« En 2013, nous avons constaté des échecs dans la lutte par confusion sexuelle sur des parcelles anciennement et nouvellement confusées, que ce soit avec le système Rak de BASF ou avec les Isonet LE de Terra Fructi », indique Jacques Oustric, responsable de l'équipe viticole à la chambre d'agriculture du Gard.
Pour en comprendre les raisons, Bernard Molot, à la tête du pôle IFV Rhône-Méditerranée, a mené une enquête auprès de vignerons. « Les résultats ne montrent aucun problème d'efficacité, assure-t-il. En revanche, la mise en oeuvre de la méthode est nettement perfectible. Les échecs sont liés à de mauvaises pratiques : des superficies confusées trop petites ou morcelées et des bordures insuffisamment protégées par exemple. »
« Il est nécessaire de pratiquer la confusion sexuelle sur 5 à 10 ha au minimum », rappelle Pierre-Antoine Lardier, responsable du pôle cultures spéciales chez BASF. « Il est préférable d'avoir au moins 5 ha, mais la méthode peut aussi être efficace sur 1 ou 2 ha, avec une bonne protection des bordures », souligne Guy Salmona, codirigeant de Terra Fructi.
La zone placée sous confusion sexuelle doit être aussi compacte que possible afin de minimiser la longueur des bordures à protéger. « 500 diffuseurs par hectare sont à poser, auxquels il faut ajouter 10 à 12 % pour les bordures », précise Pierre-Antoine Lardier.
Bernard Molot a aussi pointé une autre cause : « Après avoir posé les diffuseurs, certains vignerons se croient tranquilles vis-à-vis des vers de la grappe. Or, les mesures d'accompagnement ne doivent pas être négligées. »
Cibler la date des contrôles des pontes. Pour Pierre-Antoine Lardier, « beaucoup de professionnels ont pris l'habitude de ne plus effectuer de suivis, car les dernières années ont été plutôt tranquilles sur le front des vers de la grappe. Or, la confusion sexuelle implique des comptages en fin de première et de deuxième génération. Dénombrer les pontes n'est pas facile, mais c'est important pour évaluer la présence de futures larves. Il faut que les vignerons réalisent ces observations. Cela fait partie du métier. »
Des pièges sexuels doivent être installés dans et à l'extérieur des parcelles confusées afin de pouvoir cerner l'importance des vols de papillons et cibler la date des contrôles des pontes. On peut aussi effectuer un piégeage alimentaire pour capturer des papillons femelles.
Faute d'avoir réalisé les interventions qui les auraient alertés des risques, des vignerons ont rencontré des difficultés alors qu'ils avaient posé leurs diffuseurs de phéromones dans les règles de l'art. Cela a été le cas dans le sud de la France, mais aussi en Charente (lire témoignage p. 34). « Sur quelques secteurs, la pression a été exceptionnelle et la confusion sexuelle n'a pas suffi. Il fallait intervenir avec un insecticide », explique Laurent Duchêne, conseiller viticole.
« Il y a parfois tant de papillons que les accouplements sont possibles malgré la confusion sexuelle, note Pierre-Antoine Lardier. Cette méthode est autonome en cas de pression de tordeuses faible à moyenne. Face à une forte présence du vers de la grappe, un traitement insecticide complémentaire est nécessaire pour les maîtriser. » Il préconise d'intervenir si l'on observe 10 à 30 glomérules pour cent inflorescences en première génération et 10 % de grappes perforées ou portant des oeufs en fin de deuxième génération.
« Si un traitement n'est pas réalisé alors qu'il s'impose, les populations peuvent se développer de façon exponentielle en troisième ou quatrième génération, même sous confusion sexuelle », précise Guy Salmona. Il rappelle également « que cette solution n'est parfois totalement efficace qu'au bout de deux à trois ans au cours desquels les populations de papillons sont appauvries par la méthode et un traitement complémentaire ».
Les difficultés de 2013 rappellent à tous les préconisations et les limites de la confusion sexuelle. Autre leçon à tirer : s'assurer de la durée de protection des diffuseurs. « L'année dernière a été très tardive et des décrochages ont pu être liés à des diffuseurs arrivés en fin de cycle avant la fin des derniers vols », avance Jacques Oustric.
Nouveaux essais avec des trichogrammes. Pierre-Antoine Lardier signale que le Rak 3G assure 200 jours de protection. Guy Salmona souligne qu'Isonet LE « permet une diffusion satisfaisante jusqu'aux vendanges ».
Dans le Gard, Jacques Oustric s'interroge aussi sur une possible « adaptation » des papillons face à la méthode : « La diffusion de phéromones pendant plusieurs années peut-elle entraîner la sélection d'une population d'eudémis ne répondant pas tout à fait au signal hormonal ? En arboriculture, ce phénomène a été observé. »
Une hypothèse réfutée par BASF et Terra Fructi. Cette année, la chambre d'agriculture de Charente va effectuer des essais de lutte biologique avec des trichogrammes, des parasitoïdes s'attaquant aux oeufs des papillons. La piste avait été explorée dans les années quatre-vingt-dix par l'IFV, mais, à l'époque, les résultats avaient été nettement moins concluants que ceux obtenus grâce à la confusion sexuelle.
Vigilance face aux autres tordeuses
La campagne 2013 a rappelé que la vigne peut être attaquée par l'eulia. « Cette tordeuse a pu être une cause d'échecs dans les zones sous confusion sexuelle », estime Bernard Molot, de l'IFV. « Des dégâts attribués à l'eudémis et à la cochylis étaient en fait dus à l'eulia », ajoute Guy Salmona, codirigeant de Terra Fructi. Ce parasite n'est pas contrôlé par les Rak, ni par Isonet. Ses larves se repèrent à leur couleur verte qui peut être très intense. La chenille Cryptoblabes gnidiella s'attaque elle aussi aux baies. Elle a été très présente en 2013. Elle n'est pas contrôlée par la confusion sexuelle non plus.
Le Point de vue de
DENIS FOUGÈRE (EN PHOTO) ET FRANCIS ROUSSEAU, DIRECTEUR ET CHEF DE CULTURE DES DOMAINES RÉMY MARTIN (CHARENTE)
« Une solution pour une pression moyenne qui doit être bien accompagnée »
« Nous avons mis en place la confusion sexuelle sur 20 ha en 2010. Jusqu'à l'an dernier, nous avons eu de bons résultats. Mais en 2013, la pression des vers de la grappe a été plus forte que d'habitude et les vols ont été très étalés. Nous faisons partie du réseau Dephy Écophyto en Charente. Nous n'avons pas réalisé de traitement insecticide. Nous voulions voir jusqu'où la confusion sexuelle pouvait être efficace dans cette situation. En fin de saison, les raisins ont subi des perforations qui ont entraîné beaucoup de botrytis et une perte de récolte. Cette année, nous ferons un traitement chimique si nécessaire. Nous nous sommes rapprochés de la chambre d'agriculture. Nous allons analyser une parcelle confusée de manière très pointue, avec des comptages de glomérules et d'oeufs pour évaluer les risques et le travail que représente le suivi. Car il est difficile d'aller sur toutes nos parcelles en confusion sexuelle et de tout observer. Quoi qu'il en soit, nous savons aujourd'hui que cette méthode a des limites. Elle est adaptée à une pression moyenne et doit être bien accompagnée. Au départ, BASF nous avait présenté cette solution sans mettre en avant les possibles difficultés en cas de forte pression. Nous avions pensé qu'avec la confusion sexuelle, nous n'aurions plus besoin d'insecticide. Or, il peut être nécessaire de traiter. »