 1813, il est envoyé sur le front lors des campagnes napoléoniennes. Il est fait prisonnier en Russie. Rentré en France, il devient élève chez un pharmacien à Châlons-sur-Marne en 1815. L'année suivante, il épouse sa nièce et reprend ensuite sa pharmacie.
Devenu veuf, il se remarie en 1823. Cette union lui procure une aisance financière. Dès lors, il se consacre avec succès à des recherches sur le vin de Champagne. Son premier fait d'armes concerne la maladie de la graisse. Il examine attentivement « la nature des vins filants » et en détermine la cause. Elle réside dans la présence d'une substance, la gliadine, découverte une dizaine d'années auparavant. Cette substance est aujourd'hui identifiée comme un polysaccharide de type β-glucane.
La science montrera plus tard qu'il s'agit d'une matière secrétée par des bactéries lactiques. Quel est le remède ? « Pour lutter contre la maladie, certaines maisons peu scrupuleuses n'hésitaient pas à colorer le vin en rose avec de la teinture de Fismes - un colorant à base de baies de sureau - et à le vendre sous le nom de vin rosé », relate son petit-fils. Le pharmacien François cherche donc une substance qui précipite la graisse sans dénaturer le vin.
À force de travail, il reconnaît que l'agent actif de la teinture de Fismes est le tanin. En 1829, il présente un mémoire sur les moyens de prévenir ou détruire la maladie. En 1833, il le complète par son « Traité sur l'application du tanin pour prévenir la graisse », un manuel pratique, un mode d'emploi. « Il eut d'assez nombreuses résistances, poursuit M. Damourette, mais le procédé finit par être adopté. »
Pendant ce temps, François est déjà sur la voie d'une seconde découverte. Il va trouver le moyen d'empêcher l'énorme casse de bouteilles durant la prise de mousse « qui jusqu'alors a paralysé le commerce ». À l'époque, elle est estimée entre 20 et 80 %.
« J'attribue la casse extraordinaire éprouvée en 1835 (...) surtout à la trop grande quantité de matière sucrée qu'on a ajoutée dans la généralité des cuvées », analyse-t-il. En clair, il comprend le lien entre la quantité de sucre contenue dans le vin et la production de gaz carbonique, donc la pression qui règne à l'intérieur des bouteilles. Cette découverte est fondamentale.
En 1836, après de nombreuses expériences et au moyen du gleuco-oenomètre - un densimètre de l'époque -, il détermine exactement la quantité de « sucre que doit contenir le vin de Champagne lors de la mise en bouteille pour produire une belle mousse ».
Ce procédé de dosage du sucre sera connu ensuite sous le nom de « réduction François ». « On est vraiment surpris, en lisant son mémoire, de la profondeur d'observation de ce modeste savant, qui, malgré l'état peu avancé de la science biologique, a pu établir des règles qui sont encore suivies par toutes les maisons de Champagne, a écrit Edme Maumené, auteur d'un traité important sur les vins mousseux en 1858. (...) [Il] a rendu l'un des plus grands services que l'industrie des vins mousseux ait jamais pu obtenir. »
En 1837, il publie la synthèse de ses résultats et y détaille les conditions pour réussir complètement un tirage et une belle prise de mousse. Ses expériences vont servir de base à tous les travaux ultérieurs.
Jean-Baptiste François meurt le 15 septembre 1838, à 47 ans. Quelques jours plus tard, le « Journal de la Marne » lui rend ainsi hommage : « À une époque où le charlatanisme exploite si bien les moindres choses, les exemples de désintéressement acquièrent un grand prix de leur rareté. M. François pouvait faire une grande fortune avec le fruit de ses recherches et de son expérience ; on lui aurait payé cher ses découvertes, parce que ses découvertes étaient bonnes ; il ne songea pas à les vendre. » L'industrie du Champagne lui doit une fière chandelle. Et, pour sa part, elle a parfaitement su faire fortune.
Notices biographiques, M. Damourette. CIVC. « François », par François Bonal - « La Champagne viticole »