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Magazine - Etranger

L'Angleterre entre en effervescence

ÉVELYNE MALNIC - La vigne - n°262 - mars 2014 - page 88

Deuxièmes consommateurs de champagne au monde, les Anglais se lancent dans la production de bulles avec des ambitions internationales.
VENDANGES À LA MAIN À GUSBOURNE ESTATE, un domaine créé en 2004 par un ancien chirurgien orthopédiste d'Afrique du Sud, Andrew Weeber, aujourd'hui entré en bourse pour développer ses capacités de production.

VENDANGES À LA MAIN À GUSBOURNE ESTATE, un domaine créé en 2004 par un ancien chirurgien orthopédiste d'Afrique du Sud, Andrew Weeber, aujourd'hui entré en bourse pour développer ses capacités de production.

RICHARD LEWIS, du domaine Chapel Down, l'un des plus anciens et des plus grands domaines anglais. Plantées à hauteur d'hommes, les vignes sont régulièrement relevées pour assurer une meilleure exposition au soleil.

RICHARD LEWIS, du domaine Chapel Down, l'un des plus anciens et des plus grands domaines anglais. Plantées à hauteur d'hommes, les vignes sont régulièrement relevées pour assurer une meilleure exposition au soleil.

MICHAEL ROBERTS, de Ridgeview Wine Estate. Avec la Champagne comme modèle, les effervescents de cet ex-informaticien arrivent en tête aux grands concours internationaux, devançant même les champagnes, comme en 2010 par exemple.

MICHAEL ROBERTS, de Ridgeview Wine Estate. Avec la Champagne comme modèle, les effervescents de cet ex-informaticien arrivent en tête aux grands concours internationaux, devançant même les champagnes, comme en 2010 par exemple.

À GUSBOURNE ESTATE, tous les travaux de la vigne se font manuellement, de la taille aux vendanges. Sur ce domaine multiprimé, 50 ha sont plantés, 50 le seront cette année et encore autant d'ici deux ans.

À GUSBOURNE ESTATE, tous les travaux de la vigne se font manuellement, de la taille aux vendanges. Sur ce domaine multiprimé, 50 ha sont plantés, 50 le seront cette année et encore autant d'ici deux ans.

LE TANDEM FRANCO-NÉOZÉLANDAIS DU DOMAINE RATHFINNY, Jonathan Médard, le vinificateur - un ancien du groupe Moët & Chandon -, et Cameron Rouche, le chef de culture. À terme, ils veulent créer un domaine de 180 ha de vignes par parcelles de 20 ha. PHOTOS E. MALNIC

LE TANDEM FRANCO-NÉOZÉLANDAIS DU DOMAINE RATHFINNY, Jonathan Médard, le vinificateur - un ancien du groupe Moët & Chandon -, et Cameron Rouche, le chef de culture. À terme, ils veulent créer un domaine de 180 ha de vignes par parcelles de 20 ha. PHOTOS E. MALNIC

SAM LIDO EN VENDANGES À CAMEL VALLEY. Outre les cépages internationaux, le domaine privilégie les cépages autochtones, comme ici le seyval blanc. © DOMAINE CAMEL VALLEY

SAM LIDO EN VENDANGES À CAMEL VALLEY. Outre les cépages internationaux, le domaine privilégie les cépages autochtones, comme ici le seyval blanc. © DOMAINE CAMEL VALLEY

Les effervescents sont tendance outre-Manche. Au cours des cinq dernières années, ils sont passés de 30 à 60 % de la production locale. Et leur essor devrait se poursuivre, attirant des investisseurs et attisant les convoitises. Dernier épisode en date : en septembre 2013, la société d'investissement Shellproof PLC a acheté Gusbourne Estate, à Appledore, dans le Kent, pour 7 millions de livres, puis l'a introduit en bourse pour booster ses capacités de production. Sur ce domaine multiprimé, 50 ha sont plantés, 50 le seront cette année et encore autant d'ici deux ans.

Avant cela, en 2010, Mark Driver, gérant de fonds d'investissement, créait Rathfinny Estate, à Alfriston, dans l'est du Sussex. Depuis, il a planté 20 ha. Il projette d'arriver à 180 ha en 2020 pour produire 3 millions de bouteilles par an. Ce qui en ferait le plus grand domaine anglais.

C'est dans le Kent et dans le Sussex, au sud-est et au sud-ouest de l'Angleterre, que l'aventure des bulles démarre il y a une dizaine d'années. Ici, les conditions sont proches de la Champagne : même relief, même sol crayeux et même climat semi-continental. Les Anglais font même remarquer que la latitude de ces régions n'est qu'à 150 km au nord de Reims !

Mais comparaison ne vaut pas raison. Pour que la vigne se développe malgré des hivers plus froids et un temps plus humide, les vignerons de Sa Majesté ont développé le double guyot, à hauteur de nombril d'homme, soit de 80 à 90 cm du sol. « Cela permet de mieux isoler la plante du gel et des maladies », indique Richard Lewis, le vinificateur de Chapel Down, un domaine situé à Tenterden (Kent).

Pour assurer un maximum de maturité aux baies, les vignes sont palissées jusqu'à 2,50 m de haut et les récoltes ont lieu de fin septembre à mi-octobre. L'acidité reste malgré tout le problème majeur, d'où l'autorisation de chaptaliser jusqu'à 3° d'alcool.

Températures en hausse et gelées plus rares : le réchauffement climatique est une réalité. Il a permis aux cépages internationaux de se développer. La trilogie champenoise - chardonnay, pinot noir, pinot meunier - représente 45 % de l'encépagement. Et le riesling et le sauvignon blanc commencent à bien s'acclimater. Tous ces cépages peuvent entrer dans l'élaboration des mousseux.

Nom vendeur. La législation anglaise distingue deux types d'effervescents (sparklings) : les English quality sparklings wines, élaborés selon la méthode traditionnelle champenoise avec six cépages (chardonnay, pinot noir, pinot noir précoce, pinot meunier, pinot blanc et pinot gris), et les English regional quality wines, également élaborés selon la méthode traditionnelle mais avec n'importe quel cépage.

Pour la plupart, la Champagne demeure la référence absolue. « Il n'y a pas de raison de réinventer la roue », estime Michael Roberts, propriétaire du Ridgeview Wine Estate. Là, comme chez Gusbourne Estate ou à Windsor Great Park, le domaine de 3 ha de Sa Majesté, on ne jure que par les cépages français, les vendange à la main dans des caisses percées, le matériel et les oenologues français.

Mais cette opinion ne fait pas l'unanimité. Considérant qu'« imiter les champagnes augure mal de l'avenir », des vignerons comme Sam Lido (Camel Valley) ou Richard Lewis élaborent des effervescents à partir de seyval, de reichensteiner et d'ortega, seuls ou en assemblage entre eux, ou avec du chardonnay pour créer des vins ayant une identité propre.

Car le but est bien là : promouvoir les bulles anglaises. En commençant par leur donner un nom plus vendeur qu'English sparkling wine, à l'image du proseco italien ou du cava espagnol. En avril 2013, la duchesse de Cornouailles, Camilla, présidente de l'association des producteurs anglais et épouse du prince Charles, a lancé le débat et proposé « Britagne » (prononcer Britannia). D'autres lui préfèrent « Merret », du nom du médecin anglais Christopher Merret, considéré outre-Manche comme « l'inventeur » du champagne au XVIIe siècle.

Médailles d'or. Trouver un style, une image, un nom... C'est le défi pour les années à venir. Car les Anglais visent l'international. D'ici 2015, leurs pétillants devraient assurer 70 % des importations de l'Australie. Les États-Unis, l'Afrique du Sud, la Chine... et la France sont également dans leur ligne de mire.

Les effervescents insulaires se prévalent déjà de trois médailles d'or à l'International Wine Challenge de 2013. « La qualité s'est améliorée. Les mousseux sont de belle facture, plus aromatiques, avec une meilleure acidité que par le passé », constate Didier Pierson, de la maison Pierson-Whitaker, le premier et seul vigneron champenois implanté de l'autre côté du tunnel. « Avec son bon équilibre acidité/taux de sucre, 2013 s'annonce comme un excellent millésime », ajoute Julia Trustram-Eve, la directrice marketing d'English Wine Producers, l'association des producteurs de vins anglais.

« Mais les effervescents anglais n'ont pas encore de réelle complexité, tempère Didier Pierson. Pour des questions de rentabilité, les producteurs n'ont ni le temps ni les moyens de laisser vieillir leurs vins. Ils n'ont pas de stocks pour lisser les effets de la météo et obtenir une qualité constante. »

« À qualité égale, les Anglais préfèrent toujours les champagnes aux mousseux locaux, question de nom et de prix - les sparklings oscillent entre 20 et 35 livres, soit 24 à 40 euros en moyenne », constate Clare Macking, directrice du domaine Pierson. N'empêche, le marché est en plein essor, porté par le « buy » et le « drink british » (acheter et boire anglais). Et il se chuchote que des grandes maisons champenoises lorgnent les terres anglaises.

Les bulles majoritaires depuis 2010

La vigne a fleuri en Grande-Bretagne au Moyen Âge jusqu'à la limite de l'Écosse. Puis elle a disparu. La création du domaine Hambledon (Hampshire) en 1952 marque son retour. Aujourd'hui, la vigne s'étend sur 1 438 ha et 432 domaines. Ensemble, ils produisent 3 millions de bouteilles, soit 0,25 % du marché anglais des vins (chiffres English Wine Producers 2012). Peu à peu, les hybrides et les cépages allemands et autrichiens résistants au froid et à l'humidité - bacchus, seyval blanc, reichensteiner, müller-thurgau et madeleine angevine - ont cédé la place aux cépages internationaux. Le chardonnay est le premier cépage anglais avec 21 % des surfaces en 2012, devant le pinot noir avec 19 % selon Food Standards Agency. À partir de ces cépages multiples, les Anglais produisent, outre les bulles (60 %), des vins tranquilles blancs (30 %), rosés et rouges (10 %) ainsi que quelques liquoreux. Les effervescents sont devenus majoritaires en 2010.

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