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DOSSIER - Rendement : viser plus haut

Rendement Viser plus haut

PAR FRÉDÉRIQUE EHRHARD - La vigne - n°263 - avril 2014 - page 20

Après deux petites récoltes consécutives, le rendement réapparaît comme l'un des facteurs clés de la pérennité des exploitations. Les experts du CER France rappellent à quel point les marges en dépendent. Des vignerons témoignent de leur stratégie pour les redresser ou pour amortir les aléas de récolte.
LA COULURE a fait des dégâts en 2013, notamment dans le Sud-Ouest. La grêle s'y est ajoutée, causant une baisse des rendements. © P. ROY

LA COULURE a fait des dégâts en 2013, notamment dans le Sud-Ouest. La grêle s'y est ajoutée, causant une baisse des rendements. © P. ROY

LANGUEDOC-ROUSSILLON : Trop de petits rendements

Benjamin Devaux, du CER France Méditerranée, l'affirme : « Le rendement reste la clé de la performance pour les coopérateurs et les vignerons qui vendent en vrac. » Cela apparaît clairement dans les résultats de l'observatoire régional de la production viticole, qui regroupe un millier d'exploitations (voir infographie p. 20).

Dans cet observatoire, le centre de gestion a classé les coopérateurs en quatre catégories selon leur produit brut à l'hectare. En 2012, les moins bien lotis - 12 % d'entre eux - ont dégagé moins de 2 500 €/ha de produit brut. Ils ont enregistré un résultat courant négatif. Leur production s'est élevée à 39 hl/ha en moyenne. À l'autre bout, un quart des coopérateurs a dégagé un revenu brut supérieur à 4 500 €/ha, ce qui leur a permis de rémunérer la main-d'oeuvre familiale. Ils ont obtenu ces résultats avec une production moyenne de 75 hl/ha.

Ce lien entre les rendements et les résultats s'observe aussi sur une longue période. Entre 2005 et 2010, la chute des cours et les sécheresses à répétition ont plongé les comptes de la plupart des exploitations du Languedoc-Roussillon dans le rouge. « La conjonction d'une récolte généreuse en 2011 et de la remontée des cours a permis à une majorité de viticulteurs de retrouver un équilibre », note le CER France Méditerranée.

Malheureusement, en 2012 et 2013, les résultats ont de nouveau légèrement reculé, du fait d'une faible vendange et de charges en hausse.

Maîtrise des frais de conditionnement. La situation reste fragile, car avec une petite récolte, la rentabilité peut s'effondrer rapidement. « Un coopérateur qui rentre 50 hl/ha en AOC Corbières obtiendra un produit brut de 3 750 €/ha si sa cave vend cette appellation à 100 €/hl et retient 25 €/hl de frais. L'année suivante, s'il ne produit que 40 hl/ha à cause de la sécheresse, il peut descendre à 2 800 €/hl de produit brut si la cave, avec 20 % de volume en moins, doit retenir 30 €/hl de frais », calcule Benjamin Devaux. Pour consolider la situation durablement, la hausse des cours n'est pas suffisante. Dans cet exemple, avec des cours du vrac à 120 €/hl, la marge permettrait de constituer des réserves pour faire face aux petites années.

Pour les caves qui vendent principalement en bouteilles, le lien entre rentabilité et rendement est moins fort. « Les résultats des vignerons qui conditionnent sont très variables selon les exploitations, observe Benjamin Devaux. Certains dégagent un bénéfice net de 2 000 €/ha, alors que d'autres perdent ces 2 000 €/ha. » Ce qui les distingue, c'est leur capacité à obtenir une plus-value sur leurs cols.

Pour cela, il faut se différencier par la qualité et l'image de ses vins. Dans cette stratégie, obtenir de bons rendements contribue à réduire les coûts. Mais la maîtrise des frais de conditionnement et de commercialisation, qui représentent les deux tiers du prix de revient d'une bouteille, est tout aussi décisive.

VAL DE LOIRE : L'investissement dans le vignoble paie

Après deux petites récoltes, les trésoreries se réduisent fortement. Cependant, au CER France Maine-et-Loire, Julien Mallon constate que tous les vignerons ne sont pas logés à la même enseigne. Ceux qui ont régulièrement renouvelé leur vignoble résistent mieux, car ils ont moins de pertes de production dans leurs jeunes vignes.

« Investir dans le vignoble est une priorité, rappelle-t-il. Cela permet de faire le plein du rendement autorisé pour dégager une meilleure marge, alimenter la trésorerie et continuer à investir. À l'inverse, lorsque la marge se dégrade, il devient plus difficile de financer le renouvellement du vignoble ou de faire face à une petite année. »

Saisir des occasions. Chez les vignerons qui vendent surtout en bouteilles, le rendement n'est pas le seul facteur de rentabilité. Il détermine le coût du vin, mais celui-ci ne représente qu'un tiers du coût total de la bouteille. « La priorité est d'abord de maintenir le niveau qualitatif des cuvées et de bien gérer les stocks pour servir régulièrement ses clients, même après des petites vendanges. Or, ces dernières années, les producteurs ont parfois trop allégé leurs stocks pour réduire leurs coûts. »

Alors, quand les mauvaises récoltes s'enchaînent, les choses se compliquent. « Aujourd'hui, certains vignerons commencent à être en rupture de stock sur l'AOC Coteaux du Layon, par exemple, ou sur les rouges de garde », observe le conseiller. Ils risquent de perdre des clients.

À l'inverse, ceux qui ont préservé leur réserve peuvent saisir des occasions, des acheteurs cherchant de nouveaux fournisseurs. « Lors d'une belle année qualitative, il est préférable de produire plus de vins de garde si on a des marchés pour les valoriser, suggère Julien Mallon. Quitte à financer le stockage avec un prêt sur deux ou trois ans et à tenir compte des frais financiers lors de la fixation des prix de vente. »

BOURGOGNE : Une petite récolte de trop

« Jusqu'à présent, le chiffre d'affaires des exploitations viticoles variait d'une année à l'autre en fonction des marchés. Depuis deux ans, c'est le rendement qui devient déterminant », remarque Hubert Brivet, du CER France Saône-et-Loire, qui a coordonné l'étude Vitiscopie.

Dans cette analyse de groupe, le centre de gestion a passé au crible les résultats de 260 exploitations viticoles. À cause des aléas climatiques et des maladies du bois, elles ont perdu en moyenne 15 % de leur production en 2012 et 20 % en 2013. Le rendement des coopérateurs est ainsi descendu à 54 hl/ha en 2012 et celui des vignerons conditionnant plus de 20 % de leurs vins à 44 hl/ha.

Fortes disparités. « En 2013, leur chiffre d'affaires a reculé de 10 à 15 % avec la petite vendange 2012. Et la baisse devrait être encore plus marquée en 2014 et 2015 », souligne-t-il. Et pour cause. En vrac, l'augmentation des cours va compenser 20 % de perte de récolte, mais pas au-delà. En bouteilles, il est difficile de passer des hausses au-delà de 5 à 6 % sans perdre de marchés.

En 2013, dans l'échantillon de Vitiscopie, le revenu moyen par exploitant était de 25 000 euros pour les coopérateurs et de 33 000 euros pour les embouteilleurs, avec de fortes disparités. Un quart de ces derniers ont gagné moins de 10 000 euros. « Ce sont souvent des domaines en phase de développement. Ils ont investi pour accroître leurs débouchés en bouteilles, mais n'en vendent pas encore assez, ce qui renchérit leurs coûts », constate le conseiller. Parmi ces exploitations, certaines ont levé le pied sur le remplacement des manquants ou le renouvellement des plantations. Leurs rendements fléchissent plus que les autres, ce qui accroît encore leurs difficultés.

BORDELAIS : Il manque 1,5 million d'hectolitres

Entre la coulure et la grêle, la vendange 2013 n'a atteint que 3,84 millions d'hectolitres à Bordeaux, soit 27 % de moins qu'en 2012. C'est le niveau le plus bas depuis 1991. « Pour faire face à cette situation, la marge de manoeuvre des vignerons qui vendent principalement en vrac est réduite, analyse Antony Cararon, du CER France Gironde. Ils ont peu de stocks et de trésorerie, car ils écoulent rapidement leurs vins. Et la hausse des cours du vrac ne suffit pas toujours à compenser leur déficit de récolte. Cette hausse atteint 30 % sur l'AOC Bordeaux rouge, alors que sur les exploitations les plus touchées, les pertes dépassent 40 à 50 %. » Parmi celles-ci, beaucoup vont devoir emprunter, reporter des annuités et réduire les frais pour passer le cap.

La situation des vignerons qui vendent surtout du vin conditionné est différente. Ils ne profitent qu'à la marge de la hausse du vrac. Mais ceux qui ont des stocks voient des marchés s'offrir à eux. La tension qui s'amorce sur le prix des bouteilles va leur redonner de la valeur. « Dans une appellation comme Côtes de Bourg, où il y a vingt mois de stocks en cave, cela peut être le bon moment pour vendre à des prix intéressants », assure Antony Cararon. Dans l'appellation Bordeaux, les réserves sont plus faibles. Des vignerons devront répartir la pénurie entre leurs clients pour éviter d'en perdre. Cependant, selon Antony Cararon, la situation reste gérable. « La plupart des producteurs devraient éviter la rupture. Mais il ne faudrait pas que la récolte 2014 soit à nouveau petite ! »

Quelques conseils pour consolider les marges

Pour les coopérateurs et les vignerons qui vendent principalement en vrac, « faire le plein du rendement autorisé est indispensable, car le bénéfice s'effectue sur les derniers hectolitres », affirment unanimement les conseillers du CER France. Cela ne les empêche pas de subir des aléas climatiques. Mais avec de meilleures marges, ils sont mieux armés pour y faire face. « Pour maintenir le potentiel, il est préférable de replanter régulièrement », conseille Hubert Brivet, du CER France Saône-et-Loire.

« Quand les coûts de production ont déjà été optimisés et que le rendement reste trop faible pour dégager un profit correct, il faut se remettre en question », relève Benjamin Devaux, du CER France Méditerranée. Dans cette région, c'est souvent le cas dans les coteaux séchants. Lorsque c'est possible, il recommande d'irriguer ou de repositionner des vignes sur des parcelles plus productives. « Sinon, la seule solution, pour une cave particulière comme pour une coopérative, est de développer des marchés en bouteilles sur lesquels le prix de vente peut être ajusté plus facilement aux coûts », affirme-t-il.

Pour les vignerons qui vendent surtout en bouteilles, il est indispensable de connaître finement les coûts de production par vin et par parcelle. « Cela permet d'adapter les prix de vente quand c'est possible. Et quand les coûts ne collent pas aux prix qu'on peut obtenir sur les marchés, de faire des choix structurels, comme de laisser les parcelles qui demandent trop de main-d'oeuvre, par exemple », détaille Hubert Brivet. Il préconise également d'augmenter un peu ses prix de vente en bouteilles tous les ans de façon à conserver une marge suffisante pour faire face aux aléas.

Quatre formes de réserves

Les réserves aident à passer les années difficiles. Elles peuvent être constituées de capitaux ou de vins. Chaque formule ayant ses avantages et ses inconvénients, il est possible de les combiner.

Les placements. « Profiter des bonnes années pour mettre de l'argent de côté sous forme de placement permet d'alimenter sa trésorerie les petites années sans avoir à faire appel au banquier. C'est utile ! » affirme Hubert Brivet, du CER France Saône-et-Loire. Lorsque les marges le permettent, il conseille d'avoir une annuité d'emprunt ou au moins 15 % du chiffre d'affaires en réserve.

L'assurance récolte. Elle réduit la perte de chiffre d'affaires en cas d'aléas climatiques, sans la compenser complètement du fait de la franchise. Mais elle ne résout pas le problème du manque de vins pour fournir ses clients. Antony Cararon, du CER France Gironde, estime que pour les coopérateurs et les vignerons qui vendent principalement en vrac, l'assurance récolte devient indispensable. Dans l'AOC Bordeaux, la montée progressive des cours du vrac depuis 2008 a permis de regagner de la marge. « Mais le résultat moyen de ces vignerons, autour de 12 000 euros, leur donne peu de possibilités pour faire des réserves financières. Les cotisations de l'assurance récolte sont plus accessibles », souligne-t-il.

Les stocks. Ils ont un coût, mais sont nécessaires pour éviter d'être en rupture les petites années, ce qui pourrait amener les clients à se tourner vers d'autres fournisseurs. « Perdre un client, c'est perdre du chiffre d'affaires, mais aussi tout l'investissement commercial réalisé pour le trouver », rappelle Julien Mallon, du CER France Maine-et-Loire.

Le volume complémentaire individuel (VCI). Cette formule n'existe que dans un certain nombre d'appellations. De plus, pour constituer un VCI, il faut que l'Inao en donne l'autorisation. « Ces volumes produits au-delà du rendement autorisé n'entraînent pas d'immobilisation de fonds, contrairement aux stocks classiques, car les frais à l'hectare sont déjà couverts par les hectolitres correspondants au rendement autorisé », précise Antony Cararon.

L'essentiel de l'offre

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