« J'ai vu apparaître des orchidées sur des abords de parcelles où je n'en avais jamais observé. J'aperçois dans les haies des perdreaux ainsi que des nids d'oiseaux, et les sauterelles pullulent quand je tonds mes bandes enherbées en bordure de parcelle. »
Président de la cave coopérative d'Alignan-du-Vent (Hérault), Lionel Delsol constate les premiers effets de la démarche biodiversité engagée depuis 2011 par le syndicat des Côtes de Thongue. Il a fait partie de ces pionniers qui ont commencé, dès 2012, à établir des diagnostics de la biodiversité sur leurs exploitations. Une initiative du syndicat, en partenariat avec le Conservatoire d'espaces naturels du Languedoc-Roussillon (CEN).
« Nous avons voulu réaliser nous-mêmes ces diagnostics plutôt que de les confier à un tiers. Cette implication est essentielle. Elle nous amène à être attentifs à des éléments de notre environnement auxquels on ne prêtait pas forcément attention », témoigne Émilie Alauze, jeune vigneronne récemment installée sur 20 ha au domaine Lou Belvestit, à Magalas (Hérault). Elle aussi, s'est engagée dès l'origine.
Pour réaliser cet autodiagnostic, nul besoin d'être un expert en botanique. Il suffit de passer en revue les différents lieux qui constituent des refuges pour la faune et la flore : haies, bandes enherbées, zones humides, pelouses, prairies, garrigues et autres bois présents sur l'exploitation. Les experts appellent cela des infrastructures agro-écologiques (IAE). Après les avoir identifiées, il faut les évaluer (voir encadré page suivante).
Recommandations inattendues. « C'est le plus gros du travail », confie Romain Frayssinet, gérant du domaine Moulin de Lène, à Magalas. Son exploitation compte 45 ha de vignes répartis en 59 parcelles. « Évaluer parcelle par parcelle l'ensemble des IAE demande du temps. Mais après, la tâche est beaucoup plus légère », reconnaît-il toutefois. Grâce au soutien financier du conseil général de l'Hérault, la Fédération héraultaise des IGP a recruté une animatrice pour accompagner les viticulteurs dans cette démarche.
À partir de ces données de terrain, le Conservatoire d'espaces naturels établit un diagnostic et fait des recommandations parfois... inattendues. « La non-intervention est leur préconisation la plus fréquente, notamment pour les forêts, les haies, etc. Ils nous conseillent de laisser évoluer la végétation naturellement et même d'éviter d'enlever les bois morts, car ce sont des refuges pour certaines espèces », explique Émilie Alauze.
Mais la vigneronne a quand même entrepris un chantier. « Ma principale intervention a été un débroussaillage en bord de rivière pour rouvrir le milieu, poursuit-elle. Il faudrait également que je remonte un muret en pierres sèches, car c'est un lieu de ponte pour certaines espèces. Pour le reste, ce sont surtout des modifications de comportement auxquelles je n'aurais pas pensé : par exemple, faucher et débroussailler entre août et février pour ne pas perturber la période de reproduction. »
Changer ses habitudes. Le CEN ne fait pas de recommandation au sujet des traitements phytosanitaires de la vigne. Il préconise simplement de proscrire les désherbants et les fertilisants sur les bandes enherbées, de stopper les pulvérisateurs au passage de la bande et d'utiliser des antigouttes ainsi que des buses antidérive.
Comme Émilie Alauze, Lionel Delsol a seulement changé certaines de ses habitudes. « Jusqu'ici, je fauchais deux à trois fois par an mes abords de parcelles. Le CEN m'a conseillé de ne le faire qu'une fois par an, au mois d'août. Pour préserver les abeilles, j'effectue mes traitements insecticides uniquement de nuit. Enfin, je pensais bien faire en projetant de planter des haies. On m'a plutôt conseillé de planter des arbres isolés pour favoriser l'outarde canepetière (un oiseau présent sur les plaines cultivées, particulièrement menacé en France, NDLR). »
Grâce à ce nouveau regard porté sur leur environnement, les vignerons des côtes de Thongue ajustent, par petite touche, leurs pratiques pour maintenir l'équilibre de leur écosystème. « En recréant des espaces favorables à certains prédateurs des parasites de la vigne, on peut espérer diminuer la pression parasitaire sur nos vignes », avance Romain Frayssinet.
L'initiative de ces pionniers fait des émules. « Nos collègues constatent que nous produisons autant qu'eux, avec des pratiques plus respectueuses de l'environnement qui ne sont pas très contraignantes. Vivre de notre métier tout en contribuant à un environnement plus sain, c'est quand même drôlement stimulant », s'enthousiasme Lionel Delsol.
Une démarche qui fait tache d'huile
Lancée en 2011 dans les côtes de Thongue à l'initiative de Charles Duby, du domaine de l'Arjolle, à Pouzolles, dans l'Hérault, la démarche biodiversité et qualité des eaux souterraines gagne du terrain. La première année, une dizaine de vignerons ont pris part à l'aventure. Fin 2013, soixante-trois viticulteurs avaient suivi la formation et trente-quatre avaient réalisé un diagnostic. En 2014, une trentaine d'autres vignerons veulent tenter l'expérience. À ce jour, 1 100 ha au total (vignes et infrastructures) ont été répertoriés. Près de 5 000 mètres de haies et 75 arbres ont été plantés, huit mares ont été créées et 5 ha de milieux ouverts ont été restaurés. La démarche se propage même aux IGP voisines. En 2013, les IGP Coteaux d'Ensérune et Côtes de Thau ont commencé les autodiagnostics. Elles ont été suivies en 2014 par les IGP Coteaux de Béziers et Vicomté d'Aumelas. Et d'ici 2016, les deux autres IGP héraultaises, Haute Vallée de l'Orb et Saint-Guilhem-le-Désert, seront également de la partie. Le mouvement gagne également les AOC de la région. Les Corbières s'y intéressent dans le cadre de leur démarche de certification ISO 26 000. En AOC Languedoc, un projet similaire est en train de voir le jour dans la région de Montpeyroux. Et l'AOC Picpoul-de-Pinet, de par sa proximité avec les Côtes de Thau, s'est naturellement jointe à la démarche.
Une méthode accessible à tous
Pour effectuer l'autodiagnostic de leur exploitation, les viticulteurs commencent par suivre une formation afin d'identifier les différentes infrastructures agro-écologiques (IAE) qu'ils auront à observer : forêts, buissons, fossés, bandes enherbées... À partir de photos, ils s'exercent à distinguer les espèces originaires de la région des espèces exotiques, souvent envahissantes. Armés de ces connaissances, ils peuvent alors remplir les grilles de notation. Ils évaluent eux-mêmes l'état des IAE aux abords de chacune de leurs parcelles. Pour une haie, par exemple, ils doivent noter sa largeur ainsi que sa composition en évaluant le nombre d'espèces ligneuses (plus de quatre, entre deux et quatre, moins de deux) et la présence d'espèces exotiques (moins de 1 %, de 1 à 10 %, plus de 10 %). Dans un deuxième temps, ils rentrent toutes ces données de terrain dans un outil cartographique spécialement conçu pour cet autodiagnostic viticole. Des experts du Conservatoire d'espaces naturels du Languedoc-Roussillon rédigent ensuite leur diagnostic de l'exploitation et apportent des préconisations de gestion de chaque IAE présent sur l'exploitation. Pour les vignerons qui ont mis en oeuvre les premières mesures en 2012, une nouvelle visite du domaine sera réalisée en 2014 afin d'en apprécier les premiers effets et de voir s'il faut envisager des ajustements.