De nationalité libanaise et américaine, Joanna Bissada a d'abord été avocate. Depuis 2009, elle mène une activité de conseil, de coaching et de formation en leadership au sein du cabinet Evolvio, basé à Paris. À ce titre, elle conseille des femmes occupant des postes à responsabilité. Elle préconise à celles qui sont chefs d'exploitations de rester elles-mêmes pour réussir et non d'essayer de singer les hommes.
Quelle attitude les femmes chef d'exploitation doivent-elles adopter pour s'imposer ?
J. B. : Qu'il s'agisse d'une petite exploitation ou d'une grande entreprise, c'est la même chose. Le premier travail est intérieur. Il faut se voir soi-même comme un leader. Ensuite, il faut se consacrer à ce qu'on veut réaliser plutôt qu'à la façon dont on est perçu. Beaucoup de femmes se disent : « Il faut que j'efface ce que je suis et que je me comporte comme untel. » Untel étant le plus souvent un homme. Cela ne marche pas. Il faut se convaincre du fait que vous êtes la chef et que vous allez vous adonner à votre objectif.
Quels sont les principaux obstacles à la prise de responsabilités par les femmes ?
J. B. : Les femmes doivent d'abord prendre conscience des stéréotypes. Le premier est lié à la surreprésentation des hommes à la tête des entreprises : on croit qu'il faut faire comme eux pour accéder aux mêmes fonctions. Lors d'un atelier que j'animais, une jeune femme a expliqué qu'elle était devenue chef d'exploitation parce qu'elle n'avait pas de frère. Pour occuper la fonction qui lui revenait, elle vivait elle-même « comme un homme » - c'est l'expression qu'elle a employée - pour se conformer aux attentes de son père.
Mais l'obstacle le plus courant que rencontrent les femmes, c'est l'opposition des hommes à les voir devenir chef d'exploitation à cause des préjugés. Ils pensent qu'elles ne sont pas capables de prendre des décisions, qu'elles ne savent pas trancher dans le vif, qu'elles sont trop émotionnelles et qu'elles ne veulent pas s'éloigner de leur famille. Une fois qu'une femme est chef d'exploitation, elle subit une autre série de stéréotypes négatifs. Si elle ne parvient pas à diriger les hommes sous ses ordres, on dit que c'est une mauviette. Et si elle y arrive, c'est qu'elle est dure, qu'elle manque d'empathie.
Quels sont les atouts des femmes ?
J. B. : Les valeurs féminines sont l'écoute, l'empathie, la compréhension de situations complexes, l'organisation et aussi cette possibilité d'exprimer ses émotions. Il faut ajouter ces qualités aux valeurs masculines que nous avons en nous : l'aptitude à prendre des décisions, la rationalité... Il faut prendre ce qu'il y a de bien dans ces stéréotypes masculins et féminins, et surtout ne pas être un « faux homme ».
Dans une entreprise où j'ai travaillé, une collègue est venue me voir en me conseillant de retirer les photos de mes enfants de mon bureau. Selon elle, les enlever m'aurait permis d'être mieux respectée. Je lui ai répondu que j'étais à la fois une mère de famille et à un poste de direction, et que les deux étaient tout à fait compatibles.
Comment les femmes chef d'exploitation doivent-elles agir avec leurs salariés ou leurs fournisseurs ?
J. B. : Avec les uns et les autres, il faut asseoir son autorité et le faire sans complexe, en pensant d'abord et avant tout aux résultats. Pour manager d'une équipe, il faut être à la fois directif et savoir déléguer. Cela demande énormément de confiance en soi. La chef d'exploitation doit définir les objectifs et la façon de les atteindre. Les femmes ont parfois tendance à chercher l'affection ou l'admiration. Mais celles qui dirigent une entreprise doivent accepter l'idée qu'elles ne sont pas là pour être aimées, mais pour être respectées. Le leitmotiv doit être : qu'est-ce que je veux obtenir ? Il faut ensuite agir en fonction de ce but.
Comment faire changer les choses ?
J. B. : Je vois ces femmes comme si elles étaient derrière de très hauts murs. Pour franchir ces obstacles, il faut qu'elles travaillent en réseau, qu'elles mettent en place des groupes de codéveloppement par exemple. Dans ces groupes, chacune peut évoquer ses soucis, les problèmes auxquels elle est confrontée et les solutions qu'elles ont trouvées. Je pense à une femme qui me parlait de sa difficulté à gérer les saisonniers. « Ils ne me respectent pas », disait-elle. Une autre regrettait que son père ne s'adresse qu'à son frère. « Moi, c'est comme si je n'existais pas. » En groupe, elles se rendent compte qu'elles vivent toutes des situations similaires. Et c'est de ce partage et de la mise en commun de ces expériences que peuvent naître des solutions.