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AU COEUR DU MÉTIER

« L'avenir est entre le bio et le conventionnel »

MYRIAM GUILLEMAUD - La vigne - n°263 - avril 2014 - page 28

À COGNAC, EN CHARENTE, Denis Fougère dirige les domaines Rémy Martin. Depuis dix ans, tous ses efforts sont concentrés sur l'environnement pour fournir matière à réflexion aux viticulteurs partenaires de la maison de négoce.
DENIS FOUGÈRE dans une parcelle du site de Saint-Preuil. Cette vigne est enherbée un rang sur deux, l'autre rang étant travaillé. Depuis 2010, il n'y a pratiquement plus d'herbicides. PHOTOS J.-M. NOSSANT

DENIS FOUGÈRE dans une parcelle du site de Saint-Preuil. Cette vigne est enherbée un rang sur deux, l'autre rang étant travaillé. Depuis 2010, il n'y a pratiquement plus d'herbicides. PHOTOS J.-M. NOSSANT

DURANT LA DISTILLATION, Denis Fougère suit avec Jean-Marie Bernard, maître distillateur, le moment de la coupe du coeur de chauffe, l'eau-de-vie gardée pour le vieillissement. Les domaines Rémy Martin distillent toute la production sur un seul site, à Touzac (Charente).

DURANT LA DISTILLATION, Denis Fougère suit avec Jean-Marie Bernard, maître distillateur, le moment de la coupe du coeur de chauffe, l'eau-de-vie gardée pour le vieillissement. Les domaines Rémy Martin distillent toute la production sur un seul site, à Touzac (Charente).

LE TABLEAU DE BORD DES DOMAINES RÉMY MARTIN

LE TABLEAU DE BORD DES DOMAINES RÉMY MARTIN

RÉMY MARTIN UTILISE DE LA CUVERIE BÉTON pour vinifier ses vins de distillation. Lors des fermentations, les opérateurs de chai enregistrent toutes leurs interventions sur des fiches fixées aux cuves, comme nous le montre Grégory Gautier sur cette photo prise après les vendanges.

RÉMY MARTIN UTILISE DE LA CUVERIE BÉTON pour vinifier ses vins de distillation. Lors des fermentations, les opérateurs de chai enregistrent toutes leurs interventions sur des fiches fixées aux cuves, comme nous le montre Grégory Gautier sur cette photo prise après les vendanges.

LES DOMAINES SE SONT ÉQUIPÉS DE PULVÉRISATEURS à rampe pour traiter face par face trois rangs par passage dans les vignes planes.

LES DOMAINES SE SONT ÉQUIPÉS DE PULVÉRISATEURS à rampe pour traiter face par face trois rangs par passage dans les vignes planes.

« Je suis viticulteur, comme mes voisins. Je cultive la vigne, je fais du vin et je le distille. Mais mon exploitation n'est pas de la même taille que celles des alentours. » Denis Fougère est le directeur des domaines Rémy Martin, qui s'étendent sur 270 ha et cinq sites en Grande Champagne de Cognac. Du fait de sa taille, le management y prend une importance particulière. L'exploitation emploie en effet trente personnes : cadres, ouvriers, distillateurs et assistantes.

« Les domaines constituent la vitrine de Rémy Martin pour ses viticulteurs partenaires, rappelle Denis Fougère. C'est un aiguillon. » Rémy Martin achète des vins ou des eaux-de-vie à un millier de viticulteurs en Grande et Petite Champagne. « Nous avons toujours des essais viticoles, oenologiques ou de distillation en cours. Cela nous permet de savoir précisément de quoi nous parlons quand nous apportons un conseil à nos partenaires. »

En 2003, les cinq exploitations ont été regroupées en une seule entreprise. Avant cela, elles étaient autonomes. « Cette même année, on m'a demandé de réfléchir à la restructuration des domaines et aux économies d'échelle. Mais aussi de mettre l'accent sur l'environnement, la biodiversité et l'agroécologie », se souvient le directeur.

Depuis, le parc de matériel viticole et les vinifications sont regroupés sur trois sites. Chacun de ces sites est équipé d'une station d'épuration des effluents vinicoles, d'une piste de lavage des matériels viticoles et de locaux dédiés au stockage des produits phytos. « Nous nous sommes aussi penchés sur la réduction et le traitement des effluents viticoles. Pour les réduire, nous nous sommes orientés vers le lavage à la vigne. » Les pulvérisateurs sont désormais équipés d'une réserve d'eau claire qui permet de les rincer juste après un traitement et de pulvériser les fonds de cuve ainsi dilués sur les vignes.

Dans les parcelles planes, les ouvriers passent avec des rampes face par face qui traitent trois rangs par passage. « Dans les vignes en coteaux, il faut des solutions plus légères : nos rampes ne traitent que deux rangs », indique Denis Fougère. Les domaines sont équipés en tout d'une douzaine de pulvérisateurs afin de pouvoir traiter l'ensemble du vignoble en une journée et demie.

À partir de 2006, la maison de négoce mise sur l'agriculture raisonnée. Les formations du personnel se multiplient sur la sécurité, l'hygiène et les bonnes pratiques de traitement. Pour limiter les troubles musculo-squelettiques (TMS), la direction instaure le principe d'alternance des tâches. « Dès que la taille est suffisamment avancée, les ouvriers ne la pratiquent plus que le matin. L'après-midi, ils attachent les sarments ou réparent le palissage », explique Denis Fougère.

L'année suivante, en 2007, les domaines Rémy Martin ont obtenu la certification Agriculture raisonnée. « Nous nous sommes engagés dans la réduction des produits phytos, puis dans le réseau de fermes Écophytos, insiste le directeur. Il y a le bio et le conventionnel, mais l'avenir est entre les deux. Le but est de réduire l'effet des pesticides sur l'environnement et sur la santé humaine mais aussi d'éviter de perturber les écosystèmes. »

Herbicides proscrits. En 2012, l'exploitation obtient la certification Haute valeur environnementale (HVE). Le sujet suscite la fierté de Denis Fougère puisque les domaines Rémy Martin sont, à ce jour, la seule exploitation de Poitou-Charentes à être ainsi certifiée. Pour autant, cette orientation ne se fait pas au détriment de l'économie. « Au contraire, tout est mis en oeuvre pour la pérennité de l'exploitation », affirme-t-il. Ainsi, les herbicides ont été supprimés par étapes sur tout le vignoble. Les domaines sont aussi revenus à l'enherbement un rang sur deux ou sur trois selon les vignes.

2010 a été la première année sans désherbants. « Avec des problèmes, bien sûr », reconnaît le responsable. Au printemps, au moment de la pousse de l'herbe, des cadres de l'exploitation se sont inquiétés et ont demandé à recourir aux herbicides. « Je temporise. Un peu d'herbe ne va pas mettre à mal mon rendement, ni altérer la qualité du raisin. Le plus difficile a été de faire admettre cette idée au personnel », sourit-il. Mais lors du printemps très pluvieux de 2013, il a dû accepter de désherber une trentaine d'hectares pour maîtriser la flore. « Je ne m'interdis pas d'utiliser les herbicides », précise-t-il.

Cette nouvelle orientation s'est traduite par l'achat d'outils de travail du sol « actuels et performants » chez Clemens et Boisselet. « Ils permettent de combiner les outils et de travailler à la fois sous le rang et entre les rangs, apprécie Denis Fougère. On peut y installer à la fois des lames pour décroûter le sol, des éléments rotatifs ou des décavaillonneuses. Et c'est justement parce que plusieurs outils sont associés que nous n'avons que très peu augmenté les heures de tracteur par rapport à l'époque antérieure où nous utilisions des herbicides. »

Les domaines ont investi 12 000 à 16 000 euros par outil. Pour quel montant total ? Denis Fougère ne tient pas à le dire. Le sujet est confidentiel, comme toutes les questions touchant au budget ou au chiffre d'affaires de l'exploitation. Cependant, il reconnaît que la bonne santé du cognac a facilité ces investissements. « Les années où le rendement autorisé était à 6 hl AP/ha, il aurait été difficile d'acheter ces matériels, admet-il. Nous profitons de cette période qui donne à l'entreprise la capacité d'investir dans ces méthodes alternatives. » Comme une exploitation classique.

Tenir compte des congés pour les traitements. Difficile de comparer le coût du désherbage chimique à celui du désherbage mécanique. Les herbicides sont comptabilisés en charges chaque année quand les outils de travail du sol s'amortissent sur dix ans. « Les deux se valent, assure Denis Fougère. Et avec les outils, je travaille aussi les sols pour le long terme. »

Pour obtenir la certification HVE, il faut en principe viser un indice de fréquence de traitements (IFT) inférieur à la moyenne régionale. Un objectif difficile à atteindre. « Même en essayant en permanence de réduire les traitements, nous en avons en moyenne 1,2 à 1,5 IFT de plus qu'un domaine classique, constate-t-il. En effet, nous devons prendre en considération le personnel et le calendrier des congés et des jours fériés. »

L'exploitation dispose bien de douze pulvérisateurs, mais sa taille et le nombre de ses employés compliquent les choses. Les traitements doivent être positionnés autant que possible les jeudis ou vendredis, puisque les salariés sont absents les week-ends. Les ponts du mois de mai accroissent encore les difficultés. « Le viticulteur qui travaille seul peut traiter le 1er mai. Ici, c'est impossible », fait remarquer le directeur. Il faut alors parfois renouveler un traitement avec quatre ou cinq jours d'avance. Pour positionner chacun d'entre eux, Denis Fougère jongle ainsi avec la gestion du personnel, les délais de renouvellement et la pression parasitaire.

Pour autant, ces difficultés ne remettent pas en cause l'orientation prise par les domaines. « Notre avancée est volontaire, personne ne me l'impose », souligne Denis Fougère. La prochaine Pac met l'accent sur la biodiversité et sur le « verdissement » de l'agriculture. « Ce que je fais ici de mon propre chef deviendra la réalité. Et je préfère devancer que subir », martèle-t-il.

Pas question cependant de plaquer les conduites appliquées ici aux viticulteurs partenaires de la maison de négoce. Ce n'est pas l'objectif. « À chacun d'adapter les contraintes à sa situation, défend-il. Notre but est surtout de faire réfléchir. »

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

En 2012, les domaines Rémy Martin ont obtenu la certification HVE. Et ce d'autant plus facilement que son paysage est divers avec ses haies, ses bois et ses bandes enherbées. Déjà engagés dans l'agriculture raisonnée, les domaines n'ont pas eu d'efforts supplémentaires à fournir pour obtenir la certification.

Depuis plusieurs années, l'exploitation ne traite plus contre les acariens, des typhlodromes s'en chargent.

SUCCÈS ET ÉCHECS LES PRATIQUES À AMÉLIORER

L'an dernier, les résultats de la confusion sexuelle contre l'eudémis et la cochylis ont été décevants. La pression a été forte. Il aurait fallu faire un traitement insecticide pour contenir les tordeuses. Denis Fougère n'a pas réussi à le positionner, car les vols ont été très étalés.

Les vignes à port libre n'ont pas donné satisfaction. Elles s'étalent trop, gênant le passage des matériels, vieillissent et dépérissent trop rapidement. Après avoir tenté l'expérience, les domaines sont revenus au palissage en espalier.

Denis Fougère regrette de manquer d'informations sur le fonctionnement des sols. Il voudrait mieux connaître les interactions entre les apports d'engrais et la biologie du sol.

SA STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE Des jachères fleuries

- Chaque année, les domaines Rémy Martin arrachent 10 ha de vigne et en replantent autant. Le temps de repos entre arrachage et replantation est d'au moins trois ans. « Je suis agriculteur. Je ne supporte pas que la terre soit nue » : c'est la raison pour laquelle Denis Fougère cherche à mettre des couverts intéressants sur les parcelles laissées en repos après un arrachage et avant la replantation. Jusqu'à présent, il y cultivait des céréales. N'ayant pas de matériel pour ces cultures, il faisait appel à des entreprises. « Mais en raison des faibles rendements, la marge était proche de zéro », déplore-t-il.

Il a alors essayé les plantes mellifères il y a sept ans. « Pour la plupart, ce sont des légumineuses. Je veux savoir comment elles enrichissent et restructurent le sol », dit Denis Fougère. Pour cela, les domaines Rémy Martin ont passé une convention avec la chambre d'agriculture de Charente. « Nous cherchons le meilleur mélange pour le repos du sol, celui qui permettra à la vigne de mieux s'implanter », rapporte-t-il. Les essais portent sur la luzerne, aux propriétés nématicides, le trèfle, le sainfoin, la phacélie, très mellifère, le radis de Chine... Ces jachères favorisent aussi le développement de la faune auxiliaire, et ce à proximité du vignoble.

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L'exploitation

- Surface : 270 ha.

- Installations : cinq sites d'exploitation, trois sites de vinification et un site de distillation.

- Main-d'oeuvre : trente employés, dont vingt-quatre ouvriers viticoles.

- Encépagement : ugni blanc, colombard, merlot, cabernet sauvignon et folle blanche.

- Densité de plantation : 3 000 à 3 300 pieds par hectare.

- Mode de conduite : depuis dix ans, vignes palissées et en arcure. Avant, vignes hautes en cordon libre.

L'essentiel de l'offre

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